Ndjamena contre-attaque à coup d’ultimatum diplomatique


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Au lendemain de la bataille contre les rebelles, retour au calme dans la capitale tchadienne maintenue sous contrôle du Président Déby. Les affrontements militaires ont cessé, place désormais à la bataille diplomatique. Le point sur la crise, à la fois militaire, politique et économique, à laquelle est confronté aujourd’hui le chef de l’Etat Idriss Déby Itno à la veille des élections.

Par Joan Tilouine

La bataille de Ndjamena de jeudi dernier, qui a opposé l’armée tchadienne aux forces rebelles du Front Uni pour le changement (FUC), a officiellement fait 370 morts chez les rebelles contre une trentaine du côté loyaliste. Les rebelles ont donc essuyé une lourde défaite lors de l’assaut de la capitale. Mais si le Président Idriss Déby Itno peut se vanter d’avoir repoussé l’offensive, son pouvoir reste menacé et exposé aux représailles. « Ceci n’est qu’un repli tactique », avançaient les rebelles du FUC. Les cadres de la rébellion ont promis de poursuivre le mouvement. L’objectif de renverser le Président Déby Itno à la tête du pays depuis seize années et l’annulation des élections du 3 mai prochain restent au goût du jour. Face à ces menaces le gouvernement de M. Déby, contraint de réagir, a adopté une série de mesures répressives à l’égard des rebelles et du Soudan voisin, dont il dénonce la connivence. La France, allié de longue date, nie son implication dans le conflit. Or sur le terrain, sa neutralité est mise en doute. En toile de fond, le Tchad est également mis à l’épreuve par la Banque Mondiale au sujet de sa gestion des revenus du pétrole. Affaibli, mais toujours debout, le Président Déby se doit de jouer sur plusieurs fronts.

Rupture diplomatique avec Khartoum

Sur la place de l’Indépendance de Ndjamena, à deux pas du palais présidentiel, le chef de l’Etat a annoncé mettre un terme aux relations diplomatiques avec son voisin soudanais. Lors d’un discours iconoclaste, M. Deby a vitupéré contre le régime de Khartoum qu’il accuse de soutenir et d’armer la rébellion à partir du Darfour, la région frontalière entre les deux Etats. « Il n’y a aucune rébellion contre le Tchad. C’est le gouvernement soudanais qui a programmé la déstabilisation du Tchad », a-t-il revendiqué. Lors de ce défilé de la victoire, aux allures de propagande anti-soudanaise, l’armée tchadienne a ainsi exhibé les prises de guerre au
grand public. Des prisonniers, des armes et munitions, qualifiées par M. Deby de « soudanaises », ornaient le centre de la capitale. Quant à lui, le pouvoir soudanais dément et déplore le manque de preuves à l’appui. Le ministre soudanais des Affaires étrangères rétorque que « ce qui se passe au Tchad est une affaire interne »

De son côté, Idriss Déby Itno exige impérativement le règlement de la guerre civile soudanaise au Darfour qu’il juge néfaste et déstabilisante pour la sécurité nationale du Tchad. « Nous ne pouvons pas mettre en jeu la sécurité de nos citoyens, et sécuriser leurs réfugiés. Donc il appartiendra, après juin, à la communauté internationale de trouver un autre pays d’accueil à tous ces réfugiés », a-t-il déclaré. Depuis la rébellion déclenchée en février 2003, dans la région soudanaise du Darfour, le Tchad a vu débarquer sur son territoire plus de100 000 réfugiés fuyant les exactions commises par la junte de Khartoum. Les rebelles soudanais du Darfour réclament plus autonomie et un plus grand contrôle des ressources de leur région.

Bangui soutient Deby, l’Union Africaine reste prudente

De même, la République Centrafricaine a fermé, vendredi dernier, sa frontière avec le Soudan, sans pour autant marquer une rupture diplomatique. Cette mesure préventive se veut une protestation contre l’attaque de Ndjamena par les forces rebelles. A Bangui, on penche du côté de Deby. Le gouvernement centrafricain soutient la thèse dune « agression » soudanaise
contre le pouvoir officiel. Bangui évoque la violation des mesures adoptées, en février dernier, au Sommet de Tripoli, censé garantir la sécurité de la région en y empêchant l’implantation de foyers rebelles. De son côté, le Président en exercice de l’Union africaine (UA), Denis Sassou
NGuesso, a fait savoir que l’organisation condamnerait toujours fermement toute prise de pouvoir par des voies autres que démocratiques. Sur les ondes de Radio France International, il a déclaré que « c’est la position ferme de l’UA de maintenir la stabilité entre les frontières…et s’opposer fermement à toute prise du pouvoir par la force ». Refusant clairement toute ingérence étrangère, l’UA préconise des négociations intra-africaines pour mettre au point un plan de paix entre les belligérants. Le Conseil de sécurité et de la paix doit se réunir pour tenter de définir son orientation sur la question et les moyens à déployer. Pour le moment, l’UA n’envoie pas de troupes, préférant suivre de près l’évolution de la situation. Toutefois, en cas contraire, Sassou NGuesso rappelle à juste titre que « ce n’est pas pour rien qu’il y a 70 000 hommes de l’UA au Darfour ».

Le Tchad, dernier bastion dune Françafrique en déclin

Le Tchad occupe une place chère dans la politique africaine de l’Elysée, et cela depuis l’indépendance accordée en 1960. Au cours de ses mandats successifs, M. Deby a su entretenir un bon rapport avec la vieille puissance coloniale et s’en est même assuré son précieux soutien. Il s’est peu à peu imposé comme le plus fidèle allié français en Afrique. Aujourd’hui, l’avis de Paris penche naturellement du côté du pouvoir en place. Toutefois, l’Elysée se refuse à laisser transparaître une attitude interventionniste qui lui attiserait les foudres de l’UA, mais surtout d’une opinion publique versatile. Du côté français, on s’astreint à des déclarations étrangement floues qui tentent de réfuter l’engagement des 1 300 soldats français du dispositif « Epervier ». « Soutien sans participation ». A mille lieux de la neutralité prônée, le contingent français a apporté un soutien logistique et stratégique non négligeable – sinon déterminant – à l’armée tchadienne. Les forces aériennes françaises auraient livré au soldat Déby de précieuses informations sur les positions rebelles. Sur le champ de bataille, les militaires français ont également participé à l’évacuation de blessés, en mettant à disposition une partie de sa flotte aérienne. Ils ont même effectué des tirs de sommation. Amertume, indignation et colère du côté rebelle. Le conseiller politique du FUC, M. Issa Moussa accuse l’aviation française d’avoir pilonné ses troupes en route vers NDjamena. Paris dément…

Le litige pétrolifère en toile de fond

Le ministre tchadien des droits de l’Homme, M. Djasnabaille, a menacé « la fermeture des robinets du pétrole ». Le Tchad menace d’interrompre sa production de pétrole à partir du 18 avril, s’il ne récupère pas d’ici là les fonds environ 25 millions de dollars bloqués par la Banque Mondiale dans la banque britannique Citibank. Suite à la décision de Ndjamena de modifier unilatéralement une loi ayant attrait à la gestion des revenus de l’or noir parrainée par l’institution internationale, celle-ci a ordonné en janvier le gel de ces revenus. Adoptée en 1999, sous les auspices de la Banque Mondiale, la loi « 001 » imposait que 10% des revenus du pétrole soient placés sur un fonds destiné aux générations futures, censé garantir une sécurité économique pour les secteurs clés du développement. Escamotées donc les promesses mirobolantes de pétrodollars à l’égard des enfants du pétrole, place à la réalité. Pour justifier cet ultimatum, M. Djasnabaille a expliqué que le pays a « un besoin d’argent urgent pour résoudre les problèmes sociaux », niant toute corrélation avec la conjoncture mouvementée, « c’est un problème beaucoup plus ancien », a-t-il avancé. Ce différend gangrène, en conséquence, le gouvernement central qui se voit amputé d’une part importante de son budget. Ce contentieux suscite de plus en plus de méfiance de la part de la population qui soupçonne le Président Déby de corruption et de mauvaise gérance. Pour le moment, les revenus du pétrole n’ont aucunement profité à la société civile qui observe, impuissante, les dépenses de l’Etat se déverser dans le budget militaire et l’organisation des élections du 3 mai. Au grand dam des secteurs dits prioritaires, tels que la santé ou l’éducation, pour ne citer qu’eux- paralysés, par la gabegie de moyens.

Le trône du Président de Déby reste mis à prix. Les rebelles sont déterminés à faire capoter les élections du 3 mai prochain dont l’opposition a décidé de boycotter le scrutin. Les adversaires de M. Déby mettent en cause sa gouvernance autoritariste et l’accusent de corruption. Ses alliés sûrs réduisent comme une peau de chagrin. Ces derniers temps, nombreux sont les déserteurs au sein de l’armée à avoir changé leurs fusils d’épaules. Assaillis de part et d’autre, le Président Déby, bien qu’avec une marche de manoeuvre limitée, tente de conserver les rênes. Jetant l’anathème sur le Soudan voisin, Ndjamena bat en brèche sur le Darfour. Dans le conflit qui l’oppose à la Banque Mondiale, M. Déby répond par un ultimatum. Par son jeu diplomatique, qui comporte le chantage et la menace, le Tchad de M. Déby prend des risques. Ça passe ou ça casse. Mais dans tous les cas, le statu quo ne peut rester ainsi sous pression. La hache de guerre reste donc déterrée. La menace sur Ndjamena demeure latente et l’échéance est courte. Déby joue-t-il ses dernières cartes ?

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