Cameroun : 10 ans après son lancement, où en est l’Opération Épervier ?


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S’il existe une évidence dans la lutte contre la corruption en Afrique, véritable frein au développement et à l’évolution des mentalités, il semblerait que ce soit au Cameroun qu’on la trouve. Prenant ce problème réellement à bras-le-corps, le Président camerounais, Paul Biya signait dès 2003 la Convention des Nations Unies sur la corruption et décidait de mettre fin à l’impunité à travers le lancement de l’Opération Épervier tendant à moraliser la gestion de la chose publique tout en sanctionnant les personnes indélicates.

Lancée en 2004, cette opération judiciaire, à travers de minutieuses investigations menées au Cameroun et à l’étranger, a permis de débusquer de nombreuses autorités qui ont illégalement amassé et dissimulé des milliards dans des comptes bancaires en Europe, en Amérique, à Guernesey ou encore en Afrique. Résultat, plus d’une centaine de hautes personnalités ont été arrêtées pour des faits de détournements de fonds publics.

Rattrapé par Épervier et condamné à 20 ans de prison

Parmi ceux qui sont passés des lumières du pouvoir à l’ombre carcérale, on retrouve l’ancien ministre de l’Économie et des Finances, Polycarpe Abah Abah, l’ancien ministre de la Santé, Urbain Olanguena Awono, ou encore l’ex-ministre Alphonse Siyam Siwé qui a écopé de 30 ans de prison pour divers détournements de fonds publics au Port Autonome de Douala en 2007. Ironie du sort, celui qui lança cette campagne judiciaire et qui fut le Premier ministre de 2004 à 2009, Ephraim Inoni, a lui-même été rattrapé par l’Épervier et vient d’être condamné à 20 ans de prison par le Tribunal Criminel Spécial de Yaoundé pour co-action de détournement en 2001 de 287,4 millions de FCFA destinés à l’acquisition d’un avion présidentiel.

Dans les faits, cette opération d’assainissement de la fortune publique avait commencé quelques années auparavant. En effet, en 1997, l’ex-secrétaire général à la présidence de la République, Titus Edzoa, et le Franco-camerounais Michel Thierry Atangana, à l’époque chargé de mission à la présidence de la République, sont arrêtés puis condamnés à 15 ans de prison ferme pour détournement de fonds publics. Des accusations que les intéressés n’ont jamais reconnu, clamant dès le départ et jusqu’à ce jour leur innocence. Au point que le second a même décliné une grâce présidentielle.

Pape François en sapeur pompier

Et si au départ l’Opération Épervier avait fait l’unanimité et fut saluée, elle a fini par soulever des mécontentements, entre autres, par sa volonté d’infliger la double peine, selon les cas. Pour preuve, le franco-camerounais Michel Thierry Atangana qui, après avoir purgé une première peine de 15 ans de prison a été condamné à l’automne 2012 à 20 ans de prison ferme pour ce qui semble être les mêmes faits, quelques jours avant sa libération. Face à la lenteur de la Cour suprême saisie par sa défense, et à ce qui s’apparente à une fin de non recevoir des demandes des autorités françaises au chef de l’État camerounais d’humanisation du cas d’Atangana, arrivé en fin de peine, son Comité de soutien, conduit par maître Dzouba à Paris, en a appelé aux bons offices du Pape François qui le recevra prochainement.

Ceci étant, le décret du président Paul Biya du 4 septembre 2013 qui autorise désormais le Procureur général près le Tribunal Criminel Spécial, sur instruction du ministre de la Justice, à mettre fin aux poursuites après restitution à l’État des sommes détournées, est une bonne nouvelle pour les défenseurs des différentes personnes incriminées dans le cadre de l’Opération Épervier. C’est ainsi que la justice vient d’abandonner les poursuites à l’encontre de l’ex-ministre de l’Éducation de Base, Haman Adama, qui était détenu depuis février 2010 pour détournement de fonds, après la restitution de 212,5 millions de FCFA soit 324 000 euros. Par la même occasion, une dizaine de personnes poursuivies dans la même affaire ont été libérées. Au total, 369 millions FCFA équivalant à 562 000 euros ont été remboursés au Trésor public par les accusés qui avaient reconnu les faits.

« Il n’y a pas sept personnes honnêtes en RDC »

Hors du Cameroun, au Kenya, Geoffroy Majiwa, maire de Nairobi, a été poussé à la démission suite à une affaire d’achat de terrain. Après lui, c’est Moses Wetangula, ministre kényan des Affaires étrangères, accusé de corruption dans une série de transactions immobilières de son ministère à l’étranger, qui démissionnait afin, disait-il, de laisser l’enquête se poursuivre. Idem pour les ministres de la Santé et de la Pêche qui démissionnèrent en Sierra-Léone. Son de cloche différent en Afrique francophone ou l’Opération Épervier peine à faire florès. En République démocratique du Congo, la lutte contre la corruption risquerait d’entraîner tout le pays derrière les barreaux comme avait semblé l’affirmer le chef de l’État congolais. Peu de temps après son arrivée au pouvoir, répondant à la presse américaine, le Président Joseph Kabila dira : Il n’y a pas sept personnes honnêtes dans ce pays.

De l’autre coté, au Congo Brazzaville, sous la pression des institutions financières internationales, le gouvernement avait institué en 2009 la Commission nationale de lutte contre la corruption, la concussion et la fraude. A ce jour, comble du malheur, elle n’a pu réellement demander des comptes et inquiéter que le président de l’Observatoire Anti-Corruption, Joseph Mapakou, et quatre de ses collaborateurs, en juillet 2013. D’ailleurs, leur arrestation fut perçue par une majorité de congolais comme davantage une Opération Pigeon ou diversion.

En dépit des injustices parfois relevées ainsi que les soupçons de règlements de comptes politiques qui pèsent sur elle, en considération des sommes détournées qui font défaut aux politiques de santé, d’éducation, d’emploi ou d’équipement, l’Opération Épervier qui se poursuit s’avère dissuasive. Et d’aucuns estiment qu’il serait souhaitable qu’elle face plus rapidement des émules sur le continent. Afin, prétendent-ils, de léguer des meilleures conditions de vie aux générations futures, bien éloignées du sous-développement actuel.

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