Mustapha Zitouni : le défenseur qui sacrifia la Coupe du monde pour l’indépendance


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Mustapha Zitouni sous lemaillot de l'AS Monaco
Mustapha Zitouni sous lemaillot de l'AS Monaco

Dans l’histoire du football franco-algérien, peu de destins résument aussi parfaitement les déchirements de l’époque coloniale que celui de Mustapha Zitouni. Né le 19 octobre 1928 à Bologhine (ex-Saint-Eugène) dans la banlieue d’Alger, cet arrière central d’exception incarna une génération prise entre deux patries. Son parcours le mena des pelouses de Monaco aux terrains clandestins de l’équipe du FLN, transformant un brillant international français en symbole de la lutte pour l’indépendance algérienne.

L’apprentissage footballistique de Zitouni débute dans sa ville natale, à l’OM Saint-Eugène, pendant les années d’après-guerre qui voient renaître le sport français. Cette formation initiale, complétée par un passage dans l’équipe militaire d’Algérie, forge les bases techniques d’un défenseur appelé à marquer son époque.

En 1952, la métropole lui tend les bras. L’AS Cannes l’accueille d’abord, mais c’est avec l’AS Monaco, de 1954 à 1958, que Zitouni révèle pleinement son talent. Pendant quatre saisons sous le maillot rouge et blanc, il s’impose comme l’une des références défensives du championnat français. Ses 136 matches avec le club du Rocher construisent une réputation qui dépasse les frontières de la Principauté. Au total, ses 174 matches professionnels en France dessinent le portrait d’un joueur fiable, intelligent dans ses interventions et d’une élégance rare pour un défenseur de cette époque.

L’appel des Bleus et le rendez-vous manqué avec l’histoire

La qualité de ses performances attire logiquement l’attention des sélectionneurs nationaux. Entre 1957 et 1958, Mustapha Zitouni honore quatre sélections avec l’équipe de France, gravissant rapidement les échelons pour s’installer comme un titulaire potentiel. Son match le plus marquant reste cette confrontation face à l’Espagne au Parc des Princes, le 13 mars 1958, où il parvient à contenir les assauts d’Alfredo Di Stéfano, alors au sommet de son art avec le Real Madrid. Impressionné, le Real lui fera un pont d’or pour venir jouer dans le meilleur club du monde. Mais Zitouni énigmatique répondra qu’il va jouer prochainement dans la meilleure équipe du monde.

Cette performance confirme sa place dans le groupe français retenu pour la Coupe du monde 1958 en Suède. Pour un joueur de sa génération, participer à une Coupe du monde, dans une équipe qui fait partie des favorites (la France terminera finalement troisième) représente la consécration ultime. Zitouni touche au but, son rêve semble à portée de main. Pourtant, en avril 1958, lors d’un stage de préparation, il disparaît discrètement, abandonnant derrière lui ses coéquipiers, son statut d’international et ses chances de gloire mondiale.

Le grand saut vers Tunis : naissance d’une équipe révolutionnaire

Cette fuite nocturne relève d’un choix politique mûrement réfléchi. Zitouni rejoint Tunis où se constitue alors une équipe de football révolutionnaire : celle du Front de Libération Nationale (FLN). Cette formation, non reconnue par la FIFA, rassemble des joueurs professionnels évoluant en France qui acceptent de sacrifier leur carrière établie pour porter sur les terrains internationaux la cause de l’indépendance algérienne.

Premier match de l'équipe d'Algérie face à la Bulgarie en 1963
Premier match de l’équipe d’Algérie face à la Bulgarie en 1963

Il s’agit de créer un véritable outil de diplomatie parallèle, utilisant la passion universelle pour le football comme vecteur de sensibilisation à la lutte du peuple algérien. Zitouni devient ainsi l’un des piliers de cette aventure extraordinaire, apportant sa technique, son expérience du haut niveau et sa notoriété acquise en France.

Sous le maillot vert et blanc frappé du croissant et de l’étoile, Mustapha Zitouni entame alors une tournée mondiale qui le mènera aux quatre coins de la planète. L’équipe du FLN sillonne l’Orient, se produit en URSS, en Chine populaire, au Vietnam, disputant près de quatre-vingts rencontres amicales dans des pays souvent sympathisants à la cause des peuples en lutte pour leur indépendance.

L’équipe devient un ambassadeur itinérant, prouvant au monde que l’Algérie existe déjà en tant que nation, qu’elle possède ses propres représentants capables de rivaliser avec les meilleures formations internationales.

Pour Zitouni, ce choix représente un sacrifice personnel immense : renoncer à la lumière des grands stades européens, abandonner la sécurité d’une carrière prometteuse en France, accepter l’incertitude d’un avenir lié au succès incertain d’une révolution.

Le retour au pays : construire l’Algérie nouvelle

L’indépendance algérienne, proclamée en 1962, ouvre un nouveau chapitre dans la vie de Zitouni. Âgé de 34 ans, il retrouve sa terre natale avec la mission de contribuer à l’édification du football algérien officiel. Nommé joueur-entraîneur du RC Kouba de 1964 à 1968, il transmet son expérience internationale à une jeune génération de footballeurs algériens avides d’apprendre.

Cette période post-indépendance le voit également honorer quelques sélections avec l’équipe nationale algérienne désormais reconnue par la FIFA. Ces dernières capes, bien que peu nombreuses, bouclent symboliquement une carrière internationale commencée sous les couleurs françaises et achevée sous le drapeau algérien, incarnant les bouleversements identitaires de son époque.

Après sa carrière sportive, Mustapha Zitouni s’installe à Nice, sur cette Côte d’Azur où il avait brillé sous le maillot monégasque. Il intègre les équipes d’Air Algérie, compagnie qui lui permet de maintenir des liens constants avec son pays d’origine tout en évoluant dans un environnement français qu’il connaît bien.

Cette double appartenance géographique reflète parfaitement sa trajectoire personnelle : homme de deux cultures, il demeure proche de la diaspora algérienne de France tout en conservant des attaches profondes avec l’Algérie indépendante. Sa discrétion naturelle contraste avec l’extraordinaire richesse de son parcours, comme si l’homme préférait laisser parler les actes plutôt que les mots.

Le 5 janvier 2014, Mustapha Zitouni s’éteint à 85 ans. Sa légende perdure parce qu’elle réconcilie deux dimensions apparemment contradictoires : l’excellence sportive et l’engagement politique, la réussite individuelle et le sacrifice collectif, l’appartenance française et l’identité algérienne. Dans un monde contemporain où ces questions identitaires demeurent d’une brûlante actualité, le parcours de Zitouni offre un exemple rare de cohérence entre les actes et les convictions.

L’homme qui a accepté de « troquer un rêve de Coupe du monde contre celui d’une nation » nous rappelle que certains matches se jouent effectivement bien au-delà des lignes de touche, dans les consciences et dans l’Histoire.

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Amadou Atar est une référence dans le monde du football africain. Il est précis et objectif dans ses articles, même si on ne peut lui enlever un penchant historique pour le mythique club français de Saint-Etienne où sont passés plusieurs des plus grands joueurs africains de l'histoire
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