6 janvier 1963 : le jour historique où l’Algérie est née sur un terrain de football


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Premier match de l'équipe d'Algérie face à la Bulgarie en 1963
Premier match de l'équipe d'Algérie face à la Bulgarie en 1963

Quelques mois seulement après la proclamation de l’indépendance, l’Algérie foule pour la première fois une pelouse en tant que nation souveraine. Le 6 janvier 1963, face à la Bulgarie, huitième de finaliste de la Coupe du monde 1962, les nouveaux « Verts » écrivent la première page de leur histoire footballistique. Dans les tribunes bondées du stade municipal d’Alger – aujourd’hui stade du 20-Août-1955 – plus de 20 000 supporters s’entassent dans une enceinte prévue pour 12 000 places. Ils sont les témoins privilégiés d’un moment qui dépasse largement le cadre sportif.

90 minutes qui ont marqué l’Histoire

Le protocole revêt une dimension solennelle : Abdelaziz Bouteflika, alors jeune ministre des Sports, effectue le coup d’envoi symbolique sous le regard attentif du président Ahmed Ben Bella. Le message est clair : ce match relève autant de la diplomatie que du sport.

Sur le terrain, le scénario tient ses promesses. À la 56e minute, l’élégant avant-centre bulgare Gueorgui Asparouhov refroidit momentanément l’enthousiasme du public en ouvrant le score. Mais la riposte algérienne ne se fait pas attendre. Abdelghani Zitouni égalise à la 72e minute, inscrivant ainsi le tout premier but officiel de l’histoire du football algérien. Huit minutes plus tard, Abderrahmane Meziani donne l’avantage aux siens. Score final : 2-1 pour l’Algérie, dans une liesse populaire indescriptible.

L’écho international ne tarde pas. Le sélectionneur bulgare, impressionné par la prestation algérienne, souligne « le tempérament et la qualité technique » d’une équipe qui, quelques mois plus tôt, n’existait pas encore sur les tablettes de la FIFA.

L’héritage de l’équipe du FLN : quand le football servait la cause

Cette victoire du 6 janvier ne sort pas de nulle part. Elle s’inscrit dans la continuité d’une aventure extraordinaire : celle de l’équipe du FLN. De 1958 à 1962, cette sélection officieuse a sillonné l’Afrique, l’Asie et l’Europe de l’Est, disputant près de 80 rencontres pour faire connaître la cause indépendantiste algérienne.

Constituée de professionnels évoluant en première division française, cette équipe jouait sans reconnaissance officielle mais avec un retentissement politique immense. Leur football fluide – ils pratiquaient déjà un 4-2-4 avant l’heure – séduisait les stades et alertait la presse mondiale. L’Algérie existait déjà dans les cœurs, même si le pays n’était pas encore libre politiquement.

Rachid Mekhloufi : l’icône qui a tout sacrifié

Parmi ces pionniers, une figure se détache : Rachid Mekhloufi. Star de l’AS Saint-Étienne et promis à une belle carrière en équipe de France, il prend en avril 1958 une décision qui marquera l’histoire. Avec dix autres joueurs professionnels, il quitte tout pour rejoindre Tunis et revêtir le maillot frappé du croissant et de l’étoile.

Ce sacrifice est immense : il renonce à participer à la Coupe du monde 1958 en Suède et à une carrière européenne prometteuse pour incarner, ballon au pied, la voix d’un peuple en guerre. Son geste résonne bien au-delà des terrains de football.

Après l’indépendance, Mekhloufi poursuit son engagement. Il contribue à structurer la Fédération algérienne de football, mène les « Verts » à la Coupe d’Afrique des Nations 1968, puis les entraîne lors de leur première participation à une Coupe du monde, en 1982 en Espagne. Disparu en novembre 2024 à l’âge de 88 ans, il laisse un héritage qui transcende largement le rectangle vert.

Pourquoi ce 6 janvier 1963 demeure capital

Cette date marque bien plus qu’une simple victoire sportive. Elle constitue un moment fondateur à plusieurs égards.

D’abord, elle inaugure symboliquement la jeune diplomatie algérienne. Chaque geste technique, chaque dribble réaffirme une souveraineté tout juste acquise. Ensuite, elle assure une continuité héroïque : les anciens joueurs du FLN – Mustapha Zitouni, Mohamed Maouche, Mekhloufi lui-même – transmettent leur expérience et leur esprit de résistance aux nouvelles générations.

Sur le plan tactique, cette équipe dirigée par l’entraîneur Kader Firoud adopte un jeu offensif qui deviendra progressivement la marque de fabrique des « Fennecs ». Enfin, et peut-être surtout, ce match crée un ancrage populaire profond. Certains témoins de l’époque parlent même de « deuxième proclamation d’indépendance », tant l’émotion fut palpable dans les rues d’Alger cette nuit-là.

Le 6 janvier 1963 constitue le trait d’union entre la lutte armée et la construction d’un imaginaire collectif national. Sur cette pelouse poussiéreuse du stade municipal d’Alger, l’Algérie est passée du rêve à la réalité.

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Amadou Atar est une référence dans le monde du football africain. Il est précis et objectif dans ses articles, même si on ne peut lui enlever un penchant historique pour le mythique club français de Saint-Etienne où sont passés plusieurs des plus grands joueurs africains de l'histoire
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