
Face aux papabili traditionnels, le cardinal marseillais Jean-Marc Aveline, né en Algérie française, incarne une candidature-pont entre Europe et Afrique dans un conclave où les voix du Sud pèsent plus que jamais.
Alors que le conclave le plus cosmopolite de l’histoire se réunit ce 7 mai 2025, les projecteurs se braquent sur des figures déjà célèbres – les « papabili » traditionnels de la Curie italienne ou latino‑américaine. Et pourtant, dans les conversations de couloirs au Palais apostolique, un nom revient désormais avec insistance : Mgr Jean‑Marc Aveline, archevêque de Marseille et cardinal depuis 2022. Sa singularité ? Être né le 26 décembre 1958 à Sidi‑Bel‑Abbès, en Algérie française.
Si le conclave choisissait Aveline, l’Église se doterait du premier pape natif du continent africain depuis Victor Ier au IIe siècle (189-199) ! Un symbole lourd de sens à l’heure où 20 % des catholiques vivent aujourd’hui en Afrique – et où ce pourcentage grimpe chaque année.
Un profil méditerranéen taillé pour l’universalité
Arrivé à Marseille à l’âge de quatre ans après l’exode des pieds‑noirs, Aveline a grandi dans une cité portuaire où se croisent depuis des siècles Europe, Maghreb et Proche‑Orient. Ce va‑et‑vient incessant de langues, de cultures et de croyances a façonné une spiritualité du « pont » : le cardinal est devenu l’un des artisans les plus en vue du dialogue interreligieux, animant depuis vingt ans l’Institut catholique de la Méditerranée. À Rome, certains y voient le laboratoire idéal pour une Église appelée à panser les fractures identitaires – qu’elles soient religieuses, migratoires ou sociales.
Parce qu’il incarne à la fois l’ancrage européen et une naissance africaine, Aveline coche une case symbolique stratégique : il permettrait de tourner la page d’un papauté perçue comme trop eurocentrée sans déstabiliser l' »ordre romain ». Pour de nombreux cardinaux du Sud, choisir un homme né de l’autre côté de la Méditerranée renforcerait la crédibilité d’une Église qui fait, depuis Vatican II, profession d’universalité mais peine encore à refléter la démographie catholique du XXIᵉ siècle. Or la balance géopolitique du collège électoral évolue vite : 18 électeurs africains sur les 135 votants pèseront dans les alliances de couloir. L’option Aveline leur offrirait un visage familier, sans effaroucher des Européens toujours majoritaires.
Ses atouts : gouvernance, pastorale et consensus
- Expérience pastorale « de frontière » : Marseille, diocèse populaire et composite, sert de banc d’essai aux réformes sociales d’inspiration franciscaine – accueil des migrants, lutte contre la pauvreté, transition écologique du littoral. La « ville monde » comme elle est appelée, est un lieu unique d’universalité.
- Proximité avec François : le pape sortant l’a personnellement créé cardinal lors du consistoire du 27 août 2022, puis l’a choisi pour prononcer la méditation de Carême au Vatican en 2024 – un honneur généralement réservé à des théologiens de poids. Enfin, François est allé a Marseille pour un de ses derniers grands déplacement.
- Style collégial : loin des clans curiaux, Aveline passe pour un « unificateur » capable de parler aussi bien aux conservateurs africains soucieux de morale qu’aux modérés d’Europe occidentale attachés aux ouvertures du pontificat précédent.
- Ses faiblesses : profil encore « local » et questions de langue car même si son italien s’est nettement amélioré – il a surpris les journalistes par une intervention impeccable à la congrégation générale de début mai – Aveline reste moins rompu que d’autres à la diplomatie vaticane. Certains hauts prélats latino‑américains jugent qu’il manque d’un réseau mondial comparable à celui d’un cardinal Tagle ou Zuppi.
Le contexte historique : une première depuis 18 siècles
L’élection d’un pape né en Afrique constituerait un jalon historique majeur. Le dernier pontife d’origine africaine, Victor Ier (189-199), était né en Libye et devint le 14e pape de l’histoire. Son pontificat fut marqué par la controverse pascale et l’affirmation de l’autorité romaine. Depuis, aucun Africain n’a accédé au trône de Pierre, malgré l’importance croissante du continent dans la vie de l’Église, particulièrement depuis la décolonisation.
Trois facteurs convergent en 2025 pour rendre cette élection « africaine » plausible : la démographie galopante du catholicisme subsaharien, la crise des vocations en Europe, et l’accent mis par François sur les « périphéries » de l’Église. Le conclave actuel compte le plus grand nombre de cardinaux non-européens de l’histoire, créant une fenêtre d’opportunité inédite.
Le calcul du conclave : un compromis crédible
La logique électorale d’un conclave repose souvent sur la recherche d’un profil de transition capable de mettre en œuvre un programme clair sans régner trop longtemps. Agé de 66 ans, Aveline remplit cette équation : assez jeune pour porter des réformes, assez mûr pour n’inquiéter personne par un règne de plusieurs décennies. Et surtout, sa biographie illustrerait une Église « méditerranéenne » tournée vers l’Afrique – là même où se joue en partie son avenir.
Les bookmakers romains ne s’y trompent plus : si l’on cherche un pontife qui parle d’une voix « catholique » (universelle), quoi de plus parlant qu’un enfant d’Algérie devenu pasteur de Marseille, capitale des migrations méditerranéennes ?
La route de Jean‑Marc Aveline vers la chaire de Pierre reste semée d’aléas diplomatiques et d’équilibres internes. Mais sa candidature confirme qu’en 2025, le centre de gravité du catholicisme glisse inexorablement du Nord au Sud – et l’Église pourrait choisir d’incarner ce mouvement historique en élisant un pape qui porte dans sa biographie même ce passage de frontière.