
Dans les couloirs feutrés du Vatican, un nom revient avec insistance parmi les potentiels successeurs du pape François. Celui de Robert Sarah, cardinal guinéen de 79 ans, figure de proue du catholicisme traditionnel et chouchou des médias conservateurs. Portrait d’un homme qui divise l’Église autant qu’il fascine les milieux traditionalistes.
À l’approche du prochain conclave, prévu pour le 7 mai 2025, les regards se tournent vers ce prélat africain au verbe tranchant. Robert Sarah n’est pas un cardinal comme les autres. Né dans un modeste village guinéen en 1945, ce fils de paysans convertis au catholicisme a gravi tous les échelons de la hiérarchie ecclésiastique pour devenir l’une des voix les plus influentes – et controversées – de l’Église contemporaine.
De la Guinée au Vatican : l’ascension d’un rigoriste
Ordonné prêtre en 1969, il devient évêque de Conakry à seulement 34 ans. Après avoir dirigé le séminaire régional de Dakar, sa carrière prend une dimension internationale lorsqu’il est appelé à Rome en 2001 comme secrétaire de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples. C’est Benoît XVI qui le crée cardinal en 2010, avant que François ne le nomme, quatre ans plus tard, préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, poste qu’il occupera jusqu’en 2021.
Dans ce rôle stratégique, Sarah s’est imposé comme le gardien intransigeant d’une liturgie traditionnelle, n’hésitant pas à entrer en conflit avec les orientations plus progressistes du pape François. « Abolir la messe tridentine est une insulte à l’histoire de l’Église« , a-t-il déclaré, qualifiant le projet de restriction du rite ancien de « diabolique » et d’atteinte à une tradition de 1 600 ans.
Un discours sans compromis face au « relativisme«
Le cardinal guinéen ne mâche pas ses mots. S’inspirant ouvertement de la pensée de Benoît XVI, il dénonce régulièrement « une dictature du relativisme qui n’accepte rien comme définitif et ne laisse que l’ego et ses désirs comme mesure ultime« . Sa croisade contre ce qu’il nomme la « gender ideology » est particulièrement véhémente, la qualifiant de « menace pour la société » et s’opposant à toute reconnaissance des unions homosexuelles.
Sur les dossiers brûlants qui agitent l’Église depuis une décennie, Sarah a systématiquement adopté la ligne la plus conservatrice : refus catégorique d’admettre à la communion les divorcés remariés, opposition à l’ouverture envers les personnes LGBT+, méfiance envers les réformes de la curie romaine impulsées par François.
Plus étonnant pour un prélat africain, il s’est également illustré par ses critiques des politiques migratoires occidentales, décrivant la grande migration comme « une nouvelle forme d’esclavage » et appelant à défendre les « racines chrétiennes de l’Occident » – un discours qui résonne particulièrement dans certains milieux européens.
L’Afrique, nouvelle puissance catholique
La montée en puissance de Robert Sarah s’inscrit dans un contexte plus large : celui d’une Église qui penche de plus en plus vers le Sud, avec un poids croissant du continent africain. Représentant aujourd’hui près de 20% des fidèles catholiques (contre 9% en 1970), l’Afrique envoie un nombre croissant de cardinaux au conclave, modifiant progressivement l’équilibre des forces au sein du Sacré Collège.
Cette évolution démographique tend à renforcer la voix conservatrice au sein de l’Église, les prélats africains étant généralement attachés à une doctrine traditionnelle sur les questions de famille, de sexualité et de liturgie. Un atout pour Sarah, qui incarne cette tendance avec une éloquence rare.
Le « pape de Bolloré » ?
En France, le nom de Robert Sarah est devenu indissociable de celui d’un homme d’affaires : Vincent Bolloré. Le milliardaire breton, dont le groupe contrôle de nombreux médias, ne cache pas son admiration pour le cardinal guinéen et lui offre une visibilité certaine. En
juillet 2022, Paris Match – alors récemment passé sous le contrôle de Vivendi, holding de Bolloré – consacrait sa « une » à Robert Sarah, provoquant une fronde interne au magazine et des accusations d’instrumentalisation idéologique. Sur CNews, chaîne d’information du même groupe, le cardinal est régulièrement présenté comme le successeur idéal de François, au point d’être surnommé « le chouchou de Bolloré » par certains observateurs.
Cette promotion médiatique inédite pour un cardinal témoigne aussi d’une stratégie de « soft power » à l’approche d’un futur conclave, où les réseaux d’influence joueront un rôle non négligeable.
Un papabile clivant
En 2017, le cardinal Sarah avait tenté de maintenir l’autorité du document Liturgiam Authenticam (2001) contre la délégation accrue aux conférences épiscopales voulue par François, ce qui lui avait valu une réprimande publique de la part du pape. Cet épisode illustre les tensions entre deux visions de l’Église qui s’affrontent : d’un côté, l’ouverture et la décentralisation prônées par le pape argentin ; de l’autre, le retour à une orthodoxie stricte défendue par Sarah.
Si son âge (79 ans) pourrait constituer un handicap dans la course à la papauté, ses positions tranchées et son origine africaine pourraient séduire les cardinaux en quête d’un pontificat de rupture après celui de François. Dans une Église déchirée entre progressisme et tradition, le profil de Robert Sarah incarne clairement l’option d’un retour au « rigorisme pré-Vatican II ».
Reste à savoir si cette ligne dure, puissamment relayée par des médias conservateurs, saura convaincre la majorité des cardinaux électeurs lorsque viendra l’heure du conclave.