
45 000 spectateurs massés autour du Vieux-Port, des youyous qui résonnent jusqu’à la Canebière, des drapeaux algériens qui flottent dans la nuit marseillaise : le 26 juillet dernier, Kader Japonais et Amine Babylone ont transformé la cité phocéenne en capitale du raï le temps d’une soirée mémorable. Un succès populaire indéniable qui révèle, une fois de plus, le fossé béant entre deux visions de la France méditerranéenne.
Dans le cadre de l’Été marseillais, festival organisé par la ville du 21 juin au 14 septembre, la programmation du 26 juillet avait tout d’un événement. Sur la scène flottante installée face à l’Hôtel de Ville, Kader Japonais, figure emblématique du raï moderne avec sa voix rauque caractéristique, a électrisé la foule. Originaire du quartier populaire de Bab-El-Oued à Alger, l’artiste a enchaîné ses tubes – « Mamamia », « Djarhi ma bra' », « Hkaya : Holm » – repris en chœur par des milliers de voix.
Amine Babylone, leader du groupe Babylone depuis 2012, a poursuivi la soirée en ouvrant son set avec le mythique « Ya Zina ». Entre pop méditerranéenne, influences berbères et sonorités modernes, l’artiste de Tipaza incarne cette nouvelle génération qui réinvente la musique algérienne sans renier ses racines. « Choufou », « L’amour ma der fiya » – chaque titre a fait vibrer un public transgénérationnel, des grands-mères berbères aux adolescents nés à Marseille.
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Le DJ Mehtoze, formé à l’Akademix de DJ Djel (Fonky Family), assurait les transitions avec ses sélections éclectiques mêlant musiques du Maghreb, hip-hop et sons électroniques. Une soirée qui a confirmé Marseille dans son rôle de carrefour méditerranéen où les cultures se rencontrent et fusionnent naturellement.
La droite crie au scandale
Mais ce qui n’était qu’une belle soirée d’été pour les 45 000 spectateurs présents s’est rapidement transformé en polémique politique. Catherine Pila, cheffe de file LR au conseil municipal et vice-présidente du parti de Bruno Retailleau, a adressé un courrier cinglant au maire Benoît Payan, dénonçant un « choix de programmation maladroit et provocateur« .
écrit l’élue, qui exige de connaître « le coût exact de ces festivités, dans le détail, ainsi que les montants précis touchés par les différents artistes. »
La mairie assume et contre-attaque
Face à ces critiques, la riposte de la municipalité ne s’est pas fait attendre. Samia Ghali, maire adjointe en charge de l’Été marseillais et des relations méditerranéennes, a balayé les accusations dans un courrier-réponse : « Les choix de Kader Japonais et Babylone ne sont ni maladroits ni provocateurs : ils ont réuni 45 000 Marseillais venus de tous les horizons pour chanter, danser et célébrer Marseille. »
L’élue, elle-même d’origine algérienne, rappelle « qu’avant d’être arabes ou algériens, ces artistes sont avant tout des stars internationales qui nous ont fait l’honneur de choisir Marseille pour se produire. » Elle souligne que « depuis le début de l’été marseillais, la scène sur l’eau met à l’honneur des musiques et des influences diverses » et que ces concerts « rappellent ce qu’est Marseille : une ville jeune, vivante et fraternelle. »
La maire adjointe conclut avec fierté : « Marseille continuera de célébrer la Méditerranée et d’accueillir les artistes qui font vibrer les cœurs, de la Corse aux montagnes du Rif, en passant par Beyrouth, Naples ou Alger. »
Le paradoxe est frappant : alors que le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau – dont Catherine Pila est proche – multiplie les déclarations hostiles sur l’immigration maghrébine, Marseille démontre sur le terrain qu’une autre approche est possible. Les 45 000 spectateurs venus applaudir Kader Japonais et Amine Babylone n’étaient pas là pour faire de la politique, mais pour vivre un moment de joie collective.
Marseille, laboratoire d’une France méditerranéenne
Cette polémique autour du concert de Kader Japonais et Amine Babylone révèle deux conceptions irréconciliables de la France. L’une, crispée et nostalgique, qui voit dans chaque drapeau algérien une provocation. L’autre, pragmatique et ouverte, qui assume les liens historiques et humains tissés entre les deux rives de la Méditerranée.
Marseille ne donne pas de leçons – elle vit, tout simplement, ce que d’autres théorisent ou diabolisent. Les youyous qui ont résonné sur le Vieux-Port ce 26 juillet racontent une histoire : celle d’une ville qui a choisi de transformer sa diversité en richesse plutôt qu’en problème.
Le festival continue jusqu’au 14 septembre.