Maroc-Espagne : les îles Canaries, nouveau théâtre d’une guerre d’influence militaire


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Le roi Mohammed VI et Pedro Sanchez
Le roi Mohammed VI et Pedro Sanchez

Au large des îles Canaries, une montée en puissance militaire discrète mais significative s’opère entre le Maroc et l’Espagne. Entre exercices intensifs, coopération stratégique avec les grandes puissances et présence prolongée dans des zones sensibles, les deux pays redéfinissent leurs rapports de force dans cette région clé de l’Atlantique. Au cœur de ces manœuvres : la maîtrise des espaces aériens, maritimes et technologiques. L’archipel devient ainsi un point névralgique des tensions euro-africaines.

Depuis plus de deux ans, le Maroc et l’Espagne multiplient les démonstrations de force au large des îles Canaries, transformant cette région en un véritable laboratoire d’essais militaires. Des exercices terrestres, maritimes et aériens s’enchaînent à un rythme inédit, soulignant l’importance stratégique croissante de cet archipel dans les équilibres euro-africains.

D’après les données officielles mises à jour en juin 2025, plus de 560 jours d’exercices militaires ont été enregistrés autour des Canaries, répartis entre les deux rives du détroit. Si les forces espagnoles privilégient des opérations courtes mais technologiquement avancées, le Maroc mise sur une présence militaire continue et soutenue, notamment dans les zones maritimes proches du Sahara occidental.

Deux visions, deux stratégies militaires

L’Espagne semble s’inscrire dans une logique d’intégration à l’OTAN et à ses standards d’interopérabilité. Des exercices comme Sirio 2022 et 2024, ou encore Eagle Eye 24-03 et 25-01, visent à perfectionner la défense aérienne, la guerre électronique et la coordination interarmes. La durée relativement courte de ces manœuvres, souvent entre 5 et 25 jours, contraste avec leur intensité et leur précision technologique.

À l’inverse, le Maroc semble adopter une stratégie d’occupation durable de la zone. Le royaume a ainsi conduit des manœuvres navales pendant 122 jours consécutifs en 2024 dans les eaux du Sahara, non loin de Fuerteventura. Cette présence quasi permanente traduit une volonté d’affirmation territoriale et de projection de puissance, notamment dans un contexte de revendications historiques et géopolitiques autour des eaux sahariennes.

Une coopération renforcée avec les États-Unis

Le Maroc ne mène pas ces opérations en solitaire. Le royaume renforce chaque année sa coopération militaire avec les États-Unis, notamment à travers l’exercice African Lion, considéré comme le plus important du continent africain. Lors de l’édition de 2025, ce sont plus de 10 000 soldats de 30 pays qui ont été mobilisés, confirmant le rôle de pivot régional que Rabat entend jouer.

Outre African Lion, le Maroc a également pris part à des opérations stratégiques telles que Cyberdef-24 ou Obangame Express, sous la houlette de la Sixième flotte américaine. Ces exercices, centrés sur la guerre électronique, la cybersécurité et la lutte contre la piraterie, sont la preuve de l’ancrage progressif du Maroc dans l’architecture sécuritaire atlantique.

Une militarisation accrue des airs et des eaux

L’aspect le plus préoccupant pour les autorités espagnoles reste sans doute l’usage massif des drones armés par le Maroc, avec 365 jours d’opérations continues entre 2023 et 2024. Ces actions, bien que discrètes et non annoncées comme des exercices, ont donné lieu à plusieurs frappes enregistrées par la MINURSO à proximité du mur de séparation au Sahara.

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L’armée espagnole, de son côté, a répondu par une intensification de ses propres dispositifs de défense aérienne dans les îles Canaries. Les manœuvres navales Sinkex 23 et Sinkex 25, organisées dans les eaux proches de l’archipel, ainsi que plusieurs journées d’entraînement maritime, traduisent une montée en vigilance face à ce que certains à Madrid perçoivent comme une provocation militaire indirecte.

Compétition larvée pour le contrôle de l’espace stratégique

La montée en puissance militaire dans cette région s’explique en grande partie par la position stratégique des îles Canaries, situées au croisement des routes maritimes entre l’Europe, l’Afrique de l’Ouest et l’Amérique latine. Longtemps considérées comme un avant-poste espagnol, elles deviennent aujourd’hui un point névralgique dans la rivalité entre Rabat et Madrid. Bien que les gouvernements des deux pays continuent d’afficher leur volonté de coopération, les signaux militaires indiquent une compétition larvée pour le contrôle de l’espace stratégique euro-africain.

Ces manœuvres répétées sont révélatrices de la tension régionale. Le Maroc affirme de plus en plus son statut d’acteur incontournable de la sécurité africaine, avec une armée modernisée et tournée vers des partenariats stratégiques, notamment avec les États-Unis et l’OTAN. L’Espagne, de son côté, renforce sa posture défensive dans l’Atlantique et au Sahel, en lien avec ses engagements européens et atlantiques.

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Je suis passionné de l’actualité autour des pays d’Afrique du Nord ainsi que leurs relations avec des États de l’Union Européenne.
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