
Alors que cinquante-cinq des cinquante-sept États membres de l’Union africaine ont reconnu la Palestine, l’Érythrée demeure, avec le Cameroun, l’unique pays du continent à lui refuser ce statut. Ce choix se nourrit d’une géopolitique maritime très particulière, d’une idéologie d’autonomie radicale et d’un système politique fermé où n’existe aucune pression citoyenne pour infléchir la ligne officielle.
Dès son indépendance en 1993, le régime d’Isaias Afwerki a troqué l’absence quasi totale d’investissements étrangers contre une coopération sécuritaire avec Israël. Tsahal dispose, selon des rapports de renseignement, d’équipes navales dans l’archipel des Dahlak et d’un poste d’écoute installé sur le mont Emba Soira, dominant le détroit de Bab-el-Mandeb ; l’objectif est de surveiller la navigation et les mouvements iraniens en mer Rouge.
Même la fermeture officielle de l’ambassade israélienne à Asmara en 2022, consécutive à un désaccord protocolaire, n’a pas mis fin à ces échanges militaires qui se poursuivent de manière officieuse.
Pour le président Afwerki, cette présence israélienne est un double atout : elle garantit une forme d’assurance-vie contre des rivaux comme l’Éthiopie ou le Soudan et elle sert de monnaie d’échange dans les négociations avec Washington et Bruxelles sur les sanctions.
L’isolement ideologique d’un régime dans pression interne
Isaias Afwerki exprime depuis des années une hostilité de principe à la solution à deux États, la qualifiant de « poudre aux yeux » destinée à « tromper les peuples ».
Cette position s’inscrit dans une doctrine plus large : l’Érythrée se veut un pays « ni bloc-ni-aligné », persuadé que toute concession à une majorité internationale entamerait sa souveraineté. L’absence d’élections pluralistes depuis 1993, la répression des médias et le service militaire illimité empêchent toute mobilisation populaire susceptible de réclamer la reconnaissance de la Palestine.
Enfin, l’isolement diplomatique – entretenu depuis les sanctions onusiennes de 2009 et leur possible réactivation – renforce la tentation de défier les consensus mondiaux pour montrer l’indépendance d’Asmara.
En l’état, seule une redéfinition de la sécurité régionale autour de la mer Rouge ou un changement de leadership à Asmara pourrait lever ce veto érythréen. D’ici là, la solidarité africaine envers la Palestine restera incomplète d’une dernière lacune sur la côte de la mer Rouge. Avec l’Erythrée, le Cameroun est le seul autre pays africain a ne pas avoir reconnu l’Etat de Palestine.