
L’Afrique se trouve à un carrefour numérique décisif. Alors que l’adoption des smartphones devrait bondir de 51 % à 87 % d’ici 2030 en Afrique subsaharienne, et que la consommation de données mobiles pourrait quadrupler, le continent fait face à un défi paradoxal : comment alimenter cette révolution numérique quand l’accès même à l’électricité reste problématique pour des millions d’habitants ?
Un retard infrastructurel à combler
Avec seulement 223 centres de données répartis dans 38 pays, soit moins de 0,02 % du parc mondial, l’Afrique dépend encore largement des infrastructures européennes pour traiter ses données. Cette situation devient intenable alors que les utilisateurs africains exigent des performances comparables à celles disponibles ailleurs. Cela signifie latence réduite, débits accrus, applications d’intelligence artificielle gourmandes en ressources.
Le marché des centres de données africains, évalué à 3,5 milliards de dollars en 2024, devrait doubler pour atteindre 6,8 milliards d’ici 2030. Mais cette croissance se heurte à une réalité brutale : au Nigeria, troisième pays africain en nombre d’installations, le réseau électrique ne fournit en moyenne que quatre heures d’électricité quotidienne, contraignant les opérateurs à recourir massivement aux générateurs diesel.
L’opportunité d’un cercle vertueux
C’est précisément dans cette contrainte que réside une opportunité. La demande prévisible et constante des centres de données, estimée à 2 GW d’ici 2030 pour le continent, offre aux investisseurs la visibilité nécessaire pour financer des infrastructures électriques plus robustes. Les réseaux modernisés bénéficieraient alors à l’ensemble des utilisateurs, résidentiels comme industriels.
Plusieurs pays ont déjà saisi cette dynamique. Le Kenya, dont le mix électrique comprend plus de 60 % d’énergies renouvelables, accueillera un centre de données écologique de 100 MW dans sa zone géothermique de Naivasha, soutenu par Microsoft et G42. L’Afrique du Sud multiplie les projets solaires, tandis que l’Algérie, le Maroc et l’Égypte misent sur leur position de carrefour entre Europe, Afrique et Moyen-Orient.
Des modèles adaptés aux réalités locales
La diversité du continent impose des approches différenciées. Les pays disposant de ressources hydrauliques, géothermiques ou solaires abondantes peuvent viser directement des solutions bas-carbone. D’autres, confrontés à des contraintes hydriques devront peut-être s’appuyer sur des pools énergétiques régionaux ou sur leurs ressources en hydrocarbures pour assurer la fiabilité indispensable aux opérateurs. En effet, le refroidissement des serveurs consomme beaucoup d’eau ce qui est un problème de taille pour des pays en stress hydrique.
Cette flexibilité pragmatique, combinant énergies renouvelables et conventionnelles selon les contextes, pourrait permettre à l’Afrique de transformer un handicap apparent en levier de développement. Les centres de données ne sont pas qu’une question technologique : ils touchent aux infrastructures, à la souveraineté des données, à la compétitivité économique et, in fine, à l’amélioration des conditions de vie de populations entières.



