
Dans un contexte de chômage endémique et de déficit de transports urbains, le métier de « bensikineur » s’impose comme une alternative incontournable pour des milliers de Camerounais, en ville comme en zone rurale. Entre risques, nécessité et absence de politique d’insertion, le secteur du transport à moto bouleverse le quotidien national et révèle l’urgence de solutions pour l’emploi des jeunes et la sécurité routière.
Autrefois, la moto servait uniquement à son propriétaire pour faire ses courses. Mais à cause du taux de chômage très élevé, du nombre très réduit de bus de transport urbain et de la rareté des voitures de couleur jaune (taxis), cet engin à deux roues a fini par être adopté dans le quotidien des populations camerounaises, aussi bien en zones urbaines que rurales.
Ce métier de transporteur à moto, autrement appelé « bensikineur », est accessible à toutes les couches de la population. Pour exercer comme transporteur à moto dans notre pays, il faut posséder une moto, un permis de conduire de catégorie A, souscrire une police d’assurance et s’acquitter de l’impôt libératoire.
Le secteur des Moto-taxis utilisé par tous les publics
Dans ce secteur d’activité, on retrouve des élèves, étudiants, pasteurs, retraités, illettrés, diplômés, travailleurs ou chercheurs d’emploi. Nous constatons, pour le déplorer, que bien qu’utile d’une manière ou d’une autre, ce secteur d’activité a déjà rendu de nombreuses personnes infirmes et en a envoyé d’autres au-delà.
Selon l’ancien de l’Église George N. : « J’exerce ce métier malgré moi. Il est vrai que tous les métiers comportent des risques, mais dans celui de transporteur à moto, ils sont énormes. Je puis même dire que c’est un métier très dangereux. Il suffit d’un tiers de distraction : soit c’est votre peau que vous laissez sur le goudron, soit c’est la vie que vous perdez. Pour vérifier la dangerosité de ce métier, je vous invite au pavillon des bensikineurs à l’hôpital Laquintinie de Douala. Dès votre arrivée, vous verrez des pieds suspendus depuis des mois, voire des années, des plâtres posés sur différentes parties du corps, et des paires de béquilles à côté des lits des accidentés. À votre sortie de ce pavillon, si vous vous y êtes rendu avec votre moto, et que vous n’êtes pas moralement fort, vous pourriez abandonner votre engin à cet endroit. »
Le gouvernement fautif
« Avant que je ne me lance dans ce métier, au vu des disputes et même des bagarres avec la clientèle, des insultes à longueur de journée entre usagers de la route, des gros blousons doublés et des vieux chapeaux que portent ces conducteurs, je me demandais s’ils étaient tous des analphabètes, des fumeurs de chanvre ou des agresseurs, puisqu’on enregistre régulièrement des cas de sacs arrachés…
Mais en y entrant, pour échapper à l’oisiveté, lorsque nous avons mis sur pied le bureau de notre syndicat de transporteurs à moto, j’y ai vu des diplômés dans divers domaines. J’avoue que j’en ai eu les larmes aux yeux, car j’ai constaté que nos dirigeants n’ont rien prévu pour résorber le chômage. Ils ont créé de grandes écoles et des centres de formation professionnelle, mais aucune véritable politique d’insertion des jeunes en fin de formation dans le monde du travail. Dans leurs discours, nos dirigeants félicitent les bensikineurs pour le travail qu’ils abattent quotidiennement, mais rien de concret n’est fait pour eux », indique le plombier Félix O.
« Comment un enfant sur qui les parents ont investi peut-il, malgré son âge déjà avancé, non seulement habiter encore au domicile familial, mais continuer à être une charge pour eux ? Est-ce normal ? Il faut donc que nos dirigeants mettent en place de véritables politiques d’insertion afin que le taux de chômage baisse considérablement », conclut-il.
Moto-taxi, un second travail
« Je suis employé dans une société de la place. Ma moto m’aide à payer le petit-déjeuner de mes enfants, bref, à arrondir les fins de mois. Avant de prendre mon service, que ce soit le matin ou le soir, je transporte des passagers d’un point à un autre, mais jamais dans les zones interdites aux moto-taxis. Les autorités ont tout fait pour que les bensikineurs soient identifiés en arborant des chasubles par arrondissement. Mais cette opération a toujours échoué. En observant bien, on constate que beaucoup de personnes de moralité douteuse exercent dans ce milieu. Ces dernières s’opposent énergiquement à une opération pourtant louable », explique le boulanger René H.
« Agriculteur de mon état, je partage mon quotidien entre le transport à moto et ma plantation. Contrairement à certains jeunes qui ont abandonné les travaux champêtres pour se rabattre sur le métier de transporteur à moto, lorsque je n’ai pas grand-chose à faire à la plantation, je mets ma moto en route. Je parcours les villages, et le tarif varie (à partir de 1 000 F CFA) selon la distance et l’état de la route. Ce métier nourrit bien son homme, mais il cause aussi de nombreux dégâts : paralysies et décès. Je reconnais néanmoins l’utilité de ma moto, aussi bien pour aller au champ que pour transporter les récoltes », déclare l’agriculteur Jean-Pierre F.
Mieux payé à la campagne qu’en ville
« Comme avantage de ce métier, il a permis à beaucoup de jeunes de retourner au village, tout simplement parce que le tarif y est plus élevé qu’en ville (100 F CFA et plus) », ajoute-t-il.
Pour la couturière Pascaline T. : « Lors du confinement provoqué par les récentes revendications postélectorales, j’ai vu la véritable misère des populations camerounaises. J’ai constaté que beaucoup de gens vivent au jour le jour. Cela signifie que si une personne ne mène aucune activité pendant la journée, elle n’aura rien, absolument rien, pour se nourrir. N’oublions pas que si le confinement avait duré plus de sept jours, la famine aurait pu pousser les gens à descendre dans la rue, malgré la forte présence des policiers, gendarmes et militaires, tous armés jusqu’aux dents. Et pour quel but ? »





