Roland Romuald Gbohoui, 24 ans : le technicien béninois qui a conçu un scooter électrique performant


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Roland Romuald Toyigbéna Gbohoui - vélo électrique Bénin

À 24 ans, Roland Romuald Toyigbéna Gbohoui défie les clichés. Dans son atelier de Bohicon, ce jeune ingénieur béninois a conçu de ses mains un scooter électrique performant, pensé pour les routes africaines et accessible à moindre coût. De l’enfant bricoleur fasciné par les drones au diplômé en ingénierie énergétique, son parcours raconte une conviction : l’Afrique peut inventer ses propres technologies, sans attendre qu’elles viennent d’ailleurs. Dans un entretien exclusif accordé à Afrik.com, il revient sur son parcours, ses ambitions et sa vision de l’électromobilité en Afrique.

Afrik.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs : qui est Roland Romuald Gbohoui ?

Je suis Roland Romuald Toyigbéna GBOHOUI, originaire de Wokou (un village de la commune de Djidja). J’ai 24 ans, je réside dans la commune de Bohicon et j’ai soutenu ma Licence Professionnelle en Equipements Motorisés avec la mention excellente le 23 juillet 2025 à l’Ecole Nationale Supérieure de Génie Énergétique et Procédés (ENSGEP) de l’Université Nationale des Sciences, Technologie, Ingénierie et Mathématiques (UNSTIM) d’Abomey.

Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à la mécanique et à l’ingénierie ?

Depuis le primaire, je faisais déjà de petites fabrications. Je fabriquais surtout des répliques à échelle réduite des camions puisque mon père est transporteur et donc possède des camions. J’adorais déjà fabriquer ou rendre mes jouets à mon goût. J’aimais apporter ma touche personnelle. 

Lorsque j’ai commencé le collège après mon CEP, mes camarades m’ont fait découvrir les Cybercafé. Alors là, j’ai commencé à y dépenser tout mon argent de poche, presque toutes mes heures libres sont passées dans les Cybercafés. Je recherchais les thèmes comme : comment fonctionne un frigo ; comment vole un avion ; comment fabriquer un hélicoptère, etc.

En classe de 4ème, j’ai découvert l’existence des Drones. J’en voulais tellement que j’ai commencé à mener des recherches pour en fabriquer un drone quadricoptère. J’utilisais les bidons 1L de l’huile à moteur « National » pour fabriquer les pales des hélices du drone, les moteurs de vieux lecteurs CD qui font office de moteur pour le drone. Avec beaucoup de tentatives, j’ai réussi à avoir quelque chose qui donnait un effet de sustentation (décolle de quelques centimètres seulement et c’était tout). C’est là que j’ai commencé à approfondir les recherches pour connaître les formules que je pouvais utiliser pour que cela fonctionne mieux, mais mon niveau d’étude ne me permettait de comprendre que peu de chose aux formules. C’est là que j’ai commencé à m’intéresser aux études universitaires en ingénierie.

En classe de 3ème, tous mes proches m’ont conseillé de m’inscrire au Lyteb (Lycée Technique de Bohicon) après le BEPC, mais moi je voulais avoir un peu plus de notions en science physique, en mathématiques, en français et en anglais parce que j’avais très tôt pris conscience de leur importance.

En classe de 2nd C, j’ai réussi à fabriquer un système de verrouillage/déverrouillage à distance en utilisant l’émetteur et le récepteur de la commande d’une moto Dream. En Classe de Terminale, j’ai découvert que je pouvais aussi poster des vidéos sur YouTube et j’ai publié ma fabrication que vous pouvez voir ici.

YouTube video

Après le Bac (série C) en 2022 avec la mention Assez-Bien au CEG5 Bohicon, je pouvais postuler aux écoles techniques universitaires, mais il y avait un obstacle de taille : j’ai cumulé au primaire trois ans de retard académique suite aux changements d’école et à un certain retard en raison de mon niveau. Du coup, à l’obtention de mon Bac, j’avais déjà 21 ans. Or l’âge maximal pour prétendre à la bourse d’étude universitaire est 21 ans. La fenêtre de tire était tellement serrée et je savais avant la Terminale que je n’aurai pas une deuxième chance si je voulais de cette bourse. J’ai alors fait de mon mieux en donnant le meilleur de moi-même pour avoir le Bac d’un coup. Et les planètes étant alignés, j’ai non seulement eu le Bac, mais ai aussi été classé dans une école d’ingénierie et dans une filière que j’ai choisie.

Comment est née l’idée de fabriquer un scooter électrique au Bénin ?

Lorsque j’ai commencé la première année universitaire, j’avais eu le besoin d’un moyen de déplacement. Etant donné que je n’avais pas les moyens financiers, il me fallait un mode de transport qui me coûte le moins possible à l’usage et à l’entretien. Le mode de transport qui m’est techniquement le mieux adapté est alors un véhicule électrique deux-roues. J’étais déjà passionné des véhicules électriques et donc je me suis dit que je pouvais en fabriquer un à mon goût, car je m’en sentais capable et c’était la meilleure option pour moi tant pour acquérir de nouvelles connaissances que pour élargir mon horizon. 

Quelles ont été les principales étapes de la conception ?

D’abord j’ai commencé par recenser toutes les fonctionnalités dont j’ai besoin ainsi que les améliorations à apporter, et ceci en fonction de l’utilisation que je veux en faire. Ensuite, j’ai effectué le dimensionnement du groupe motopropulseur et celui de la batterie qu’il me faut pour l’autonomie que je voulais (70 km).

Par la suite, j’ai démarré avec la CAO (Conception Assistée par Ordinateur) puis la FAO (fabrication Assistée par Ordinateur). Et enfin, j’ai lancé la fabrication avant de procéder aux tests.

Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?

La mise en œuvre de ce projet a été jalonnée par plusieurs contraintes organisationnelles, techniques, financières et temporelles. La conception, la fabrication, l’approvisionnement en pièces détachées et l’intégration électronique ont nécessité une coordination rigoureuse. J’ai également été confronté à l’indisponibilité de certains équipements spécialisés et au manque de professionnels (certaines prestations sous-traitées auprès de partenaires extérieurs n’ont pas été réalisées avec le niveau d’expertise attendu).

Mais toutes ces difficultés n’ont pas été un frein au développement de ce véhicule, car pour chaque problème que je rencontrais, je trouvais une alternative. 

Quelles sont les performances de votre scooter ?

En moyenne, l’autonomie de ce deux roues est de 70 km contre environ 200 Fcfa de facture d’électricité par recharge domestique, ZERO émission polluante à l’utilisation, une suspension adaptée à notre réseau routier. Rechargeable de 0 à 100 % en moins de 3 heures, ce véhicule peut atteindre une vitesse de pointe de 45 km/h. 

Pensez-vous que ce type de véhicule peut s’imposer en Afrique de l’Ouest ?

Oui, puisqu’il est d’abord innovant, écologique, adapté à nos réalités et participe à la promotion du label MADE IN BENIN. De plus, face à la flambée des prix des motos à essence et à l’augmentation des coûts des combustibles fossiles, ce véhicule offre un rendement énergétique supérieur (plus de 80 %, contre 25 % à 35 % pour les véhicules thermiques) et s’appuie sur les tarifs avantageux de l’énergie électrique. Par ailleurs, des études ont montré qu’au Bénin, 39% des usagers de la route sont à moto et dans 85% des cas, ils sont seuls soit sur leur moto ou dans leur voiture.

Comment vos proches et vos collègues accueillent-ils votre innovation ?

Roland Romuald Toyigbéna Gbohoui - vélo électrique Bénin - Soutenance

Au départ, ils ne croyaient pas que je ne pouvais faire une telle réalisation. La plupart de mes camarades me disaient qu’avec ma méthode de CAO, pour faire la réalisation d’un coup sans effectuer des essais de fabrication, ne pouvait pas fonctionner, que les pièces allaient être disproportionnées les unes par rapport aux autres (puisque personne ne l’utilisait dans le milieu). Mais une fois que j’ai fait mes preuves, ils étaient subjugués et me félicitent aujourd’hui. Je reçois beaucoup d’encouragement de leur part.

Quelle est votre vision de la mobilité durable en Afrique dans les prochaines années ?

De plus en plus de personnes veulent cela, mais ils sont pour le moment un peu réticents, ils ont la peur du nouveau et c’est normal. Je suis convaincu que l’électromobilité a de l’avenir Afrique. Pour mon continent, je souhaite lancer une production en série de ce véhicule et me réaliser fondateur d’un grand centre de formation en automobile et construction des véhicules propres de référence en Afrique, en contact avec une clientèle mondiale.

Beaucoup disent que l’Afrique est condamnée à importer ses technologies. Qu’est-ce que votre scooter électrique répond à cette idée reçue ?

Ma réalisation prouve qu’en Afrique nous ne sommes pas condamnés à toujours importer les nouvelles technologies. Nous sommes autant capables que les autres d’inventer et d’innover. Ce véhicule vise à rendre l’électromobilité accessible à toutes les couches de la société à un coût abordable, tout en promouvant un mode de transport durable, réduisant la dépendance énergétique et limitant les importations technologiques. Ce projet mettra en avant le label “MADE IN BENIN” et fera du Bénin l’un des pays producteurs de véhicule 100 % électrique du monde, symbole de l’ingéniosité et de l’innovation nationales. Si ce scooter devenait un produit phare au Bénin, et c’est mon souhait, il s’inscrira dans une démarche stratégique de développement durable, de souveraineté technologique et de la sobriété énergétique.

Quel message aimeriez-vous adresser aux jeunes Africains qui rêvent d’innover dans leurs domaines ?

A tous ces jeunes qui rêvent d’innover dans leurs domaines, je veux leur dire que tous autant que nous sommes, nous avons tous un talent et il nous revient de croire en nous, de foncer avec méthode et ce 3ème millénaire est aussi le nôtre.

Maceo Ouitona
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Maceo Ouitona est journaliste et chargé de communication, passionné des enjeux politiques, économiques et culturels en Afrique. Il propose sur Afrik des analyses pointues et des articles approfondis mêlant rigueur journalistique et expertise digitale
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