Le Maghreb devient la nouvelle destination phare des touristes russes


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Pays du Maghreb
Pays du Maghreb

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : avec plus de 29 millions de déplacements hors du territoire russe en 2024, dont 11,5 millions à vocation strictement touristique, soit une progression de 25% sur un an, les voyageurs russes redessinent leur carte des destinations privilégiées. Dans ce nouveau paysage géopolitique, ils privilégient désormais des pays à la fois accessibles, abordables et politiquement neutres. La rive sud de la Méditerranée cumule ces trois atouts et attire de plus en plus cette clientèle en quête d’évasion.

Le Maroc s’impose comme leader

Le royaume chérifien caracole en tête de cette nouvelle géographie touristique russe. Les chiffres de OneTwoTrip révèlent une explosion spectaculaire : les réservations russes pour l’été 2025 ont bondi de 400%, soit la plus forte progression enregistrée au niveau mondial. Cette performance place déjà le Maroc en bonne position, devançant même des destinations émergentes comme la Hongrie ou le Kazakhstan.

Mosquée de la Koutoubia
Mosquée de la Koutoubia

Entre janvier et avril 2025, le royaume a accueilli 5,7 millions de touristes internationaux, soit une hausse de 23% par rapport à la même période de 2024. Dans cette dynamique, la Russie affiche la croissance la plus rapide parmi les pays non-européens. Cette réussite s’appuie sur une stratégie bien rodée : Royal Air Maroc a renforcé sa desserte en assurant désormais un vol quotidien entre Casablanca et Moscou Sheremetievo avec un Boeing 737-800, décollant à 22h55 pour atterrir à 7h10.

L’exemption de visa de 90 jours accordée aux citoyens russes, sans nécessité d’e-visa préalable, facilite grandement les flux. L’arrivée de nouveaux établissements haut de gamme comme le Four Seasons ou le Nobu, fait du Maroc la première porte d’entrée maghrébine pour les Russes. Les circuits privilégiés s’articulent autour de deux axes principaux : Marrakech-Agadir pour le tourisme balnéaire et Fès-Chefchaouen pour les découvertes culturelles.

La Tunisie mise sur une reconquête ambitieuse

Le contraste est saisissant pour la Tunisie : après avoir accueilli 633 000 visiteurs russes en 2019, le pays n’en a reçu que 14 000 en 2024. Mais Tunis ne se résigne pas à cette chute vertigineuse et a engagé une opération de reconquête baptisée « retour à 600 000 ». La stratégie passe d’abord par la restauration des liaisons aériennes : Nouvelair a redémarré en avril 2025 deux rotations hebdomadaires entre Monastir et Moscou Vnukovo, avec une capacité de 174 sièges sur Airbus A320.

L’objectif officiel affiché par les autorités tunisiennes consiste à repasser la barre des 300 000 visiteurs d’ici 2027. Pour y parvenir, le pays mise sur une alliance stratégique avec les tour-opérateurs russes Grand Express et Biblio-Globus, des campagnes ciblées sur Djerba et Hammamet, ainsi qu’une tarification en roubles assortie de promotions spéciales « long séjour thalasso ».

La Tunisie joue la carte du positionnement balnéaire à forfait fixe et développe une culture russophone dans ses établissements, avec des enseignes et un personnel hôtelier formé pour cette clientèle. L’enjeu consiste à regagner les parts de marché perdues au profit de la Turquie, des Émirats arabes unis et du Maroc.

L’Algérie émerge comme curiosité saharienne

Plus discrète mais non moins ambitieuse, l’Algérie fait son entrée dans cette course au tourisme russe. Les chiffres d’Interfax révèlent que les packages Algérie ont bondi de 50% en ventes annuelles chez les tour-opérateurs russes. Cette progression s’appuie sur le renforcement de la desserte aérienne : Air Algérie assure désormais trois vols hebdomadaires sur la liaison Moscou-Alger, avec un quatrième vol prévu pour la saison estivale.

desert rouge Djanet
desert rouge Djanet

Le profil des séjours algériens se distingue nettement de ses voisins maghrébins. Les voyageurs russes privilégient les circuits culturels traversant Alger, Tipaza et les sites archéologiques romains, les expéditions sahariennes vers Tamanrasset, puis découvrent les plages d’Annaba durant la saison estivale.

Cependant, la délivrance de visa reste le principal obstacle au développement de cette destination. Le délai d’obtention avoisine actuellement deux semaines, mais Alger s’engage à mettre en place une procédure électronique pour les groupes avant la fin 2025, ce qui pourrait considérablement fluidifier les démarches.

Bilan comparatif d’une révolution touristique

Les derniers chiffres disponibles illustrent parfaitement cette recomposition géographique. Le Maroc caracole en tête avec environ 120 000 arrivées russes estimées sur la dernière année complète, multipliant par cinq ses réservations pour 2025. La Tunisie, malgré ses 14 000 visiteurs de 2024, vise un rebond multiplié par vingt. L’Algérie, avec moins de 10 000 flux organisés, affiche tout de même une progression de 50% de ses packages touristiques.

Plusieurs facteurs expliquent cet engouement croissant pour les destinations maghrébines. La proximité horaire, avec un décalage maximal de deux heures, et un climat hivernal clément constituent des atouts indéniables pour une clientèle fuyant les rigueurs de l’hiver russe.

La « culture arabe francophone » offre une alternative aux destinations turques ou égyptiennes, sans barrière linguistique majeure pour les Russes polyglottes. Les tarifs proposés en roubles ou en dirham et dinar indexés réduisent l’exposition au dollar américain, un avantage non négligeable dans le contexte économique actuel.

Perspectives ambitieuses pour 2025-2027

Les projections dessinent un avenir prometteur pour cette tripartite maghrébine. Le Maroc vise 200 000 visiteurs russes en 2026, surfant sur la dynamique de la CAN 2025 et anticipant l’effet d’attraction du Mondial 2030 co-organisé avec l’Espagne et le Portugal.

La Tunisie table sur un retour à 300 000 visiteurs dès que dix vols hebdomadaires seront rétablis, révélant l’ampleur de ses ambitions de reconquête. L’Algérie, plus modeste mais réaliste, estime que l’adoption d’un e-visa touristique pourrait faire franchir le cap des 50 000 visiteurs russes annuels, particulièrement durant la saison désertique s’étendant d’octobre à mars.

Zainab Musa
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Zainab Musa est une journaliste collaborant avec afrik.com, spécialisée dans l'actualité politique, économique et sociale du Maghreb et de l'Afrique de l'Ouest. À travers ses enquêtes approfondies et ses analyses percutantes, elle met en lumière des sujets sensibles tels que la corruption, les tensions géopolitiques, les enjeux environnementaux et les défis de la transition énergétique. Ses articles traitent également des évolutions sociétales et culturelles, notamment à travers des reportages sur les figures influentes du Maroc et de l’Algérie. Son approche rigoureuse et son regard critique font d’elle une voix incontournable du journalisme africain francophone.
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