
Face aux appels à la désobéissance civile lancés par l’opposition après l’élection présidentielle du 12 octobre 2025, le gouvernement camerounais a initié une mission d’apaisement dans l’Est du pays. Cette initiative intervient dans un contexte de forte polarisation politique, à quelques jours de l’annonce officielle des résultats par le Conseil constitutionnel.
Alors que les appels à la désobéissance civile se multiplient sur les réseaux sociaux, portés par les militants et sympathisants du parti de l’ancien ministre Issa Tchiroma Bakary, le gouvernement camerounais a déployé une mission d’apaisement dans la région de l’Est. Cette initiative, conduite par le ministre de la Fonction Publique et de la Réforme Administrative Joseph LE, témoigne de la volonté des autorités de maintenir l’ordre public dans une période particulièrement sensible.
L’élection présidentielle du 12 octobre 2025 a ravivé les divisions politiques au Cameroun, pays dirigé depuis plus de quatre décennies par le même parti. Des troubles ont été observés dans plusieurs localités, alimentés notamment par les contestations de l’opposition qui dénonce des irrégularités dans le processus électoral. Dans ce contexte explosif, le gouvernement a lancé cette mission visant à « promouvoir la paix et prévenir les troubles à l’ordre public », une démarche qualifiée de « républicaine » par les autorités.
Les 20 et 21 octobre, la délégation ministérielle s’est rendue dans les villes stratégiques de Garoua-Boulaï, Mandjou, Bertoua et Batouri. Ces localités de l’Est camerounais, région frontalière avec la République centrafricaine, sont considérées comme particulièrement sensibles en raison de leur diversité ethnique et de leur importance économique dans le commerce transfrontalier.
L’opposition entre deux visions du Cameroun post-électoral
Le ministre Joseph LE a délivré un message se voulant rassurant : « Le chef de l’État, qui veut le bien de tous les Camerounais, nous a envoyé pour parler aux nôtres, pour leur passer son message : que tout le monde reste serein. Le Conseil constitutionnel donnera les résultats tels que les Camerounais ont décidé. » Cette formulation, qui présuppose la légitimité du processus électoral, contraste fortement avec le discours de l’opposition.
De son côté, Issa Tchiroma Bakary, figure de l’opposition et ancien ministre reconverti en opposant, s’est autoproclamé président de la République avant même l’annonce des résultats officiels. Cette posture, qui rappelle des précédents historiques dans d’autres pays africains, a galvanisé ses partisans mais inquiète les observateurs qui craignent une escalade de la violence. Les autorités accusent « des lanceurs d’alerte ayant élu domicile à l’étranger » d’alimenter les discours de haine et les appels à l’insurrection depuis la diaspora.
Cette bataille narrative révèle les fractures profondes de la société camerounaise. D’un côté, le pouvoir en place invoque la stabilité, le « vivre-ensemble » et le « développement inclusif ». De l’autre, l’opposition dénonce l’autoritarisme, la confiscation du pouvoir et exige une alternance démocratique. Entre ces deux pôles, la population civile se trouve prise en étau, partagée entre l’aspiration au changement et la crainte du chaos.
Une stratégie de communication ciblant particulièrement la jeunesse
La mission gouvernementale a accordé une attention particulière à la jeunesse, segment démographique crucial représentant plus de 60% de la population camerounaise. Les autorités ont multiplié les rencontres de proximité avec les jeunes, les leaders communautaires et les responsables d’associations, conscientes que cette frange de la population, massivement connectée et souvent frustrée par le manque d’opportunités économiques, constitue le principal vecteur de mobilisation contestataire.
Mboné Mbassi Matthieu, président du Conseil national de la jeunesse camerounaise et membre de la délégation gouvernementale, a exposé la stratégie adoptée : « Nous allons sur le terrain qui occupe le plus les jeunes, notamment celui des réseaux sociaux, pour partager des messages de paix et lutter contre les discours de haine. Nous travaillons à ce que nous soyons plus concentrés sur ce qui nous unit que sur ce qui nous divise. »
Cette approche révèle la prise de conscience par les autorités du rôle central des réseaux sociaux dans la mobilisation politique contemporaine. Facebook, WhatsApp et Twitter sont devenus les nouveaux champs de bataille politique où s’affrontent narratifs gouvernementaux et contestataires. Le gouvernement tente ainsi de reprendre l’initiative dans cet espace numérique largement dominé par les voix dissidentes.
Les défis structurels d’une démocratie sous tension
Au-delà de cette mission ponctuelle d’apaisement, le Cameroun fait face à des défis structurels qui alimentent les tensions récurrentes à chaque échéance électorale. La concentration du pouvoir, l’absence d’alternance politique depuis l’indépendance, les disparités économiques croissantes et la marginalisation de certaines régions constituent autant de facteurs de fragilité démocratique.
La crise anglophone qui sévit dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest depuis 2016, avec son cortège de violences et de déplacements de populations, illustre les conséquences tragiques de ces tensions non résolues. L’instrumentalisation des clivages ethniques et linguistiques à des fins politiques aggrave ces fractures, rendant d’autant plus difficile la construction d’un consensus national.
L’annonce des résultats par le Conseil constitutionnel, prévue pour jeudi prochain, constituera un test crucial pour la stabilité du pays. La capacité des institutions à gérer les contestations de manière transparente et équitable, tout en maintenant l’ordre public sans recourir à une répression excessive, déterminera largement l’évolution de la situation.
Cette initiative gouvernementale, si elle témoigne d’une volonté d’apaisement, ne saurait à elle seule résoudre les contradictions profondes qui traversent la société camerounaise. La construction d’une « démocratie apaisée où les différences s’expriment sans violence », pour reprendre les termes officiels, nécessitera des réformes structurelles allant bien au-delà des missions ponctuelles de pacification. L’enjeu pour le Cameroun reste de trouver un équilibre entre stabilité et changement, entre maintien de l’ordre et respect des aspirations démocratiques de sa population, particulièrement de sa jeunesse qui représente l’avenir du pays.