Élection présidentielle au Cameroun 2025 : l’intelligence artificielle au service de la désinformation


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Le logo de RFI détourné pour des fausses informations
Le logo de RFI détourné pour des fausses informations

Au lendemain du scrutin présidentiel camerounais du 12 octobre 2025, une réalité s’impose : cette élection est la première d’une nouvelle ère, marquée par une utilisation sans précédent de l’intelligence artificielle pour manipuler l’opinion publique.

L’élection présidentielle camerounaise de 2025 a vu certaines équipes de campagne officielles utiliser directement des outils de désinformation basés sur l’IA, marquant une évolution particulièrement inquiétante par rapport aux pratiques antérieures où seuls des militants isolés recouraient à ces méthodes. Face à Paul Biya, 92 ans et au pouvoir depuis 43 ans, les onze candidats d’opposition ont rivalisé de créativité, parfois au-delà des limites de l’éthique.

Les deepfakes et photos truquées : les nouvelles armes électorales

Des photos de meetings politiques où les mêmes visages ont été grossièrement dupliqués pour donner l’impression de foules immenses ont circulé sur les réseaux sociaux pendant la campagne. Le cas le plus médiatisé concerne le parti d’opposition Social Democratic Front (SDF). La journaliste camerounaise Annie Payep a révélé avoir reçu via WhatsApp des photos truquées du candidat Joshua Osih devant une foule artificiellement gonflée lors d’un meeting à Yagoua.

Malgré le démenti officiel du SDF, qui a dénoncé des manœuvres de détracteurs, plusieurs témoins ont fourni des captures d’écran confirmant l’envoi puis la suppression rapide de ces images manipulées. À l’inverse, d’autres candidats ont assumé sans complexe leur utilisation de l’IA. La porte-parole d’Hiram Iyodi, un autre candidat, a publiquement affirmé sur X qu’elle n’allait « pas s’excuser de vivre dans son temps » après avoir posté une photo générée par intelligence artificielle.

Le fichier électoral, terrain fertile pour la désinformation

Au-delà des images truquées, le fichier électoral lui-même est devenu une source majeure de controverses et de fausses informations. Des citoyens ont dénoncé la présence de doublons sur les listes électorales publiées, ainsi que l’inscription de personnes décédées depuis plusieurs années.

Des cas concrets ont été documentés sur les réseaux sociaux, comme celui d’Elemva Mbilli, inscrite simultanément à plusieurs endroits avec différentes orthographes de son nom. Elections Cameroon (Elecam), l’organisme chargé des élections, a tenté de rassurer l’opinion en qualifiant ces accusations de désinformation, mais son refus de publier la liste électorale nationale complète a alimenté les suspicions de manipulation.

L’IA générative : une menace mondiale qui touche le Cameroun

Selon une étude de l’International Panel on the Information Environment, 80% des pays ayant organisé des élections en 2024 ont vu leurs scrutins perturbés par des incidents liés à l’intelligence artificielle. Le Cameroun n’échappe pas à cette tendance globale et dépasse même les limites précédemment atteintes.

Les experts mettent en garde contre la capacité de l’IA générative à créer des vidéos deepfakes montrant des politiciens dire ou faire des choses qu’ils n’ont jamais accomplies, des articles d’actualité falsifiés imitant des médias réputés, et des preuves photographiques fabriquées de toutes pièces. Ces outils permettent désormais de produire des contenus trompeurs d’une qualité quasi-humaine, rendant la détection de plus en plus difficile.

Selon le politologue Fred Eboko, les fausses photos sont publiées pour créer l’impression d’une forte mobilisation populaire, car les images de liesse peuvent induire l’adhésion des citoyens vers des candidats incarnant une forme de vitalité. Dans un contexte où Paul Biya, malgré ses 92 ans, reste le grand favori avec son appareil de pouvoir bien rodé, les candidats d’opposition cherchent par tous les moyens à donner l’illusion d’un élan populaire capable de renverser le rapport de forces.

Une jeunesse pas dupe, mais inquiète

Paradoxalement, les internautes camerounais, notamment les jeunes qui constituent un électorat important, n’ont pas été dupés. Les contenus grossièrement modifiés ont rapidement été raillés sur les réseaux sociaux, contribuant même à discréditer les candidats concernés. Cependant, cette vigilance populaire ne suffit pas à rassurer les observateurs.

Le professeur Destiny Tchehouali, spécialiste de l’IA à l’Université du Québec à Montréal, juge cette tendance « inquiétante » à terme pour la vie politique et la confiance citoyenne, surtout lorsque le niveau de maîtrise des outils d’IA s’améliorera. Les images artisanales d’aujourd’hui pourraient laisser place demain à des manipulations indétectables.

Elecam attention aux fake news
Elecam attention aux fake news

Elecam a tenté de se préparer à la lutte contre les fausses informations en développant un dispositif interne et une page Facebook dédiée au fact-checking. Des sessions de formation aux techniques de vérification des faits ont été organisées pour des journalistes, créateurs de contenu et membres de la société civile, avec le soutien d’organisations comme Defyhatenow.

Cependant, selon les experts, s’il existe au Cameroun des lois pour punir les contenus manipulés relevant du discours haineux, elles sont très peu appliquées faute de moyens pour remonter jusqu’à la source. Concernant les images d’IA qui se contentent d’embellir largement la réalité et de gonfler la visibilité d’un candidat, un vide juridique persiste.

Le siège d’Afrique Média, organe de presse parrainé par la Russie qui promeut des récits prorusses dans toute l’Afrique, se trouve à Douala. Des réseaux d’information liés à la Russie ont soutenu le mandat prolongé de Biya, et le Cameroun a été une cible prioritaire des campagnes russes anti-occidentales. Cette dimension internationale ajoute une couche supplémentaire de complexité à la lutte contre la désinformation.

Les résultats attendus dans un climat de méfiance

Au lendemain du scrutin, le pays est en attente des résultats officiels. À la clôture des bureaux de vote, des résultats partiels plaçant Issa Tchiroma Bakary en tête ont créé l’émoi à Yaoundé, avec plusieurs centaines de personnes descendant dans la rue en scandant « Au revoir Paul Biya, Tchiroma arrive!« . Le logo de RFI, média de référence, a même été falsifié pour donner un semblalnt de véracité à cette annonce.

ainsi, dans un contexte marqué par des décennies d’accusations de fraudes électorales et désormais par l’utilisation massive de la désinformation numérique, la confiance dans le processus démocratique est plus fragile que jamais.

Masque Africamaat
Spécialiste de l'actualité d'Afrique Centrale, mais pas uniquement ! Et ne dédaigne pas travailler sur la culture et l'histoire de temps en temps.
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