La Mahjouba au cœur de l’identité algérienne


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La mahjouba, mhadjeb ou m'hadjeb
La mahjouba, mhadjeb ou m'hadjeb

La mahjouba incarne des siècles d’histoire algérienne. Cette spécialité, dont le nom signifie « la voilée« , cache sous ses multiples couches dorées un héritage culturel riche. Des souks d’Alger aux échoppes parisiennes, elle raconte l’histoire d’un peuple, de ses migrations, de ses résistances et de sa créativité culinaire. Voyage au cœur d’un patrimoine gastronomique qui rassemble les générations autour de ses saveurs authentiques.

La mahjouba, également orthographiée mhadjeb ou m’hadjeb, tire son nom de l’arabe dialectal algérien signifiant littéralement « la voilée » ou « la cachée« . Cette appellation poétique fait référence à sa garniture généreusement dissimulée sous les multiples couches de pâte fine, tel un trésor culinaire enveloppé avec soin. Dans certaines régions d’Algérie, on la surnomme aussi « rghayef » ou « melaoui« .

Les racines berbéro-andalouses d’un mets ancestral

L’histoire de la mahjouba remonte à plusieurs siècles, trouvant ses origines dans le brassage culturel qui a façonné le Maghreb. Les historiens de la gastronomie s’accordent à dire que cette spécialité serait née de la rencontre entre les traditions culinaires berbères autochtones et les influences andalouses apportées par les musulmans et les juifs fuyant la Reconquista espagnole entre le XIIIe et le XVe siècle.

Les Berbères maîtrisaient déjà l’art de la galette fine, cuite sur des plaques de terre cuite appelées « tajine el khobz ». Les réfugiés andalous, quant à eux, apportèrent leur savoir-faire en matière de feuilletage et d’épices raffinées. De cette fusion naquit la mahjouba, synthèse parfaite entre rusticité berbère et sophistication andalouse.

Les marchands ambulants des souks et des médinas contribuèrent grandement à populariser la mahjouba. Le spectacle de sa préparation sur les plaques chaudes, l’odeur alléchante qui s’en dégageait, et son prix accessible en firent rapidement un incontournable de la street food maghrébine bien avant que ce concept ne devienne tendance.

L’évolution d’une recette millénaire

Traditionnellement, la mahjouba se compose d’une pâte à base de semoule fine et de farine, travaillée longuement jusqu’à obtenir une texture élastique permettant de l’étirer finement sans la rompre. La garniture classique associe tomates fraîches, oignons, poivrons et parfois piments, le tout relevé de paprika, de cumin et parfois de coriandre fraîche.

Cependant, chaque région d’Algérie a développé sa propre variation. À Constantine, on y ajoute volontiers de la viande hachée épicée. Dans l’Oranie, certaines familles incorporent des olives et du fromage. Les régions sahariennes privilégient parfois une version plus épicée avec du piment local.

La mahjouba dans l’Algérie moderne

Après l’indépendance de 1962, la mahjouba connut une nouvelle jeunesse. De plat populaire, elle devint symbole de fierté nationale, figurant dans les festivals gastronomiques et les événements culturels célébrant l’identité algérienne retrouvée. Les restaurants traditionnels comme les établissements modernes l’inscrivirent à leur carte, certains chefs innovants créant même des versions gastronomiques avec des garnitures sophistiquées.

L’émigration algérienne contribua à faire connaître la mahjouba au-delà des frontières. Dans les quartiers de Barbès à Paris, de Molenbeek à Bruxelles ou de Whitechapel à Londres, les échoppes proposant des mahadjeb authentiques devinrent des points de ralliement pour la diaspora et des ambassadeurs de la cuisine algérienne auprès des populations locales. La mahjouba s’inscrit ainsi dans une dynamique de patrimoine vivant, évoluant sans renier ses racines.

L’art du pliage : une philosophie culinaire

Au-delà de sa dimension gustative, la mahjouba incarne une philosophie culinaire où la patience et le savoir-faire manuel restent irremplaçables. Le pliage caractéristique en carré, qui emprisonne la garniture tout en créant des couches croustillantes, requiert une dextérité acquise par la pratique. C’est un art qui résiste à l’industrialisation, garantissant l’authenticité du produit final.

La mahjouba reste ancrée dans le quotidien de millions d’Algériens et d’amoureux de cette cuisine. Entre ses plis dorés se cachent des siècles d’histoire, de migrations, de résistances et d’innovations.

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