La jeunesse africaine au cœur de la transformation des systèmes alimentaires : le Forum de Dakar mise sur l’innovation


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M Claver Gatete
M Claver Gatete

Le sommet annuel qui se tient actuellement à Dakar place l’innovation et l’entrepreneuriat des jeunes Africains au cœur de la révolution agroalimentaire du continent. Face aux défis climatiques et à la persistance de l’insécurité alimentaire malgré l’immense potentiel agricole de l’Afrique, les dirigeants africains et les partenaires internationaux explorent de nouvelles stratégies pour transformer les systèmes alimentaires. Au centre de ces discussions : comment exploiter la force démographique d’un continent où six habitants sur dix ont moins de 25 ans pour bâtir une agriculture moderne, durable et capable de nourrir l’Afrique et le monde.

L’Afrique détient plus de 60% des terres arables mondiales, dispose d’une population jeune dynamique et pourrait développer une industrie agroalimentaire de 1 000 milliards de dollars d’ici 2030. Pourtant, le continent a importé l’an dernier pour 115 milliards de dollars de denrées alimentaires. Ce paradoxe est au cœur des discussions du Forum africain sur les systèmes alimentaires qui se déroule cette semaine à Dakar, au Sénégal.

La jeunesse africaine en première ligne

Réunis sous le thème « Jeunesse africaine : diriger la collaboration, l’innovation et la mise en œuvre de la transformation des systèmes agroalimentaires« , les participants au sommet s’accordent sur un constat : « six Africains sur dix ont moins de 25 ans » et cette réalité démographique doit devenir le moteur principal du changement.

Claver Gatete, Secrétaire général adjoint des Nations Unies et Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique (CEA), qui s’exprimait au nom du Secrétaire général António Guterres, a insisté sur cette dimension : « la transformation de l’Afrique ne pourra être durable que si elle y associe sa jeunesse« .

En effet, malgré son potentiel considérable, l’Afrique fait face à des obstacles majeurs. Les corridors de transport restent sous-développés, les procédures aux frontières sont d’une lenteur extrême, et les systèmes énergétiques et numériques demeurent fragmentés. Ces dysfonctionnements empêchent les agriculteurs d’accéder efficacement aux marchés régionaux.

Les pertes post-récolte constituent un autre fléau : faute d’infrastructures de stockage et de chaînes du froid suffisantes, des quantités importantes de production sont perdues avant même d’atteindre les consommateurs. Cette situation prive le continent de ressources cruciales dans un contexte où l’insécurité alimentaire touche encore des millions d’Africains.

Six axes prioritaires pour la transformation

Face à ces défis, les participants au forum de Dakar s’accordent sur six interventions prioritaires. La première concerne la mise en place de corridors alimentaires intégrés, connectant les zones de production aux marchés nationaux et régionaux grâce à la modernisation des infrastructures de transport et de stockage.

La pleine mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) constitue le deuxième pilier. L’harmonisation des normes et l’élimination des barrières non tarifaires doivent permettre de développer 94 chaînes de valeur prometteuses déjà identifiées, dont beaucoup concernent l’agriculture.

Le financement reste un enjeu crucial. « Les dépenses publiques ne peuvent à elles seules répondre à l’ampleur des investissements requis« , souligne Claver Gatete. La création d’une Agence africaine de notation, soutenue par la CEA, vise à fournir des évaluations du crédit plus équitables et à réduire les coûts d’emprunt qui peuvent être jusqu’à trois fois supérieurs à la moyenne mondiale pour les pays africains.

La transformation passe également par la modernisation de l’agriculture elle-même. Les zones de transformation agro-industrielle communes, comme celles développées entre le Zimbabwe et la Zambie ou entre la Côte d’Ivoire et le Ghana, montrent la voie. Ces initiatives permettent de développer la valeur ajoutée sur les chaînes du maïs, des produits laitiers et du cacao.

L’Afrique dispose également d’atouts considérables pour produire ses propres engrais. Des pays comme le Nigeria et le Maroc, riches en phosphate, peuvent réduire la dépendance du continent aux importations d’intrants agricoles tout en stimulant la productivité locale.

Des partenariats renforcés pour l’avenir

Le succès de cette transformation nécessite une coordination entre tous les acteurs. « Les autorités publiques, le secteur privé et les partenaires de développement doivent œuvrer ensemble pour faire de cette force démographique un véritable moteur de prospérité inclusive« , insiste le représentant des Nations Unies.

Le système onusien, incluant la CEA, la FAO, le FIDA, le PAM et le PNUD, réaffirme son engagement à accompagner les États membres dans cette démarche ambitieuse.
Alors que le sommet de Dakar touche à sa fin, l’enjeu est désormais de transformer les déclarations d’intention en actions concrètes. Avec 60% de sa population âgée de moins de 25 ans, l’Afrique dispose d’un atout démographique unique. Reste à donner à cette jeunesse les moyens de révolutionner l’agriculture continentale et de faire de l’Afrique non seulement un continent qui se nourrit lui-même, mais aussi l’un des greniers du monde.

Idriss K. Sow Illustration d'après photo
Journaliste-essayiste mauritano-guinéen, il parcourt depuis une décennie les capitales et les villages d’Afrique pour chroniquer, en français, les réalités politiques, culturelles et sociales de l'Afrique
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