La crise diplomatique entre Kampala et Berlin ébranle l’Afrique de l’Est


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Tension entre l'Allemagne et l'Ouganda
illustration des tensions entre l'Allemagne et l'Ouganda

L’Ouganda a suspendu toute coopération militaire avec l’Allemagne après que son ambassadeur a critiqué les tweets incendiaires du fils du président Museveni. Cette rupture sans précédent révèle les tensions croissantes entre l’Afrique et l’Occident sur la souveraineté et les droits humains, à moins d’un an des élections présidentielles ougandaises.

Le 25 mai 2025, l’armée ougandaise a annoncé la suspension unilatérale de toute coopération militaire avec Berlin, accusant l’ambassadeur allemand de « conduire des activités subversives » sur le sol ougandais.

L’incident déclencheur : Quand la diplomatie s’invite sur les réseaux sociaux

La crise trouve ses racines dans une réunion diplomatique organisée le 23 mai à Gulu, dans le nord de l’Ouganda. Lors de cette rencontre entre plusieurs ambassadeurs européens et le général à la retraite Salim Saleh, frère influent du président Museveni, l’ambassadeur allemand Matthias Schauer a franchi ce que Kampala considère comme une ligne rouge.
Schauer a ouvertement critiqué les publications incendiaires sur les réseaux sociaux du général Muhoozi Kainerugaba, fils du président et chef d’état-major de l’armée ougandaise. Le diplomate allemand aurait averti que ces déclarations causaient un « dommage réputationnel » à l’Ouganda et appelé le gouvernement à les désavouer publiquement.

Ces interventions font référence aux récents tweets explosifs de Kainerugaba, notamment celui où il déclarait : « Moi, Muhoozi Kainerugaba, mwine Museveni, j’ai le pouvoir dans ce pays d’EXPULSER tout ambassadeur qui ne me plaît pas ! » ou encore ses menaces contre l’Union européenne après la visite de députés européens au siège de l’opposition.

Une escalade militaire sans précédent

  • 25 mai : Le colonel Chris Magezi, porte-parole des forces armées ougandaises (UPDF), annonce sur X la « suspension immédiate de toute coopération de défense et de sécurité avec la République fédérale d’Allemagne« , invoquant des « rapports de renseignement crédibles » sur les activités « subversives » de l’ambassadeur Schauer.
  • 26 mai : Muhoozi Kainerugaba enfonce le clou, déclarant que l’ambassadeur est « totalement inqualifié pour être en Ouganda » tout en précisant que « cela n’a rien à voir avec le grand peuple allemand« .

Cette décision marque une rupture diplomatique sans précédent entre les deux pays, menaçant un partenariat vieux de plusieurs décennies et soulignant les tensions croissantes à l’approche des élections présidentielles de 2026. Museveni (80 ans) vise un septième mandat tandis que son fils se positionne comme héritier potentiel. Dans ce contexte, toute critique extérieure est perçue par Kampala comme une ingérence, surtout lorsque l’UE réclame des garanties de transparence électorale

Berlin dément et minimise l’impact

La réaction allemande ne s’est pas fait attendre. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères allemand a qualifié les accusations d' »absurdes » et rappelé qu’aucune coopération militaire formalisée n’existait entre les deux pays.

Berlin a précisé que la coopération militaire se limitait essentiellement à des programmes de formation ponctuelle, d’échanges d’expertise dans le cadre des missions de paix africaines et de collaboration en médecine militaire. L’Ouganda déploie notamment des troupes dans la force de maintien de la paix de l’Union africaine en Somalie, partiellement financée par l’Union européenne.

Le contexte plus large : Droits humains et répression politique

Il faut rappeler que les relations économiques entre les deux pays demeurent substantielles. Les échanges commerciaux bilatéraux ont atteint 335 millions de dollars en 2024, l’Ouganda important principalement des machines-outils et des produits chimiques allemands.

Pour l’instant, la suspension ne touche ni la coopération au développement menée par les agences allemandes KfW et GIZ, ni les relations commerciales. Cependant, cette crise ternit l’image d’un partenaire européen de premier plan pour l’Ouganda, particulièrement dans un contexte où Kampala cherche à diversifier ses alliances internationales.

Derrière l’accusation officielle de « subversion« , plusieurs sources diplomatiques européennes identifient les véritables motifs de cette escalade. L’Union européenne a exprimé à plusieurs reprises ses préoccupations concernant les violations des droits humains, notamment les détentions arbitraires et le traitement dégradant des opposants politiques.

La loi anti-homosexualité adoptée en 2023 et confirmée par la Cour constitutionnelle en avril 2024 constitue un autre point de friction majeur. Human Rights Watch documente que cette législation a ouvert la voie à « une discrimination et des violences systématiques » contre les personnes LGBTQ+ depuis deux ans.

La répression contre l’opposition, notamment les arrestations répétées de partisans de Bobi Wine (Robert Kyagulanyi), leader du Parti d’unité nationale (NUP), alimente également les tensions avec les partenaires occidentaux.

Implications géopolitiques : Un signal fort avant 2026

Cette crise intervient dans un contexte politique tendu à moins d’un an des élections présidentielles de janvier 2026. Le président Museveni, au pouvoir depuis 1986 et brigant un septième mandat, semble vouloir affirmer sa souveraineté face aux pressions occidentales sur les droits humains et la démocratisation. L’Union européenne a récemment dénoncé « une militarisation alarmante de la sphère politique » et « l’usage de la force militaire contre les civils, avec une impunité apparente« .

Muhoozi Kainerugaba, fils du président, perçu comme son héritier présomptif, est connu pour ses publications inflammatoires sur les réseaux sociaux, incluant des menaces contre les diplomates occidentaux à Kampala. Ses récentes déclarations, notamment ses menaces de « décapiter » Bobi Wine et ses révélations sur la torture présumée du garde du corps de l’opposant, ont suscité l’indignation internationale.

Muhoozi Kainerugaba cristallise les inquiétudes des Ougandais qui rejettent l’idée d’une succession héréditaire, mais aussi celles des partenaires internationaux préoccupés par l’avenir démocratique du pays.

Cette crise diplomatique inédite entre Kampala et Berlin révèle les tensions profondes entre une Afrique en quête d’autonomie stratégique et un Occident attaché à la promotion de ses valeurs démocratiques. L’issue de cette confrontation pourrait influencer durablement les relations entre l’Ouganda et ses partenaires européens, mais aussi servir de précédent pour d’autres régimes africains tentés de défier ouvertement les pressions occidentales.

Masque Africamaat
Spécialiste de l'actualité d'Afrique Centrale, mais pas uniquement ! Et ne dédaigne pas travailler sur la culture et l'histoire de temps en temps.
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