
De l’Espagne à l’Irlande du Nord, l’été 2025 a vu exploser les violences intercommunautaires en Europe. Entre émeutes anti-migrants, montée de l’extrême droite et durcissement des politiques migratoires, le continent fait face à sa plus grave crise identitaire depuis des décennies. Enquête sur une fracture qui menace les fondements mêmes du projet européen.
L’été 2025 restera marqué dans les annales européennes comme une période de tensions intercommunautaires sans précédent depuis des décennies. De Torre Pacheco en Espagne à Ballymena en Irlande du Nord, en passant par les villes allemandes et les côtes françaises, le continent européen a été secoué par une série d’incidents violents opposant populations locales et communautés migrantes, principalement d’origine africaine.
Ces événements révèlent les fractures profondes qui traversent les sociétés européennes et posent des questions fondamentales sur l’intégration, l’identité et l’avenir du projet européen lui-même avec sa population vieillissante.
Torre Pacheco : L’étincelle espagnole
Après les violences dans le Sud du pays, les autorités espagnoles ont procédé à de nombreuses arrestations, dont la majorité sont des nationaux espagnols, pour leur implication dans des émeutes et les affrontements violents ciblant les Marocains. La tension a été alimentée par des groupes d’extrême droite comme Vox, qui ont lancé une chasse à l’homme et appelé à cibler les migrants, particulièrement les Marocains.
Des groupes d’extrême droite venus de toute l’Espagne ont convergé vers Torre Pacheco, transformant ce qui devait être des manifestations pacifiques en véritables émeutes. Les commerces appartenant à des membres de la communauté marocaine ont été vandalisés, et des affrontements violents ont opposé manifestants anti-immigration et forces de l’ordre pendant plusieurs nuits consécutives.
Londres et l’Irlande du Nord : Les échos britanniques
Parallèlement, le Royaume-Uni a connu ses propres épisodes de violence intercommunautaire. Des affrontements entre résidents locaux et forces de l’ordre ont fait rage dans la ville anglaise d’Epping après la nouvelle du viol d’une mineure par un immigrant illégal d’Éthiopie. La population a attaqué les policiers qui transportaient les migrants vers des hôtels gratuits.
En Irlande du Nord, la ville de Ballymena a été le théâtre de deux nuits d’émeutes anti-immigrants en juin 2025, après l’arrestation de deux adolescents roumains de 14 ans soupçonnés d’agression sexuelle. Plus de 17 policiers ont été blessés et plusieurs maisons endommagées lors de ce que la police a qualifié d' »attaque soutenue » par des dizaines de manifestants, beaucoup portant des masques et des capuches.
Ces incidents s’inscrivent dans un contexte de tensions communautaires au Royaume-Uni, exacerbées par la montée des discours d’extrême droite et la propagation de fausses informations sur les réseaux sociaux, particulièrement après l’attaque de Southport en juillet 2024.
L’Allemagne face à ses démons
L’Allemagne, longtemps considérée comme un modèle d’accueil des réfugiés sous Angela Merkel, connaît un revirement spectaculaire. Les statistiques officielles publiées en mai ont montré un nouveau record de crimes à motivation politique, incluant une augmentation significative des attaques ciblant les logements pour migrants et demandeurs d’asile. Parmi le total de 60 028 crimes, les crimes liés aux actes anti émigrés ont augmenté de 23% en 2023 par rapport à 2022.
L’attaque de Solingen et les revendications subséquentes de l’État islamique ont été un « cadeau » aux partisans anti-migrants dans la politique allemande, poussant chaque parti à afficher ses références anti-migration dans un effort pour se surpasser mutuellement.
La montée de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) dans les sondages, particulièrement dans les Länder de l’Est, illustre la polarisation croissante de la société allemande. En janvier 2024, des révélations sur une réunion secrète de membres de l’AfD discutant de plans de « remigration » – c’est-à-dire de déportation d’immigrants et de « citoyens non assimilés » – ont provoqué des manifestations massives dans tout le pays.
La France : une politique anti algérienne
La France présente un tableau particulièrement complexe. D’un côté, les autorités françaises ont intensifié leurs efforts pour empêcher les traversées clandestines de la Manche, allant jusqu’à lacérer les canots pneumatiques sur les plages, sous la pression du gouvernement britannique qui finance partiellement ces opérations policières.
De l’autre, l’évacuation spectaculaire de centaines de migrants du théâtre historique Gaîté Lyrique à Paris en mars 2025, après trois mois d’occupation, a illustré les tensions entre militants pro-migrants et autorités.
La France a prolongé ses contrôles aux frontières intérieures avec six pays voisins jusqu’en octobre 2025, invoquant des menaces sécuritaires persistantes et la pression le long des routes migratoires clés. Cette mesure, qui va à l’encontre du principe de libre circulation au sein de l’espace Schengen, témoigne du durcissement des positions françaises.
Enfin, le ministre de l’Intérieur, bruno Retailleau, soutenu par les médias conservateurs du milliardaire Vincent Bolloré, ont fait des algériens le bouc-émissaire des problèmes économiques et sécuritaire français. Une opération de communication dangereuse qui normalise la violence verbale anti-immigré.
Les racines profondes du malaise
Ces tensions ne surgissent pas du néant. Elles s’enracinent dans plusieurs dynamiques convergentes :
- La crise économique et sociale: Paradoxalement, alors que l’Europe a besoin de main-d’œuvre immigrée pour soutenir son économie vieillissante, les populations locales, particulièrement dans les régions économiquement fragiles, perçoivent l’immigration comme une menace pour leurs emplois et leur niveau de vie.
- L’instrumentalisation politique : Le ministre de l’Intérieur espagnol Fernando Grande-Marlaska a attribué la violence à la rhétorique anti-immigration des groupes d’extrême droite et des partis politiques comme Vox, qui lie de manière injustifiée l’immigration à la criminalité. Partout en Europe, les partis d’extrême droite ont gagné du terrain en exploitant les peurs et les frustrations liées à l’immigration. EnFrance, les médias du groupe Bolloré par exemple relaient régulièrement ces messages anti-émigrés.
- Le rôle des réseaux sociaux: La désinformation et les théories du complot se propagent à une vitesse fulgurante sur les plateformes numériques. Un faux document prétendant avoir été publié par la mairie de Torre Pacheco a circulé en ligne, amplifié par les médias d’État russes, malgré les démentis officiels.
- L’échec des politiques d’intégration: En septembre, la Commission européenne a présenté son rapport sur la mise en œuvre du Plan d’action de l’UE contre le racisme 2020-2025.
Dans les neuf premiers mois de 2024, les États de l’UE ont émis 327 880 ordres d’expulsion, avec 27 740 personnes expulsées de force entre juillet et septembre. Cette approche répressive s’accompagne d’une militarisation croissante des frontières et d’une externalisation de la gestion migratoire vers des pays tiers.
L’Europe se trouve à la croisée des chemins
D’un côté, des manifestations anti-immigration sous le slogan « Stop Immigration » ont eu lieu dans plus de 80 villes polonaises, témoignant d’un rejet croissant de l’immigration dans certains segments de la population. De l’autre, des contre-manifestations massives en Allemagne et ailleurs montrent qu’une partie significative de la société européenne reste attachée aux valeurs d’ouverture et de solidarité.
La question qui se pose est celle de la capacité de l’Europe à gérer cette crise sans renier ses valeurs fondamentales.