L’artiste algérienne Daïffa célèbre en couleur le plaisir de vivre algérien, vu coté femmes


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Daiffa 4
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Les toiles naïves et colorées de l’artiste algérienne Daïffa pourraient s’intituler « Femmes d’Alger dans leurs appartements, années 2000 », pour actualiser la série réalisée par le célèbre peintre français Eugène Delacroix, lors de son séjour en Algérie au XIX° siècle. L’artiste exposait récemment à la Maison des Arts de Maurecourt, à l’ouest de Paris, où elle est désormais installée, dans ces paysages de bords de Seine qui inspirèrent tant les peintres impressionnistes jadis…

Car l’artiste algérienne Daïffa célèbre, dans des tableaux naïfs où les couleurs vives et éclatantes dominent, tout un art de vivre en Algérie, et plus généralement au Maghreb et au Moyen-Orient, qui émerveilla les peintres-voyageurs du XIX° siècle, comme Eugène Delacroix.

Mais cet « art de vivre à l’orientale » persiste encore, si l’on connaît ces sociétés de l’intérieur et non en touriste pressé, et malgré la médiatisation occidentale exclusive sur « l’islamisme » et l’austère voile. Et c’est ce que nous montre dans ses toiles Daïffa.

Car les Occidentaux l’ignorent : même les femmes les plus rigoureusement et austèrement voilées dans la rue, peuvent être très sexy et très dénudées en privé ! (Et surtout les plus rigoureusement voilées pouvons-nous affirmer, comme le savent toutes les femmes arabes qui ont accès, comme Daïffa, à ces « intérieurs », quand les femmes vivent hors des regards masculins étrangers, entre parentes ou amies.)

Surtout : même sans être très sexy ou dénudées, les femmes arabo-maghrébines, en 2018, et malgré la modernité, les smartphones, internet et la vitesse qu’impose parfois la vie moderne, savent continuer à cultiver, une fois chez elles, (et même quand elles vivent en Occident), loin des bureaux et des foules urbaines des trottoirs, cet « art de vivre oriental » qui fascina tant les artistes au XIXe.

« Art de vivre oriental » qui continue à attirer aujourd’hui, et par millions, les touristes occidentaux dans les riads richement décorés de Marrakech, dans les jardins aux palmiers enchanteurs de Tozeur, ou dans les dunes de sable de paix et de sérénité en Algérie. Art de vivre oriental toujours fait, aujourd’hui comme hier, de « luxe, calme et volupté » comme le chantait Baudelaire, une fois les fenêtres fermées sur le bruit du monde ou ouvertes sur un patio ou un jardin…

Car nous le savons toutes : une fois rentrée chez elle après une journée de travail, ou bien quand vient le week-end,  à Alger, Casablanca, Tunis, le Caire ou Beyrouth, la médecin-chirurgien à l’agenda chargée, la consultante-voyageuse surbookée, l’informaticienne aux compétences techniques inégalées, la jeune vendeuse illettrée du marché, ou bien sûr la maman-mère au foyer (qui travaille à la maison pour les autres gratuitement), va se changer, revêtir une djellaba d’intérieur, se préparer un thé à la menthe bien chaud ou un coca glacé ou même une bière ou un verre de vin, et, si elle a des amies ou parentes, passer de bons moments à bavarder et à rire, comme le font toutes les femmes du monde sous toutes les latitudes, mais ici dans ce décor inchangé d’orangers, de palmiers, de zelliges, de tapis colorés et d’étoffes, qui fit les bonheurs visuels des peintres-voyageurs de jadis, et que le triste design Ikea n’a pas réussi à tuer. Car l’Orient reste l’Orient…

Les influences artistiques de Daïffa, qui est née et a vécu dans la ville saharienne d’El Goléa avant de s’installer en France en 1995, puisent aux deux sources, algérienne et française, qui font son identité aujourd’hui : pour l’Algérie, l’artiste nous confie vouer une admiration à Mesli, artiste disparu en 2017, ainsi qu’à Baya, qui fut l’amie de Picasso. Pour notre part, nous percevons aussi Matisse, qui pareillement rapporta du Maroc des tableaux colorés de femmes en costumes traditionnels dans des décors chamarrés. Nous voyons aussi Botero, car lorsque Daïffa peint un corps nu ou dénudé, ce sont des femmes aux formes opulentes… comme souvent les femmes au Maghreb, passée la prime jeunesse !

« Plusieurs de mes tableaux, je ne pourrais pas les exposer en Algérie », nous confie l’artiste. A cause du sein nu d’une femme qui se maquille, seule dans sa chambre. D’un corps qui se révèle à travers la transparence d’une nuisette, comme les portent les Algériennes lorsqu’elles sont au hammam (où elles ne sont donc pas complètement nues, comme le fantasment les Occidentaux depuis les tableaux d’Ingres et consorts !). Ou à cause, bien sûr, du corps totalement nu d’une « Eve » qui cache sa pudeur d’une seule feuille de vigne, debout sur un sol jonché de pommes rouges…

A côté de ses tableaux – et l’on notera une série de mini-tableaux aux figures géométriques, comme autant de motifs de tapis berbères – Daïffa expose aussi ses dessins d’humour et ses caricatures de presse, et elle est une habituée du Salon des Dessinatrices Arabes, du Festival International de la Bande Dessinée d’Alger, et du Maghreb des Livres à Paris.

Car avant de s’exiler en France, Daïffa était dessinatrice de presse en Algérie. Quand survint l’islamisme et la guerre civile qui coupait les têtes des hommes et femmes qui, comme elle, dénonçaient l’obscurantisme de ces pseudo-« traditionalistes » qui ne faisaient en réalité qu’importer une idéologie et une manière de se vêtir – ou plutôt de se camoufler – totalement étrangers à la culture et à l’Histoire algérienne, maghrébine et musulmane…

Peu après son arrivée en France Daïffa fut d’ailleurs accueillie 6 mois par Charlie Hebdo, heureux de publier ses féroces caricatures sur le voile. Mais sa voie était la peinture, même si l’artiste continue de croquer des petits dessins acerbes mais vrais, sur l’Algérie, le monde arabe, ou la détresse ignorée de l’Afrique. Ainsi d’un dessin où un enfant africain amaigri par la faim, est sommé de « ne pas manger trop gras, sucré ou salé »…

Car pour ses enfants l’Afrique du Nord c’est l’Afrique, avec toute la conscience d’appartenir bel et bien à ce continent, et d’en être solidaire. Daïffa nous rappelle ainsi, indirectement, que l’Algérie fut l’un des leaders des mouvements « tiers-mondistes », qui s’élevaient autrefois contre l’arrogance culturelle occidentale vis-à-vis des cultures nobles et ancestrales de ces pays, et qui dénonçaient le pillage des richesses de ce continent, au profit des multinationales et autres entreprises du Nord.

Mais la force des artistes est là : sans hargne, sans haine, sans banderoles et sans manifs, leurs tableaux, romans et chansons, sont là pour nous raconter : la fierté d’un peuple, la richesse de sa culture, et l’enracinement de son Histoire. Revenons donc à nos femmes algériennes qui coulent des jours paisibles dans leurs appartements, loin des bruits du monde, aux côtés de leurs chats, bébés, orangers, palmiers, tapis douillets, tasses de thé partagées, bouquets de fleurs parfumées, et jolies robes ethniques pour émerveiller leurs amoureux…

Car telle est notre force, nous les femmes : savoir nous abstraire de la fureur du monde, pour nous consacrer à des plaisirs tranquilles et quotidiens, dans nos maisons… Les hommes aussi savent oublier le bruit du monde et leurs soucis quotidiens, lorsqu’ils s’enthousiasment pour le match de foot ou de rugby de leur équipe préférée. Mais : c’est un peu plus bruyant… et moins sujet à de jolis tableaux !

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