L’abandon américain face à un État fantôme : le cas du Soudan du Sud


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Drapeau du Soudan du Sud
Drapeau du Soudan du Sud

L’administration Trump a décidé de mettre fin aux protections contre l’expulsion accordées aux ressortissants du Soudan du Sud vivant aux États-Unis, une mesure qui défie toute logique humanitaire et géopolitique alors que l’ONU alerte sur le risque d’une nouvelle guerre dans ce pays ravagé par la corruption.

Cette annonce américaine concernant le Soudan du Sud relève de l’incompréhension totale. Comment justifier le renvoi de personnes vers un État en déliquescence, où la survie quotidienne relève du miracle ? Le Soudan du Sud n’est pas simplement un pays en difficulté : c’est une nation où l’État de droit n’existe plus, où les institutions sont gangrenées par la prédation systématique des ressources, et où la population est prise en otage par une élite kleptocrate.

La décision de Washington intervient dans le cadre du démantèlement progressif des programmes de protection temporaire (TPS), touchant après les Haïtiens, Salvadoriens et Honduriens, les quelques milliers de Sud-Soudanais qui avaient trouvé refuge sur le sol américain. Mais contrairement à d’autres situations, le cas sud-soudanais présente une particularité tragique : le pays vers lequel on veut les renvoyer est littéralement en train de s’effondrer.

Un État vampirisé par ses propres dirigeants

Le Soudan du Sud détient le triste record d’être l’un des pays les plus corrompus au monde. Selon les révélations récentes, documentées par Afrik.com et diverses enquêtes internationales, les élites sud-soudanaises ont détourné des milliards de dollars destinés au développement du pays. Les revenus pétroliers, qui auraient dû financer la construction d’infrastructures essentielles, ont été systématiquement pillés.

Le président Salva Kiir lui-même avait admis en 2012 que plus de 4 milliards de dollars avaient été volés par des hauts fonctionnaires. Depuis, la situation n’a fait qu’empirer. Les généraux et ministres accumulent des fortunes colossales, villas luxueuses à Nairobi, comptes bancaires offshore, flottes de véhicules de luxe, pendant que 80% de la population vit sous le seuil de pauvreté absolue.

Cette kleptocratie endémique a créé un cercle vicieux : les conflits armés sont entretenus car ils permettent aux différentes factions de maintenir leur accès aux ressources. Les milices prolifèrent, financées par des politiciens véreux qui instrumentalisent les tensions ethniques pour masquer leur pillage organisé.

Une population prise au piège

Dans ce contexte catastrophique, la décision américaine de mettre fin aux protections apparaît d’autant plus incompréhensible. Les Sud-Soudanais qui ont fui ne sont pas des migrants économiques ordinaires : ce sont des survivants d’un État criminel qui a failli à ses obligations les plus élémentaires envers ses citoyens.

Le Soudan du Sud avait pourtant tout pour réussir. Soutenu massivement par la communauté internationale lors de son indépendance en 2011, doté de ressources pétrolières importantes, le pays bénéficiait d’un capital de sympathie mondial. Mais en moins d’une décennie, les dirigeants sud-soudanais ont transformé cet espoir en cauchemar.

Les fonds destinés aux hôpitaux disparaissent, les budgets pour l’éducation s’évaporent, et même l’aide alimentaire d’urgence est revendue sur les marchés par des officiels corrompus. Cette prédation a détruit tout embryon d’État fonctionnel.

L’absurdité d’un retour forcé

Renvoyer des personnes dans ce contexte relève de l’absurde. Le Soudan du Sud n’a ni la capacité ni la volonté d’accueillir des rapatriés. Les infrastructures sont inexistantes, l’économie est en ruine, et surtout, le cycle de violence risque de reprendre à tout moment. Les Nations unies ne s’y trompent pas : leurs derniers rapports parlent d’une situation « pré-génocidaire » dans certaines régions.

Les Sud-Soudanais établis aux États-Unis ont souvent reconstruit leur vie, contribuant à l’économie américaine. Leurs enfants, américanisés, n’ont aucun lien avec un pays qu’ils n’ont parfois jamais connu. Les renvoyer vers le chaos sud-soudanais est cruel et contre-productif pour toutes les parties concernées.

Il est crucial de souligner que la tragédie sud-soudanaise n’est pas une fatalité. Elle est le résultat direct de choix politiques criminels. Les dirigeants sud-soudanais, Salva Kiir et Riek Machar en tête, portent une responsabilité écrasante dans la destruction de leur pays. Leur enrichissement personnel s’est fait sur les cadavres de leurs concitoyens.

Les enquêtes révèlent l’ampleur du système : des compagnies écrans pour siphonner les revenus pétroliers, des marchés publics fictifs, des détournements massifs de l’aide humanitaire. Pendant que Juba s’enfonce dans le chaos, les familles des dirigeants vivent dans l’opulence à l’étranger, leurs enfants fréquentant les meilleures écoles européennes et américaines.

Un message contradictoire de Washington

La décision de l’administration Trump envoie un message troublant. D’un côté, les États-Unis reconnaissent la gravité de la situation en maintenant des sanctions contre certains dirigeants sud-soudanais. De l’autre, ils s’apprêtent à renvoyer des civils innocents vers ce même enfer qu’ils dénoncent.

À cela s’ajoute que cette incohérence politique ne sert ni les intérêts américains, ni la stabilité régionale, ni évidemment les droits humains. Elle risque au contraire d’aggraver la crise humanitaire et de déstabiliser davantage une région déjà explosive.

La communauté internationale, et particulièrement les États-Unis qui ont tant investi dans l’indépendance sud-soudanaise, ne peuvent ignorer que renvoyer des personnes vers le Soudan du Sud actuel équivaut à une condamnation.

Idriss K. Sow Illustration d'après photo
Journaliste-essayiste mauritano-guinéen, il parcourt depuis une décennie les capitales et les villages d’Afrique pour chroniquer, en français, les réalités politiques, culturelles et sociales de l'Afrique
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