Khar Yalla, l’oubliée : Sénégal, vivre déplacé dans l’ombre des promesses climatiques


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Le pont Faidherbe de Saint-Louis
Le pont Faidherbe de Saint-Louis

À Khar Yalla, un quartier excentré de Saint-Louis, des familles déplacées par les effets du changement climatique attendent depuis près d’une décennie une relocalisation digne. Promis à une solution temporaire, ce site est devenu un cul-de-sac institutionnel, symbole d’un oubli prolongé. Sans accès aux services de base et marginalisées dans les politiques publiques, ces communautés survivent dans l’ombre. Leur quotidien révèle l’ampleur du vide juridique entourant les déplacés internes au Sénégal, et questionne la capacité de l’État à répondre aux défis humains posés par l’urgence climatique.

À quelques kilomètres du centre de Saint-Louis, dans le nord du Sénégal, près d’un millier de personnes vivent dans une situation d’attente interminable. Déplacées depuis 2015 et 2016 à la suite de fortes inondations ayant frappé la Langue de Barbarie, ces familles ont été temporairement relogées à Khar Yalla, un site que les autorités reconnaissent elles-mêmes comme inadapté à l’habitation à long terme. Pourtant, près de neuf ans plus tard, ces familles y vivent toujours, dans des conditions précaires et sans perspective claire de relocalisation.

Des conditions de vie en marge du droit

À l’origine, ces familles, issues de communautés de pêcheurs implantées depuis des générations sur la côte, avaient accepté de s’installer à Khar Yalla dans l’attente d’une solution plus pérenne. Les autorités locales leur avaient promis une relocalisation rapide. Aujourd’hui, elles se sentent abandonnées, invisibles dans le paysage institutionnel.

Khar Yalla, loin d’être un refuge, est devenu synonyme de survie au quotidien. Le quartier n’a ni accès à l’électricité, ni système de traitement des eaux usées, et les logements sont régulièrement envahis par les eaux durant la saison des pluies. L’eau potable est contaminée, et les services publics comme l’école ou les structures de santé sont difficilement accessibles, voire inexistants pour de nombreuses familles. Les conséquences sont multiples : des enfants déscolarisés, des adultes sans soins médicaux, et des familles contraintes de vivre dans une promiscuité alarmante.

Une exclusion silencieuse des politiques de relocalisation

Cette situation fragilise non seulement leur santé physique, mais aussi leur équilibre social et économique. L’un des aspects les plus marquants de ce déplacement prolongé est l’exclusion de ces familles d’un projet de relocalisation financé par la Banque mondiale et mis en œuvre dans le cadre du Projet de Relèvement d’urgence et de Résilience de Saint-Louis. Dans le même temps, d’autres personnes déplacées par les mêmes événements, mais quelques années plus tard, ont été relogées à Djougop dans des conditions plus stables, celles de Khar Yalla n’ont pas été prises en compte. Cette inégalité de traitement interroge.

Les raisons de cette omission n’ont jamais été clairement expliquées, et les familles concernées n’ont pas été consultées, ni même informées du processus de sélection. Beaucoup y voient une forme d’oubli institutionnalisé. Au-delà des conditions matérielles, c’est aussi une identité culturelle qui s’efface à Khar Yalla. Historiquement ancrées dans l’activité de pêche sur la Langue de Barbarie, les familles déplacées peinent à poursuivre leur métier. La mer est désormais trop éloignée, et les frais de transport quotidiens rendent l’accès à leurs anciennes zones de pêche presque impossible.

Manque criant de cadre juridique adapté

Ce déracinement économique s’accompagne d’un profond désarroi. « La pêche, c’est toute notre vie », confie un habitant. Pour beaucoup, il ne s’agit pas simplement de perdre un revenu, mais de voir s’effriter un héritage culturel transmis de génération en génération. Face à l’absence de soutien, certains habitants de Khar Yalla ont essayé de s’organiser par eux-mêmes pour trouver des solutions, comme des formations pour se reconvertir ou des projets communautaires. Mais là encore, des obstacles surgissent.

Plusieurs témoignages font état de démarches bloquées ou ignorées par les autorités locales, comme si toute initiative locale dérangeait une certaine inertie administrative. Ce manque de reconnaissance des efforts communautaires alimente un sentiment d’abandon profond. Des responsables communautaires affirment ne plus savoir vers qui se tourner, tant les portes restent closes. Malgré ses engagements internationaux et les efforts réels déployés par le Sénégal pour s’adapter aux défis climatiques, le cas de Khar Yalla révèle un manque criant de cadre juridique adapté. Aucune politique claire ne régit la réinstallation planifiée des populations déplacées par des catastrophes climatiques.

Un cadre juridique et politique encore incomplet

Les processus sont fragmentés, parfois arbitraires, souvent sans concertation avec les premiers concernés. Par ailleurs, le Sénégal n’a toujours pas ratifié la Convention de Kampala, un traité clé pour la protection des déplacés internes en Afrique. Cette ratification pourrait pourtant donner un cadre plus solide et contraignant aux efforts de relocalisation dans le contexte climatique. Ce qui se joue à Khar Yalla dépasse les frontières d’un quartier ou d’une ville.

La façon dont les États gèrent ces situations aujourd’hui pose les bases des réponses de demain. Human Rights Watch et d’autres organisations appellent à une refonte des politiques nationales et internationales. Pour eux, il ne s’agit pas seulement d’offrir un toit, mais de garantir des droits fondamentaux : accès à l’eau, à l’éducation, à la santé, et à une vie digne. Pour les familles de Khar Yalla, l’attente se poursuit, entre incertitude et espoir. Beaucoup réclament simplement ce qui leur avait été promis : un logement stable, des services de base, et la possibilité de reconstruire leur vie dans la dignité.

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Une plume qui balance entre le Sénégal et le Mali, deux voisins en Afrique de l’Ouest qui ont des liens économiques étroits
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