Kevin Bilingi fondateur de Rahizi : « Nous apprenons à être étudiants, pas sachants »


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Kevin Bilingi
Kevin Bilingi

L’équipe de Rahizi transforme la création d’entreprise sur le continent africain en digitalisant les procédures administratives. Entre partenariats gouvernementaux inattendus et adaptation aux réalités locales, cette startup de la diaspora mise sur la collaboration avec les avocats africains pour accompagner les entrepreneurs du cadrage légal jusqu’aux opérations de croissance. Rencontre avec le fondateur, Kevin Bilingi qui a appris à concilier ambition technologique et humilité face aux spécificités du marché africain. Portrait d’une legaltech qui révolutionne la création d’entreprise en Afrique.

Quelle a été la réaction la plus surprenante ou inattendue d’un gouvernement africain face à votre proposition de digitalisation des procédures administratives ? Cette question permettrait de comprendre les défis diplomatiques et politiques rencontrés, ainsi que les success stories inattendues dans la collaboration avec les administrations publiques.

Kevin Bilingi : Au commencement, nous n’avions pas approché beaucoup de gouvernements, car ce qui nous importait c’était de prouver le modèle économique et de séduire toutes les parties-prenantes clés, à savoir les avocats africains, dont certains ne portent pas un grand intérêt au numérique, et de l’autre les créateurs d’entreprises de la diaspora pour commencer puis du monde entier.

Et pourtant, l’an dernier, nous avons pu présenter notre solution à l’ambassade du Gabon en France qui a trouvé en Rahizi une solution tant économique que politique. Après quelques rendez-vous, nous avons été mis en relation direct avec l’ANPI au Gabon. Grâce à ce partenariat, nous proposons une passerelle moderne, respectueuse des règles du Gabon et multilingue. C’est un signe encourageant pour nous et nous sommes ouverts à tout rapprochement avec des autorités politiques. Parce que nous savons que ce genre de démarches peuvent être assez longues, notre focus a toujours été d’attirer les clients finaux et les avocats. Nous ne serons que plus légitimes lors d’échanges avec des officiels.

Au-delà de la création d’entreprise, envisagez-vous d’étendre Rahizi à d’autres services administratifs essentiels pour les entrepreneurs (permis, licences, fiscalité) ? Quelle est votre vision à 5 ans ?

Kevin Bilingi : La vision de Rahizi est claire : pouvoir accompagner les créateurs d’entreprise sur le continent du début de leur aventure, avec le cadrage légal, jusqu’à un jour la cession ou la fusion-acquisition, en passant par la comptabilité et l’aide à la fiscalité. D’ailleurs, grâce à notre visibilité croissante, nous avons été approchés par des leveurs de fonds ainsi que des banques privées pour proposer des services bancaires et de l’agent privé à toute entreprise ou startup viable. Il y a un réel problème de bancarisation des entreprises en Afrique et souvent les raisons sont :

– la non-régularisation de l’activité

– et le manque d’états financiers.

Cela empêche beaucoup d’entrepreneurs d’accéder à ces moyens de croissance. Notre fierté serait de participer à la création de structures solides, pérennes et créatrices d’emplois. D’ici 5 ans nous aimerions devenir un acteur phare de confiance sur tout le continent avec au moins 1000 entreprises créées toujours en activité et offrir des solutions de financements en partenariats avec des banques. C’est en bonne voie.

Comment mesurez-vous concrètement l’impact de Rahizi sur le développement économique local, et avez-vous des histoires d’entrepreneurs qui ont réussi grâce à votre plateforme ?

Kevin Bilingi : Comme toute entreprise, chez Rahizi nous avons des KPI précises. La première est le nombre de demandes entrantes par mois et par semaine. En moyenne, nous en avons deux à trois par jour, venant de francophones comme d’anglophones. Notre plus belle histoire va vous surprendre : on l’oublie souvent, mais les avocats aussi sont des entrepreneurs. Eh bien grâce à Rahizi, une jeune femme avocate camerounaise tout juste mère a pu proposer ses services à la diaspora, sans avoir de site ou une forte exposition. Nous lui trouvons des clients et elle réalise ses prestations à distance.

Une autre histoire ce sont des entrepreneurs africains vivant en Grande Bretagne qui ont appris qu’un gouvernement autorisait la vente et l’utilisation d’une technologie de pointe sur leur sol. Le jour d’après ils nous contactaient pour ouvrir une société qui distribuerait la technologie dans ledit pays. En quelques heures un avocat les conseillait et sur place déposait leur dossier. Tout ça sans qu’il quitte l’Europe. Le temps c’est de l’argent : avec RAHIZI on en gagne à chaque fois !

Quels ont été vos plus grands échecs ou erreurs dans le développement de Rahizi, et qu’en avez-vous appris ?

Kevin Bilingi : Souvent, en tant qu’entrepreneur et surtout habitant de la diaspora nous n’avons qu’une seule envie : calquer ce qui se fait en occident pour l’amener en Afrique, pensant que ça serait mieux pour le contient. Ma première erreur a été de croire que les avocats Africains adopteraient tous nos outils informatiques, comme le CRM, ou l’e-mail plutôt que WhatsApp. Conséquence : manque de réactivité des demandeurs, mails parfois non lus par les clients ou longueurs dans les échanges. Après avoir vu comment les avocats géraient leur clientèle, nous avons trouvé un mix entre la proximité qu’offre WhatsApp et l’architecture stable ainsi que le suivi en temps réel des nouvelles technologies comme l’IA.

Si en occident on commence à penser à des business mobile-first, en Afrique c’est la norme pour réussir. Cela nous a déroutés au début, car on craignait la familiarité avec les avocats, la perte de données précieuses. Finalement, les avocats nous transmettent chaque semaine les informations importantes et les clients sont ravis de la proximité avec ceux-ci, sans tomber dans le manque de professionnalisme. Nous avons des professionnels formidables sur le continent : nous devons leur faire confiance et ils feront de même avec nous.

Comment conciliez-vous votre identité d’entrepreneur de la diaspora basé en France avec votre mission de transformer l’Afrique ? Cette position « entre deux mondes » est-elle un avantage ou parfois un obstacle ?

Kevin Bilingi : Avant Rahizi, notre startup Studio K2B AGENCY travaillait déjà avec des entreprises, des états ou même des associations en Afrique, mais dans des fonctions supports (communication, conseil, graphisme, marketing digital, développement web). Pour la première fois, nous avons étudié et codéveloppé une solution avec des acteurs locaux, faisant d’eux le cœur de la machine. Et pas une mince affaire, puisque nous avons pensé dès la genèse Rahizi comme une legaltech panafricaine multilingue. Grâce à ce projet nous apprenons énormément.

La première chose à accepter c’est qu’on ne sait rien, même si on a eu des réussites en diaspora ou de beaux diplômes. Il faut venir en étudiant et non en sachant, comprendre pourquoi ils font les choses sans juger et voir comment nos process et notre vision peuvent s’inscrire dans un continent qui n’est pas une page vierge, bien au contraire. Notre double-identité n’a jamais dérangé nos partenaires car jamais nous nous en sommes servis pour imposer notre fonctionnement ou les infantiliser : ils ont confiance en notre capacité à développer une marque forte et des technologies pour soutenir leurs affaires, et nous les traitons comme nos partenaires clés ou nos clients.

Nous tirons parti du meilleur de chacun de nos avocats partenaires pour concevoir Rahizi comme un produit pensé par des africains de tous horizons pour toute personnes souhaitant créer son entreprise en Afrique aujourd’hui ou dans 5 ans. Pour cela, pas de raccourci : nous écoutons les informations marché remontés par nos contacts locaux et nous adaptons à lui grâce à des technologies développées en occident ou Asie, pas l’inverse.

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