Kenya : derniers hommages à Boniface Kariuki, symbole d’une jeunesse brisée par la violence policière


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Drapeau du Kenya
Drapeau du Kenya

Des centaines de personnes se sont rassemblées, ce vendredi, dans la ville de Murang’a, au centre du Kenya, pour rendre un dernier hommage à Boniface Kariuki, abattu par un policier lors des manifestations du 17 juin à Nairobi. L’ancien vendeur ambulant de 23 ans, tué d’une balle dans la tête à bout portant, est devenu malgré lui l’icône tragique d’un mouvement national contre la répression et les violences policières.

Le meurtre de Boniface Kariuki, filmé par des journalistes présents sur les lieux, a provoqué une onde de choc à travers le pays. Sur les réseaux sociaux comme dans les rues, son visage est devenu un symbole de la colère d’une jeunesse kényane en quête de justice, de liberté et de dignité. « La police est censée nous protéger, mais elle retourne ses armes contre nous. Que devons-nous en conclure ? », s’interroge avec amertume Ben Gitoho, un cousin du défunt. « C’est grave. Ce genre de tragédie ne doit plus jamais se reproduire. Le gouvernement doit assumer ses responsabilités et indemniser la famille », poursuit-il.

Une colère populaire face à l’impunité

La disparition de Boniface Kariuki survient dans un contexte de mobilisation croissante contre la gouvernance du Président William Ruto. Depuis plusieurs semaines, des manifestations massives secouent le pays, portées par une jeunesse excédée par la corruption, la vie chère, et surtout, l’impunité dont jouissent les forces de sécurité.

Le Président Ruto a récemment alimenté la controverse en appelant les forces de l’ordre à « tirer dans les jambes » des manifestants pour les disperser. Une déclaration perçue comme un feu vert à la répression, vivement critiquée par les organisations de défense des droits humains et une partie de la communauté internationale. « Ce type de discours institutionnalise la brutalité policière », s’indigne Wanjiru Ndugu, responsable locale de l’ONG Human Rights Watch Kenya. Et d’ajouter : « On ne gère pas une population par les balles, surtout quand elle manifeste pour ses droits fondamentaux ».

Une jeunesse sacrifiée

Boniface Kariuki n’était ni un militant aguerri, ni un agitateur politique. Il vendait des chargeurs de téléphone et des écouteurs dans les rues de Nairobi pour subvenir aux besoins de sa famille. Le 17 juin, il s’était joint aux manifestants pacifiques, espérant faire entendre sa voix. Quelques minutes plus tard, il s’effondrait sous les balles.

Son histoire résonne particulièrement dans un pays où les jeunes peinent à trouver un emploi, à accéder aux services publics et à se faire entendre par les élites dirigeantes. Selon Amnesty International, plus de 50 personnes ont été tuées par les forces de l’ordre au Kenya au cours des 18 derniers mois dans le cadre de manifestations ou d’opérations policières.

Appels à une réforme urgente

Alors que les funérailles de Boniface Kariuki marquent un moment de deuil national, de nombreux observateurs appellent le gouvernement kényan à des réformes urgentes. Une enquête indépendante sur sa mort a été réclamée par plusieurs ONG, ainsi que la suspension immédiate du policier impliqué, dont l’identité reste à ce jour protégée par les autorités.

L’ambassade de l’Union européenne à Nairobi a publié un communiqué appelant « à la retenue, au respect des droits humains et à la fin de l’usage disproportionné de la force ». De leur côté, les manifestants annoncent une journée de mobilisation nationale le 15 juillet, rebaptisée « Marche Boniface ». « Boniface est mort pour que notre voix soit entendue », affirme Mary Atieno, une manifestante présente aux obsèques. « Nous ne laisserons pas son sacrifice être oublié », insiste-t-elle.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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