
Du 25 au 27 septembre 2025, Tunis a accueilli la première édition d’Invest Africa, événement majeur qui révèle l’ampleur de l’ambition économique italienne sur le continent africain. Avec plus de 30 entreprises transalpines et 250 rencontres bilatérales, cette initiative marque un tournant géostratégique : l’Italie fait du Maghreb, et particulièrement de la Tunisie, le fer de lance de sa conquête économique africaine. Une offensive qui s’appuie sur le Plan Mattei du gouvernement Meloni et repositionne Rome comme acteur majeur face à la concurrence française et chinoise sur le continent.
L’événement Invest Africa 2025, s’est tenu du 25 au 27 septembre à Tunis. Cette première édition, organisée au Carthage Thalasso Resort de Gammarth, révèle l’ampleur de l’ambition italienne : faire du Maghreb, et particulièrement de la Tunisie, le tremplin de sa conquête économique du continent africain.
Cet événement traduit une vision géostratégique claire de Rome. Face aux bouleversements géopolitiques mondiaux et à la nécessité de diversifier ses partenariats énergétiques post-Ukraine, l’Italie redéfinit ses priorités africaines avec une approche pragmatique et ambitieuse.
La Tunisie, porte d’entrée stratégique vers l’Afrique
La Tunisie s’impose naturellement comme le hub privilégié de cette stratégie italienne. Son positionnement géographique unique, à la croisée de la Méditerranée et de l’Afrique subsaharienne, en fait une plateforme d’accès incomparable vers les marchés africains. Comme l’a souligné l’ambassadeur italien Alessandro Prunas : « La Tunisie, notre partenaire stratégique, doit également être considérée comme une porte d’entrée vers l’ensemble du continent africain. »
Cette perception s’appuie sur des avantages concrets. La Tunisie a déjà délivré plus de 350 certificats d’origine pour l’exportation vers divers pays africains dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF), offrant aux entreprises des droits de douane réduits qui seront supprimés dès janvier 2026.
Une dynamique d’investissement en forte croissance
Les chiffres témoignent de cette montée en puissance des relations tuniso-italiennes. Au premier semestre 2025, l’Italie a confirmé sa position de deuxième investisseur en Tunisie avec 159,4 millions de dinars tunisiens (47 millions d’euros), représentant 10% du total des investissements directs étrangers hors secteur énergétique.
Cette performance s’inscrit dans une dynamique plus large : les investissements directs étrangers en Tunisie ont bondi de 20,8% par rapport à 2024, atteignant 1,65 milliard de dinars tunisiens (492,7 millions d’euros). Une croissance tirée principalement par les secteurs manufacturier et énergétique, domaines de prédilection des entreprises italiennes.
L’écosystème italien au Maghreb : une présence multisectorielle
L’automobile et l’industrie en première ligne : La stratégie italienne au Maghreb ne se limite pas à la Tunisie. En Algérie, les investissements italiens se multiplient dans des secteurs stratégiques. L’industrie automobile constitue un axe majeur, avec des projets d’envergure qui positionnent l’Algérie comme fournisseur de composants pour des constructeurs prestigieux comme Volkswagen, Mercedes, Lamborghini, Audi et Stellantis.
Cette diversification industrielle répond à l’ambition algérienne de développer son industrie automobile nationale tout en réduisant sa dépendance aux importations. Le transfert d’une partie des commandes étrangères italiennes vers l’Algérie valorisera significativement les exportations algériennes.
L’agriculture, nouveau pilier de coopération : L’agriculture émerge comme un secteur clé de cette offensive italienne. L’entreprise Bonifici Ferrari (BF) illustre parfaitement cette tendance en prévoyant d’accroître considérablement ses investissements en Algérie. Déjà présente à Timimoun avec 36 000 hectares de production de blé dur et légumineuses, BF propose désormais un projet d’expansion ambitieux intégrant élevage, production laitière et aliments pour animaux.
Cette stratégie s’inscrit dans le cadre du Plan Mattei du gouvernement Meloni, qui vise à repenser les relations économiques euro-africaines selon une logique de co-développement. Comme l’a déclaré Luigi D’Eramo, sous-secrétaire d’État italien à l’Agriculture : « L’Italie veut construire avec l’Algérie une agriculture forte et durable, dans une vision partagée de développement et d’innovation. »
Une approche géopolitique cohérente
L’initiative Invest Africa 2025 s’inscrit dans une stratégie plus vaste : le Plan Mattei lancé par Giorgia Meloni. Ce plan, qui tire son nom du fondateur d’ENI Enrico Mattei, artisan du rapprochement euro-africain dans les années 1950, repose sur une approche de co-développement privilégiant investissements ciblés, transferts technologiques et valorisation des ressources locales.
Cette approche contraste avec les modèles traditionnels d’aide au développement en misant sur l’implication accrue du secteur privé et la création de partenariats mutuellement bénéfiques. L’événement tunisien, qui a réuni plus de 30 entreprises italiennes et une centaine d’entreprises tunisiennes, illustre parfaitement cette philosophie.
La dimension énergétique demeure centrale dans cette stratégie. L’Algérie est devenue le premier fournisseur de gaz de l’Italie, une position renforcée par la signature récente d’un contrat de 1,35 milliard de dollars entre Sonatrach et ENI. Cette coopération énergétique facilite l’expansion italienne dans d’autres secteurs économiques.
Les enjeux de la compétition régionale : Face à la concurrence européenne et chinoise
L’offensive italienne intervient dans un contexte de concurrence accrue pour l’influence en Afrique. Alors que la France voit son influence traditionnelle remise en question dans la plupart des pays africains, et que la Chine maintient sa présence massive via les « Nouvelles Routes de la Soie », l’Italie propose un modèle alternatif basé sur la proximité géographique et culturelle.
L’approche italienne se veut plus pragmatique et moins idéologique que celle de certains partenaires européens. Elle mise sur des relations d’affaires directes, des transferts technologiques concrets et une intégration dans les chaînes de valeur européennes.
L’expérience tunisienne sert de laboratoire pour cette nouvelle approche. Les 250 réunions bilatérales organisées lors d’Invest Africa 2025 témoignent de l’intensité des échanges et de la volonté de créer des partenariats durables. Cette approche de « matchmaking » entre entreprises italiennes et tunisiennes vise à identifier des complémentarités sectorielles et géographiques.
Fort du succès de cette première édition tunisienne, le Delta Center, organisateur de l’événement, prévoit déjà sa reproduction dans d’autres pays africains : Algérie, Égypte, Libye, Sénégal, Côte d’Ivoire, Cameroun et Kenya.
Pour les pays du Maghreb, cette offensive italienne représente une opportunité unique de diversifier leurs partenariats et d’accélérer leur intégration dans l’économie mondiale.