
À Thiès, au Sénégal, une vendeuse de fruits brise le silence pour raconter une nuit de violence qui a bouleversé sa vie. Victime d’une attaque survenue en marge d’un combat de lutte, N. S. accepte de livrer son témoignage sous couvert d’anonymat, encore hantée par la peur et le choc. Dépouillée de ses économies, de sa marchandise et de son sentiment de sécurité, elle décrit la réalité quotidienne de nombreux petits commerçants confrontés à l’insécurité urbaine et appelle à une réponse ferme des autorités pour enrayer ce fléau.
Par crainte de représailles, N. S. a tenu à témoigner sous anonymat et refuse catégoriquement de parler à visage découvert. Encore profondément marquée par l’agression dont elle a été victime après un combat de lutte à Thiès, la vendeuse de fruits redoute d’éventuelles réactions de ses agresseurs, connus dans le milieu sous le nom de « Simol ». Entre peur, traumatisme et volonté de justice, elle accepte néanmoins de raconter son calvaire afin de dénoncer l’insécurité persistante et d’alerter les autorités sur la vulnérabilité des petits commerçants.
Entretien
Bonjour N. S. Merci d’avoir accepté de témoigner malgré l’épreuve que vous venez de traverser. Pouvez-vous d’abord vous présenter à nos lecteurs ?
N. S. : Bonjour. Merci à vous de me donner la parole. Je m’appelle N. S., je suis vendeuse de fruits à Thiès depuis plus de dix ans. Je gagne ma vie honnêtement en vendant des pastèques, des papayes et des oranges locales. C’est un travail difficile, mais c’est ce qui me permet de nourrir mes enfants et de participer à la tontine avec d’autres femmes du quartier.
Revenons sur les faits. Que s’est-il passé le jour de l’agression ?
N. S. : C’était le soir, après le combat de lutte qui avait attiré beaucoup de monde. Comme d’habitude lors de ces événements, les ventes marchent bien, car il y a beaucoup de clients. J’avais réussi à faire une bonne recette ce jour-là. Après avoir rangé une partie de mes fruits, je m’apprêtais à rentrer quand des jeunes, connus dans le quartier sous le nom de “Simol”, m’ont encerclée.
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Les connaissiez-vous personnellement ?
N. S. : Je ne peux pas dire que je les connais personnellement, mais tout le monde a déjà entendu parler d’eux. Ce sont des agresseurs qui profitent souvent des grands rassemblements, surtout après les combats de lutte ou les matchs de football, pour dépouiller les gens. Ce jour-là, ils étaient plusieurs, et ils avaient l’air très déterminés.
Comment l’agression s’est-elle déroulée ?
N. S. : Tout est allé très vite. Ils m’ont menacée, m’ont bousculée, et m’ont demandé de leur remettre tout ce que j’avais. J’ai essayé de crier, mais il y avait beaucoup de bruit autour, et les gens rentraient chez eux. Ils ont pris ma recette quotidienne, qui était de 23 000 FCFA, ainsi qu’une somme de 55 000 FCFA correspondant à une partie de la tontine que je venais de recevoir. Ils ont aussi pris mon téléphone portable, qui est mon seul moyen de communication avec mes clients et ma famille.
Vous parlez de la tontine. Que représente cette somme pour vous ?
N. S. : Cette somme était très importante pour moi. La tontine, ce n’est pas juste de l’argent. C’est la solidarité entre femmes. Chacune cotise avec beaucoup de sacrifices, et quand vient ton tour de recevoir, tu as déjà des projets : payer les frais scolaires, acheter de la marchandise, régler des dettes. Moi, je comptais utiliser cet argent pour renouveler mon stock de fruits et gérer certaines charges scolaires de mes enfants. Tout est parti en quelques minutes.
Les agresseurs se sont-ils limités à l’argent et au téléphone ?
N. S. : Malheureusement non. Ils n’ont pas épargné mes fruits. Ils ont renversé mes étals, piétiné emporté des pastèques, des papayes, dispersé les oranges locales. C’était comme s’ils voulaient tout détruire, pas seulement me voler. Voir mes fruits abîmés de cette manière m’a fait très mal, parce que chaque fruit coûte de l’argent investi, des heures de travail et parfois des dettes contractées auprès des fournisseurs.
Comment vous êtes-vous sentie à ce moment-là ?
N. S. : J’étais choquée, humiliée et surtout très triste. J’ai eu peur pour ma vie. Je suis une femme, seule, face à plusieurs hommes violents. Après leur départ, je me suis effondrée. Des passants sont venus m’aider, mais le mal était déjà fait. Je me suis sentie abandonnée et impuissante.
Avez-vous porté plainte auprès des autorités ?
N. S. : Oui, avec l’aide de proches, je me suis rendue au commissariat pour faire une déclaration. J’ai expliqué ce qui s’était passé, donné les détails que je pouvais. Mais vous savez, souvent, ces agresseurs disparaissent rapidement. J’espère quand même que justice sera faite, pas seulement pour moi, mais pour toutes les autres personnes qui subissent ce genre d’attaques.
Quel impact cette agression a-t-elle eu sur votre activité et votre vie quotidienne ?
N. S. : L’impact est énorme. Sans capital, il est difficile de reprendre le commerce. J’ai perdu ma recette du jour, une partie de la tontine, mes fruits et mon téléphone. Pendant plusieurs jours, je n’ai pas pu travailler normalement. Même psychologiquement, ce n’est pas facile. Chaque fois qu’il y a un grand événement ou que je rentre tard, j’ai peur. Mais je n’ai pas le choix, je dois continuer pour nourrir ma famille.
Que pensez-vous de la sécurité lors des combats de lutte et autres grands rassemblements ?
N. S. : La lutte est notre culture, notre fierté, mais il faut plus de sécurité autour de ces événements. Les autorités doivent mieux encadrer les alentours, surtout pour protéger les petits commerçants et les femmes. Nous contribuons à l’animation et à l’économie locale, mais nous sommes souvent les premières victimes de l’insécurité.
Quel message souhaitez-vous adresser aux autorités et à la population ?
N. S. : Je demande aux autorités de renforcer la sécurité et de prendre au sérieux les plaintes des victimes. À la population, je demande plus de solidarité. Quand vous voyez quelqu’un en difficulté, essayez d’aider, de prévenir, de ne pas rester indifférent. Et aux jeunes qui agressent, je dis que l’argent volé ne vous apportera jamais la paix. Nous travaillons dur pour gagner honnêtement notre vie.
Malgré tout ce que vous avez vécu, gardez-vous espoir ?
N. S. : Oui, je garde espoir. Je suis une battante. Comme beaucoup de femmes vendeuses au Sénégal, j’ai traversé des moments difficiles, mais je me relève toujours. Avec l’aide de Dieu, de ma famille et de la solidarité, je vais reprendre mon commerce. J’espère simplement que ce témoignage pourra servir à sensibiliser et à éviter que d’autres vivent la même chose.
Merci beaucoup, N. S., pour votre courage et votre témoignage.
N. S. : Merci à vous de m’avoir écoutée et de porter ma voix.




