Genocost : le Congo veut faire entendre ses morts au monde entier


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Félix Tshisekedi, Président en exercice de la République Démocratique du Congo
Félix Tshisekedi, Président en exercice de la République Démocratique du Congo

Le 2 août 2025, la République démocratique du Congo a solennellement marqué la Journée nationale du Genocost, une date désormais ancrée dans la mémoire collective du pays. Cette journée rend hommage aux millions de Congolais victimes des violences et conflits liés à l’exploitation illégale des ressources naturelles du pays, notamment dans sa partie orientale.

Pour Kinshasa, il ne s’agit plus seulement de pleurer les morts, mais d’exiger justice à l’échelle internationale pour ce que les autorités appellent désormais un « génocide économique ».

Un concept né d’une lutte citoyenne

Le terme Genocost émerge en 2013 à Londres, dans les milieux militants de la diaspora congolaise, notamment via le CAYP (Congolese Action Youth Platform), dans la foulée du rapport Mapping des Nations unies. Ce document explosif, publié en 2010, documente les atrocités commises en RDC depuis 1996 et cite plusieurs pays frontaliers, notamment le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi, comme potentiellement impliqués. Le Genocost désigne alors le coût humain colossal d’une prédation économique organisée autour des richesses minières du Congo.

La société civile congolaise s’approprie rapidement le terme. À Kinshasa, une place publique est rebaptisée symboliquement Place du Genocost. Mais il faudra attendre fin 2022 pour que les autorités congolaises adoptent officiellement le concept, dans un contexte de regain de tensions avec le Rwanda et du retour du groupe armé M23.

Un début de reconnaissance, mais un goût d’inachevé

Pour Gloria Menayame, juriste et membre du CAYP France, l’instauration d’une journée nationale représente une avancée notable. Elle considère toutefois qu’il s’agit d’une récupération partielle du combat, centrée sur la responsabilité internationale mais sans véritable action au niveau national. Elle souligne également l’absence de mécanismes internes permettant de juger les crimes, alors que certains responsables congolais ont été nommément cités dans des rapports onusiens.

La critique n’est pas isolée. De nombreux observateurs dénoncent le paradoxe d’un État qui exige un tribunal international sans nettoyer ses propres rangs. La mémoire seule ne suffit pas, estime la société civile, qui appelle à la mise en place d’une véritable justice transitionnelle.

Une cérémonie symbolique mais chargée d’attentes

Cette année, la cérémonie officielle à Kinshasa a rassemblé des figures politiques, culturelles et médiatiques congolaises, dont les artistes Innos B, Werrason, Youssoupha, ou encore l’influenceuse Didi Stone. Le mémorial du Genocost, inauguré pour l’occasion, se veut un espace de recueillement mais aussi de mobilisation.

Des documentaires ont retracé l’histoire des massacres et des violences sexuelles de masse. Des témoignages poignants de survivants, souvent livrés à visage couvert, ont rappelé l’ampleur de l’horreur. « Quand la guerre a commencé dans mon village, il y avait beaucoup de tueries et d’atrocités », confie une rescapée d’Ituri, évoquant les déplacements forcés vécus par des centaines de milliers de familles.

Un plaidoyer pour un tribunal international

Lors de la cérémonie, le président Félix Tshisekedi a réaffirmé sa volonté de faire reconnaître le Genocost sur la scène internationale. Il a indiqué qu’il défendrait cette cause lors de la prochaine Assemblée générale des Nations unies à New York et a affirmé que la République démocratique du Congo n’attendrait pas la reconnaissance d’autres pays pour légitimer sa douleur.

Mais le chemin reste semé d’embûches. Le concept même de Genocost suscite des divergences parmi les juristes, certains estimant qu’il ne correspond pas strictement aux critères du droit international. Selon le chercheur Ithiel Batumike, cette notion traduit avant tout des décennies d’impunité, d’indifférence et de frustration au sein de la population congolaise, qui continue de s’interroger sur la durée de cette situation et sur l’inaction de la communauté internationale.

Un cri de mémoire et de justice

Le Genocost est aujourd’hui plus qu’un mot, c’est une revendication identitaire et politique, une tentative de nommer l’innommable. Pour beaucoup de Congolais, cette commémoration doit être un point de départ, non une fin. Le combat pour la reconnaissance ne peut être détaché de celui pour la justice. La mémoire sans les actes risque de devenir un écho vide. Le défi désormais : transformer les promesses symboliques en actions concrètes.

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