
Du 23 au 31 mai, les rivages du détroit de Gibraltar se métamorphoseront en écran géant partagé : la 22ᵉ édition du Festival du Cinéma Africain de Tarifa-Tanger (FCAT) s’installe simultanément en Andalousie et au Maroc, incarnant pleinement sa mission de passerelle culturelle entre deux continents. Fondé en 2004 par l’ONG espagnole Al-Tarab sous l’impulsion de la programmatrice Mane Cisneros, le FCAT poursuit inlassablement sa quête de présenter « un autre regard sur l’Afrique, loin des stéréotypes ».
Cette année, l’honneur d’inaugurer le festival revient à Samia, biopic somalien réalisé par Yasemin Samdereli qui retrace le parcours inspirant de la sprinteuse olympique Samia Yusuf Omar, athlete déédée lors d’un naufrage entre la Libye et l’Italie. Le film sera projeté simultanément au Teatro Alameda de Tarifa et au mythique Cinéma Alcázar de Tanger, renouant ainsi avec la circulation transfrontalière d’œuvres et de publics qui avait été interrompue durant la pandémie. Cette cérémonie d’ouverture bicontinentale symbolise parfaitement l’essence même du FCAT, festival-pont entre l’Europe et l’Afrique.
Deux compétitions pour prendre le pouls du continent
La section principale, intitulée Hipermetropía, présentera douze longs-métrages incluant six premières espagnoles. Cette sélection met en lumière la vitalité de la production indépendante africaine à travers des récits d’exil comme La mer au loin (Maroc), des explorations de la mémoire militante telles que Chroniques fidèles… (Algérie), ou encore des visions d’utopie rurale à l’image de The Village Next to Paradise (Somalie).

En parallèle, la section En Breve offrira un panorama de quinze courts-métrages révélant les nouveaux talents émergents du Maghreb jusqu’à l’océan Indien. Ces œuvres abordent des thématiques contemporaines cruciales comme l’écologie, la corruption ou les violences sexuelles, et proposent trois avant-premières nationales. La dotation globale des prix atteint 18 500 euros, témoignant de l’effort continu de professionnalisation du festival et de son engagement envers les créateurs africains.
Ecos del Cuerno : lire l’Afrique de l’Est et l’Amérique latine à travers ses images
La rétrospective 2025 dirigera son regard vers la Corne de l’Afrique, région fascinante mais souvent méconnue du public occidental. À travers douze œuvres significatives – allant des classiques engagés d’Haile Gerima jusqu’à l’onirique Faya Dayi de Jessica Beshir – le festival démontre la richesse cinématographique insoupçonnée de l’Éthiopie, la Somalie, l’Érythrée et Djibouti. Cette programmation met en valeur un creuset culturel foisonnant d’imaginaires de résistance et d’expressions artistiques singulières.
Sous l’égide de l’Institut Cervantes et de l’Ambassade d’Espagne au Maroc, le FCAT remet également à l’honneur sa section La tercera raíz, dédiée aux cinématographies afro-descendantes d’Amérique latine et des Caraïbes.
Cette initiative constitue un prolongement naturel et cohérent de la mission fondamentale du festival : favoriser un dialogue Sud-Sud authentique et mettre en lumière les influences culturelles africaines dans les Amériques, rappelant ainsi les liens historiques et les héritages partagés à travers l’océan Atlantique.
Au-delà des écrans : lab, podcast et passerelles professionnelles
Le FCAT Lab tiendra sa cinquième édition en ligne les 28 et 29 mai, concentrant ses efforts sur le développement des coproductions euro-africaines et l’exploration des nouveaux formats audiovisuels. Le Podcast du FCAT, lancé en 2024, prolonge quant à lui les réflexions et débats avec cinéastes et chercheurs tout au long de l’année, assurant une continuité de la conversation culturelle au-delà des dates du festival.
L’engagement pédagogique constitue également un pilier essentiel de l’événement, avec des programmes éducatifs et des séances scolaires qui touchent plus de 6 000 élèves andalous chaque année, contribuant ainsi à former la prochaine génération de spectateurs éclairés.
Un carrefour géopolitique et poétique
À Tarifa, ultime promontoire européen avant l’Afrique, et à Tanger, croisement historique des diasporas, le festival réaffirme avec force que les images peuvent traverser les frontières bien plus aisément que les personnes. La programmation 2025 explore les fractures intimes d’un continent en pleine transformation à travers diverses approches cinématographiques : mémoire militante avec des œuvres évoquant Frantz Fanon ou Les Enfants Rouges, éco-fiction comme l’illustre Carissa, ou quêtes identitaires à l’image de Didy. Le FCAT offre simultanément aux créateurs un espace privilégié pour échanger autour des enjeux de coproduction, de distribution et de circulation des œuvres dans l’espace hispanophone, devenant ainsi un laboratoire d’idées et de collaboration intercontinentale.
En vingt-deux éditions d’existence, le FCAT a connu une remarquable évolution, passant d’une modeste « muestra » andalouse à un événement d’envergure internationale, binational, trilingue et hybride. Il s’est imposé comme un rendez-vous désormais indispensable pour quiconque souhaite comprendre les dynamiques contemporaines du cinéma africain dans toute sa diversité.
À l’approche de l’été, Tarifa et Tanger vibreront à l’unisson, portées par la conviction profonde que, face aux crises et aux frontières qui se rigidifient, les histoires projetées sur grand écran demeurent l’un des plus puissants instruments de dialogue et de rapprochement entre les peuples.