Afreximbank engage 1 milliard $ pour propulser le cinéma africain dans une nouvelle ére : décryptage


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Festival du Film Africain de Quibdó 2024
Festival du Film Africain de Quibdó 2024

Avec un investissement sans précédent d’un milliard de dollars, l’African Export-Import Bank vient de poser la première pierre d’une nouvelle industrie cinématographique continentale. Cette initiative transformatrice doit permettre de combler le fossé infrastructurel et financier qui freine depuis trop longtemps l’éclosion des talents africains sur la scène mondiale. Plongée au cœur d’une décision qui pourrait redessiner le paysage audiovisuel du continent.

Le 7 mai 2025, à Kigali, l’African Export-Import Bank (Afreximbank) a officialisé le lancement de l’Africa Film Fund. Ce fonds, doté jusqu’à 1 milliard de dollars géré par sa branche d’investissement, le Fund for Export-Development in Africa (FEDA), affiche l’ambition de : « révolutionner l’industrie cinématographique et créative de l’Afrique », selon le communiqué de la banque.

Pourquoi un fonds dédié au cinéma ?

Le paradoxe est frappant. Le secteur audiovisuel africain génère déjà près de 5 milliards $ de revenus annuels et emploie plus de 5 millions de personnes, d’après l’Institut de statistique de l’UNESCO. Pourtant, son infrastructure demeure embryonnaire : moins de 2 000 écrans de cinéma sur tout le continent, manque criant de studios professionnels, capacités de post-production limitées, et un accès aux financements qui relève souvent du parcours du combattant.

Face à cette équation, la stratégie d’Afreximbank est limpide : injecter des capitaux via un véhicule de private equity pour combler ce « gap » structurel et créer un effet d’entraînement capable d’attirer d’autres investisseurs institutionnels vers un secteur longtemps considéré comme trop risqué.

Un maillon stratégique du programme CANEX

L’Africa Film Fund ne surgit pas ex nihilo. Il s’inscrit dans la continuité de Creative Africa Nexus (CANEX), plateforme développée par Afreximbank depuis 2020 pour soutenir l’économie créative africaine dans toutes ses dimensions. Cette nouvelle initiative marque une accélération notable, puisqu’en octobre 2024, le président de la banque, Pr Benedict Oramah, annonçait déjà le doublement des ressources CANEX à 2 milliards $ sur trois ans – signal de l’appétit croissant pour les industries culturelles africaines.

L’architecture du fonds révèle une approche holistique de l’écosystème cinématographique. Les cibles sont diversifiées : films, séries TV, plateformes de streaming, mais aussi infrastructures essentielles (studios, data centres, cinémas).

Pour concrétiser ces ambitions, FEDA déploiera une gamme complète d’instruments financiers. Si le ticket moyen par projet n’a pas été communiqué, l’institution affirme vouloir financer des projets de bout en bout, depuis la genèse créative jusqu’à la mise sur le marché mondial – une approche intégrée qui rompt avec le morcellement habituel des financements culturels.

Des voix africaines (et hollywoodiennes) pour soutenir l’initiative

L’annonce a suscité des réactions enthousiastes à travers l’industrie. Le Pr Benedict Oramah, président d’Afreximbank, a souligné l’importance stratégique du secteur : « Le film est une pierre angulaire de CANEX ; ce fonds accélérera la croissance du secteur ».
Marlene Ngoyi, CEO de FEDA, a quant à elle insisté sur la dimension écosystémique du projet : « Il ne s’agit pas seulement de financer des films, mais de bâtir un écosystème durable ». Mais aussi, l’initiative a même trouvé un écho à Hollywood.

Les retombées anticipées sur le plan économique sont énormes. Le fonds devrait catalyser la création d’emplois hautement qualifiés : techniciens, scénaristes, ingénieurs du son, spécialistes des effets visuels. Enfin, l’augmentation de la valeur ajoutée locale constitue un autre bénéfice majeur : tournages in situ, retombées touristiques et développement d’industries techniques connexes.

Sur le front culturel, l’enjeu est tout aussi crucial : renforcement du soft power africain à travers la diffusion de contenus de qualité sur les marchés internationaux, lutte contre la sous-représentation chronique des récits africains dans le paysage audiovisuel mondial.
Enfin, dimension souvent négligée mais fondamentale, le fonds pourrait accélérer l’intégration régionale en stimulant les productions panafricaines cofinancées et en facilitant la circulation intra-continentale des œuvres, en synergie avec la zone de libre-échange continentale africaine (AfCFTA).

Défis à surmonter

Néanmoins, le chemin vers une industrie cinématographique africaine florissante reste semé d’obstacles.

  • L’environnement réglementaire demeure hétérogène d’un pays à l’autre (quotas, censure, fiscalité), complexifiant les coproductions transfrontalières.
  • La monétisation reste un défi majeur, dans un écosystème encore largement dominé par l’informel et confronté au fléau du piratage.
  • La formation représente un autre enjeu critique, avec un besoin pressant d’écoles de cinéma et d’incubateurs alignés sur les standards mondiaux. Pour surmonter ces écueils, Afreximbank mise sur des partenariats publics-privés stratégiques et sur son réseau financier (PAPSS, guichets AfCFTA) capable de fluidifier ces points de friction.

L’ambition se double d’un sens de l’urgence. Le fonds devrait entrer en activité opérationnelle avant la fin 2025, avec une première vague d’investissements attendue dans huit à dix longs-métrages et deux studios régionaux stratégiquement positionnés en Afrique de l’Ouest et Afrique de l’Est. Afreximbank prévoit également le déploiement d’un programme innovant de garanties destiné aux distributeurs et plateformes africaines, visant à accroître significativement la part de productions locales dans leurs catalogues. Objectif, hisser la part africaine du box-office mondial au-delà de 3 % d’ici 2030.

Masque Africamaat
Spécialiste de l'actualité d'Afrique Centrale, mais pas uniquement ! Et ne dédaigne pas travailler sur la culture et l'histoire de temps en temps.
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