« Votre anglais est si beau » : la gaffe de Trump qui indigne l’Afrique


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Les présidents Trump et Boakai
Les présidents Trump et Boakai

Le 9 juillet 2025, Donald Trump a félicité le président libérien Joseph Boakai pour son « excellent anglais » lors d’un sommet à la Maison-Blanche, ignorant que cette langue est officielle au Liberia depuis la création du pays en1822. Cette bourde diplomatique condescendante, a déclenché une vague d’indignation à travers l’Afrique et relancé le débat sur la persistance des préjugés occidentaux envers le continent. De Monrovia à Dakar, les réactions fusent contre ce qui est dénoncé comme une « humiliation publique » révélatrice d’une « asymétrie de pouvoir d’un autre temps ». Mais c’est aussi une nouvelle preuve de l’inculture du Président américain.

Le 9 juillet 2025, lors d’un déjeuner officiel à la Maison-Blanche réunissant cinq chefs d’État africains, Donald Trump a commis un impair qui illustre parfaitement la persistance des préjugés occidentaux envers le continent africain.

La scène se déroule dans la salle à manger d’État de la Maison-Blanche. Après que le président libérien Joseph Boakai a exprimé sa gratitude envers les États-Unis, Donald Trump répond avec une surprise non dissimulée : « Merci… et dans un si bon anglais, si beau. Où avez-vous appris à parler de manière aussi belle ? Où avez-vous étudié ? Au Liberia ? »

L’histoire méconnue par Trump du Liberia

Cette remarque, captée par les caméras et diffusée en direct, a immédiatement provoqué un malaise palpable. Joseph Boakai, visiblement gêné, a simplement murmuré « oui monsieur » avant que l’échange ne se poursuive dans un silence embarrassé.

L’ironie de la situation est flagrante : l’anglais est la langue officielle du Liberia depuis sa création en 1821-1822, héritage direct des liens historiques avec les États-Unis. Le pays a été fondé par d’anciens esclaves afro-américains libérés, ce qui en fait l’un des plus anciens alliés africains de l’Amérique.

Ce qui frappe dans cette séquence, c’est moins la méconnaissance géographique de Trump que le préjugé sous-jacent qu’elle révèle. Cette observation met le doigt sur une violence symbolique particulièrement pernicieuse : quel que soit le niveau de maîtrise des langues européennes par les Africains, on leur rappelle toujours, subtilement ou brutalement, qu’elles ne sont pas « leurs » langues.

Les réactions africaines : entre colère et résignation

Les réactions au Liberia ont été particulièrement vives. Moses Dennis, homme d’affaires de Monrovia, résume l’amertume générale : « Le Liberia est un ami de longue date des États-Unis, donc Trump aurait dû comprendre que nous parlons anglais comme langue officielle. Boakai n’est pas allé à Washington pour un concours d’expression anglaise. »

Foday Massaquio, président du Congrès pour le changement démocratique, va plus loin dans sa critique : « En réalité, cela prouve également que l’Occident ne nous prend pas au sérieux en tant qu’Africains. Le président Trump s’est montré condescendant et a manqué de respect envers le dirigeant africain. »

Siokin Civicus Barsi-Giah, expert en leadership et proche de l’ancien président George Weah, est encore plus direct : « Joseph Boakai n’a pas été loué. Il a été moqué par le plus grand président du monde, qui dirige le plus grand pays du monde. »

À travers l’Afrique : une indignation générale

L’incident a rapidement fait le tour des réseaux sociaux africains, déclenchant une vague d’indignation continentale. Sur Twitter et Facebook, les commentaires fusent, dénonçant l’attitude paternaliste de Trump.

William V.S. Tubman III, écrivain libérien et petit-fils de l’ancien président William Tubman, exprime la frustration de toute une génération : « Féliciter un chef d’État africain pour parler anglais « si joliment », ce n’est pas un compliment, c’est le reflet de la persistance d’une pensée coloniale qui continue de façonner les attentes. »

Fatumata Binta Sall, militante féministe libérienne qui se rend fréquemment aux États-Unis, confie que l’étonnement de Trump lui est tristement familier : « Bien souvent, des Américains me demandent si j’ai étudié à l’étranger ou où j’ai appris à parler « si bien ». De tels propos montrent que notre pays n’existe pas dans l’esprit de beaucoup d’Américains. »
Ce témoignage illustre un phénomène plus large : l’invisibilité de l’Afrique dans l’imaginaire occidental, où le continent reste perçu à travers le prisme de stéréotypes obsolètes.

Revue de presse : une condamnation quasi unanime

Africanews titre sans détour : « USA : les propos surprenants de Trump sur l’anglais du président du Libéria », soulignant l’absurdité de la situation où un président américain découvre que l’anglais est la langue officielle d’un pays historiquement lié aux États-Unis.

Jeune Afrique parle d’un « moment gênant à la Maison-Blanche » et pointe la « méconnaissance abyssale de l’Afrique » du locataire de la Maison-Blanche.

Mondafrique va plus loin avec un titre cinglant : « Cinq africains infantilisés par Donald Trump », décrivant une « séquence d’humiliation publique » qui « expose crûment une asymétrie de pouvoir d’un autre temps. »

De même, les médias internationaux sont entre la gêne et l’incompréhension. The Boston Globe et The Washington Times reprennent largement l’information, mettant l’accent sur la « confusion et la colère » des Libériens face aux « éloges condescendants » de Trump.

La Presse (Canada) souligne l’ironie de la situation : « Trump félicite le président libérien pour son niveau d’anglais, langue officielle du pays. » Pravda Niger contextualise l’incident dans le cadre plus large d’un « sommet aux promesses commerciales et échecs diplomatiques », pointant du doigt les « ratés diplomatiques » de l’administration Trump.

Toutefois, certaines voix tentent de relativiser l’incident. La ministre libérienne des Affaires étrangères, Sara Beysolow Nyanti, défend avec subtilité et diplomatie une interprétation plus charitable : « Ce que le président Trump a remarqué, c’est l’influence américaine sur notre anglais au Liberia, et le président libérien ne s’en est pas offusqué. » D’autres analystes suggèrent même que ces remarques étaient, selon le « style rhétorique de Trump », « une reconnaissance du raffinement, de l’intellect et de la préparation de Boakai pour l’engagement mondial. »

Un contexte diplomatique déjà tendu

Il faut rappeler que cette bourde intervient dans un contexte particulièrement délicat pour les relations américano-africaines. L’administration Trump a récemment dissous l’Agence américaine pour le développement international (USAID) avec des conséquences dramatiques pour des millions de personnes. En outre, les droits de douane massifs sur plusieurs pays africains vont mettre au chomage des pans entiers de l’industrie de certains pays. Enfin, la suspension de l’accueil de réfugiés, tout en acceptant paradoxalement 60 fermiers blancs sud-africains complique aussi les relations.

Pour le Liberia, ces changements sont particulièrement douloureux. En raison de la proximité historique entre les deux pays, l’aide américaine représentait 2,6% du revenu national brut du pays, soit la plus forte proportion au monde selon le Center for Global Development.

Mais alors que les États-Unis cherchent à contrer l’influence croissante de la Chine et de la Russie en Afrique, ils ne pourront faire l’économie d’une révision profonde de leur approche du continent. Car comme le rappelle avec justesse un commentateur : « Le continent ne saurait se taire à ce sujet. »

Idriss K. Sow Illustration d'après photo
Journaliste-essayiste mauritano-guinéen, il parcourt depuis une décennie les capitales et les villages d’Afrique pour chroniquer, en français, les réalités politiques, culturelles et sociales de l'Afrique
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