
Vingt-trois à vingt-sept civils peuls auraient été exécutés sommairement lors de la foire hebdomadaire de Diafarabé, dans la région de Mopti, le 12 mai dernier. Un massacre perpétré par des militaires maliens et des chasseurs dozos, selon un rapport conjoint d’Amnesty International et de la FIDH, qui vient s’ajouter à une longue série de crimes impunis dans le centre du Mali. Les deux organisations appellent à briser le cycle d’impunité qui gangrène le pays depuis plus d’une décennie.
Dans un communiqué conjoint publié ce 21 mai, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et Amnesty International dénoncent « l‘exécution extrajudiciaire d’une vingtaine de civils » à Diafarabé (région de Mopti) lors de la foire hebdomadaire du 12 mai 2025. Selon plusieurs témoins, un détachement d’une dizaine de militaires maliens, épaulés de chasseurs traditionnels dozos, a procédé à l’arrestation d’au moins trente hommes au marché aux bestiaux. Après un tri « fondé sur l’appartenance ethnique », entre 23 et 27 Peuls ont été emmenés de l’autre côté du fleuve, ligotés et les yeux bandés, avant d’être égorgés puis ensevelis dans des fosses communes.
Le rapport s’appuie sur le témoignage glaçant d’un rescapé qui a réussi à s’échapper : « Comme je n’étais pas bien attaché, j’ai baissé mon bandeau et j’ai vu les soldats égorger mon frère, la troisième victime ». L’homme raconte s’être alors jeté à la nage dans le fleuve pour échapper aux tirs.
Face à la barbarie, le chagrin des familles et le mutisme des Autorités
Dès le lendemain du massacre, des habitants de Diafarabé, principalement des femmes, sont descendus dans les rues pour obtenir des informations sur le sort de leurs proches disparus. « Les militaires nous ont assuré qu’ils étaient vivants et qu’ils les ramèneraient le lendemain ; cela n’a jamais été fait », témoigne avec amertume une manifestante interrogée par les ONG.
Face à la gravité des accusations, l’état-major malien s’est contenté d’une réponse laconique. Dans une brève note datée du 16 mai, les autorités militaires confirment seulement qu’une mission d’enquête de gendarmerie a été ouverte et se disent « très attentives » aux allégations, sans reconnaître ni démentir les faits rapportés.
« Au regard de la gravité des faits allégués et des témoignages des victimes et de leurs parents, nous interpellons les autorités maliennes pour qu’une enquête indépendante, impartiale et diligente soit déterminée. Il est essentiel qu’une telle enquête aille jusqu’à son terme, c’est-à-dire avec la tenue d’un procès devant les juridictions compétentes, pour mettre fin au cycle de l’impunité et rendre justice aux victimes », insiste Me Drissa Traoré, secrétaire général de la FIDH. Cette exigence trouve écho chez Amnesty International, où Marceau Sivieude, directeur régional par intérim, déclare trop souvent, l’annonce d’une enquête n’est suivie d’aucun résultat : «Cette fois, nous voulons croire que les autorités iront au bout ».
Macabre répétition de l’histoire
Les meurtres de Diafarabé s’inscrivent dans une sinistre continuité. En mars 2022, une opération conjointe de l’armée malienne et de personnel militaire étranger à Moura s’est soldée par la mort d’au moins 500 civils, selon les Nations unies. Trois ans plus tôt, le massacre d’Ogossagou avait fait 157 morts et soulevé l’indignation internationale. Dans les deux cas, aucune poursuite judiciaire crédible n’a encore abouti.
Ces tragédies s’inscrivent dans le contexte d’un conflit multidimensionnel qui déchire le Mali depuis 2012, marqué par la montée en puissance de groupes djihadistes comme la Katiba Macina, particulièrement active autour de Diafarabé, et par la prolifération de milices communautaires aux allégeances fluctuantes.
Un contexte militaire sous haute tension qui ne doit pas empécher la justice
Les événements de Diafarabé surviennent dans un contexte militaire tendu. Le 25 avril 2025, Bamako a lancé l’opération « Dougoukoloko » (« défense du foyer » en bambara) pour « rétablir l’autorité de l’État sur tout le territoire ».
Face à ces graves violations des droits humains, les deux ONG appellent à une mobilisation des partenaires internationaux du Mali afin de garantir vérité, justice et réparations pour les victimes. En l’absence de tribunaux capables de juger rapidement de tels crimes, la tentation est grande pour les familles endeuillées de considérer la justice comme une promesse vide, comme en témoigne le fait que les femmes de Diafarabé sont déjà entrées en période de veuvage rituel, abandonnant tout espoir de revoir leurs époux vivants.