Entretien avec Richard Elémè : « Pourquoi le Cameroun a perdu face à l’Egypte »


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Richard Elémè, ancien Lion du Cameroun
Richard Elémè, ancien Lion du Cameroun

À l’image de Samuel Mbappé Leppé ou encore Emmanuel Koum, Richard Elémè alias « Ricardo », qui est aujourd’hui âgé de 80 ans et résidant toujours à Bali, un vieux quartier de Douala, est une légende de l’Oryx Football Club, qui a remporté la première édition de la Ligue des Champions africaine, en 1965, face au Stade Malien de Bamako (2-1), à Accra au Ghana. Malgré le poids de l’âge, il a reçu AFRIK.COM chez lui avec énormément d’envie de partager, avec la nouvelle génération, sa belle histoire footballistique. Il explique l’élimination du Cameroun en demi-finale devant l’Égypte, par le fait qu’ils n’ont pas respecté les lois de la nature, c’est-à-dire, la mémoire des victimes du stade d’Olembé.

Entretien de notre Envoyé spécial au Cameroun,

Quand avez- vous commencé votre carrière de footballeur ?

J’ai d’abord commencé à jouer au football entre 14 et 15 ans, dans des tournois inter-quartiers à Douala. Pendant que je me préparais à aller en classe de 6ème ou 5ème à cette époque, j’ai commencé à faire les compétitions inter-quartiers et finalement, je suis parti à Yaoundé. Quand j’allais au Collège, comme j’aime le monde et le monde m’a aussi aimé, je suis allé jouer dans le Diamant de Yaoundé. Mes parents m’ont emmené dans un club, comme ils avaient des amis. « Prenez notre enfant, il a besoin de faire du sport et du football surtout ». C’était le mot et j’ai donc commencé. Je suis encore rentré sur Douala en 1959. Je suis retourné en 1960 pour jouer au Diamant, avant de revenir en 1962 à Douala. En tant que Bâlois, je suis venu jouer les tournois inter-quartiers. Un monsieur est venu me dire, « monsieur Elémè vient… ». Il m’a demandé mon âge. Je pense que j’avais 16 ou 17 ans. Il m’a dit : « je viens te chercher à 13 heures. Tu sors de l’école à quelle heure ? » J’ai répondu « entre 14 et 15 heures » et il est venu me chercher.

Qu’est ce qui s’est passé par la suite ?

Il est finalement venu me chercher et c’est en ce moment que je me suis rendu compte que c’était l’entraîneur de l’Oryx de Douala. C’est un entraîneur qui n’avait pas joué au football, il était comme les Mourinho. On était au nombre de quatre ou cinq Balois. À 18 heures, on était sur un terrain de football et il nous a dit : « je vous ai choisis, parce que je vous ai vu jouer et vous êtes appelés à être de grands joueurs de ce pays. Vous avez toutes les qualités ». Il y avait déjà dans le groupe l’oncle à la femme à feu Makepé, Ebelè, Peters Morris, Kotto Colbert… Il nous a amené et il a dit : « je vous ai amené vos petits frères pour jouer avec vous ». Certains ont dit : « pourquoi vous nous avez amené des enfants comme ça ? ». Il a répondu : « attention, je prépare comme ça vos remplaçants, vous êtes en train de vieillir ». Il faut dire que les matchs entre Bali et Akwa, étaient des « guerres ». Chaque équipe d’un village donné voulait montrer qu’elle était plus forte que l’autre. Finalement, on était plus fort que tous les villages de Douala.

Pouvez-vous revenir sur vos années de gloire dans le club ?

J’ai gagné au moins 5 à 6 fois la Coupe du Cameroun. J’ai gagné deux fois la coupe fédérale du Cameroun. J’ai gagné le championnat du Cameroun. En 1964, on nous a envoyé à la Coupe Kwame Nkrumah. Nous sommes aussi allés jouer au Congo, on a été qualifié. En 1965, nous avons encore été appelés pour aller jouer à Accra avec l’Oryx de Douala. C’était au mois de février et avons joué contre Ashanti Kotoko du Ghana. Les Maliens ont joué contre une équipe éthiopienne en demi-finale, si ma mémoire est bonne. Nous avons gagné 2-1 et l’équipe malienne également. Nous avons battu 2-1, en finale, l’équipe malienne (Stade malien), avec des joueurs comme Salif Keïta, Cheick Fantamady Keïta… Salif Keïta était étonné quand il voyait de vieilles figures, il disait « ce n’est pas Ricardo ? »… Comme on a gagné, on était obligé de jouer encore d’autres rencontres. On a reçu les Maliens ici. Ils nous ont foutu 3-0 à l’aller, mais nous sommes allés au match retour au Mali et nous avons gagné 2-0. Nous avons été alors éliminés, mais eux ils ne sont pas arrivés jusqu’en finale.

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Que retenez-vous de Salif Keïta, le premier ballon d’or africain en 1970 ?

Pour une fois, nous avons tous eu de grands joueurs, mais Salif Keïta était un très grand footballeur, on les appelait les joueurs de race. C’est-à-dire qu’ils avaient toutes les qualités requises. Il avait l’instinct, l’intuition, l’anticipation, tout ce qu’il faut avoir comme qualité (Salif Keïta avait terminé meilleur buteur de la première édition de la Ligue des Champions africaine avec 3 réalisations, ndlr).

Quel rapport aviez-vous avec Samuel Mbappé Leppé, qui est aussi une légende du football africain ?

Samuel Mbappé Leppé était mon cousin germain. La mère de Mbappé et ma grand-mère étaient de la même famille. C’est Mbappé qui nous a élevés ici comme ses petits frères et nous étions toujours ensemble. On se fréquentait avant même qu’il ne commence à jouer au football. Il était un très grand meneur de jeu et un grand rassembleur. Il aimait partager ses repas avec les gens, même quand ils venaient chez lui à l’improvise.

Mort depuis 1985, le nom Samuel Mbappé Leppé résonne toujours. L’État camerounais a-t-il été reconnaissant envers l’homme ?

Richard ElémèIl ne faudrait pas qu’on se fasse des illusions. Tout ce monde, c’étaient des ingrats. Vu le niveau de Mbappé avec tout ce qu’il a fait au Cameroun, il n’a rien eu comme satisfaction morale. Mbappé devrait avoir une maison. On lui avait pourtant donné une maison à Yaoundé, mais je ne sais pas pourquoi on le lui avait repris par la suite. Nous, les anciens footballeurs, n’étions pas protégés. Non, seulement on n’était pas protégé, mais aussi le professionnalisme n’était pas encore là. On était des amateurs. Quand j’ai fini mes études, je suis allé travailler dans une société. Je vivais de mon salaire que je gagnais dans la société où je travaillais. On n’avait même pas de prime de match. Nous on jouait pour se distraire. Et même les Mbappé ont joué pour se distraire. On pouvait avoir quatre disciplines au choix. Après on se dit : je fais un peu de volley, de basket, de handball. Personnellement, j’ai aimé jouer au football.

Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris sa disparition ?

Justement, c’est moi qui suis son cousin germain et qui l’ai amené à l’hôpital voir le docteur, ce jour-là. Je suis venu vers midi à la maison, on était en train de manger et je lui ai demandé qu’est-ce qui n’allait pas. Mbappé avait la cirrhose et ses pieds étaient enflés. J’ai alors fait tout mon possible pour l’amener à l’hôpital, nous étions trois ou quatre. Nous l’avons amené chez un docteur qui était en France et qui, à la retraite, a ouvert son petit cabinet à Bali. Mais, il nous a dit qu’il ne pouvait pas soigner Mbappé. Il a demandé qu’il soit hospitalisé en urgence. Il nous a donné un billet d’hôpital pour aller à Yaoundé. Finalement, il est mort.

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Mbappé a été un joueur d’une dimension inestimable…

Oui, Mbappé était un homme à part. Il n’a pas d’égal. Il était plutôt ce qu’il était et il a fait ce qu’il fallait faire. Nous avons beaucoup tourné, beaucoup voyagé et nous en avons rencontré des personnes. Mais j’avoue que Mbappé était un homme à part. Mais, c’ était mon coéquipier. Après admiration, on a tous joué ensemble. Moi, je jouais côté gauche, son petit frère de même mère, Walter Ebele, et Mbappé, jouaient côté droit. C’est lui qui faisait que son frère marquait des buts, parce qu’il savait faire des passes. Il savait faire également en sorte que je marque. Il dribblait puis faisait souvent un centre en retrait et un but est marqué. Il m’a fait marquer trois buts dans un match d’Oryx. Le troisième but, j’ai aussi dribblé le gardien. Il était une icône et un grand meneur de jeu. Il n’avait presque pas de poste fixe sur un terrain. À l’époque, on ne changeait pas de joueur. Vous êtes fatigué, malade, vous tombez sur le terrain, il fallait jouer. Même s’il fallait jouer à 8, on jouait et c’était comme çà.

Comment expliquez-vous l’élimination du Cameroun en demi-finale de la CAN 2022 contre l’Égypte comme en 1972 ?

Ça ne m’a pas trop frustré, pourquoi ? Parce que le terrain venait de perdre du monde, les Camerounais se sont dit comme le président de la CAF avait suspendu le stade, qu’ils acceptent cette disposition. On pouvait aller jouer sur d’autres terrains. Pourquoi les Camerounais sont allés négocier encore une fois de plus et qu’on accepte de jouer au football là-bas ? Pourquoi les Camerounais ont perdu face à l’Egypte ? c’est simple à mon avis : ils n’ont pas respecté les lois de la nature. Vous ne pouvez pas perdre des vies sur un terrain et y jouer le lendemain. Cela veut dire qu’on ne prend pas en considération Dieu. celui qui fait ça est satanique. Voilà donc le résultat de Satan. On a perdu le match, les joueurs étaient comme des gars dans un autre monde. Ces gens qui tirent les pénaltys… (Il arrête et revient sur Mbappe). Beckham et même Mbappé ont aussi loupé des penalties. Mbappé avait raté un penalty contre le Nigeria et c’était qualificatif pour la Coupe du monde.

Paraît-il qu’il a voulu descendre pour jouer la coupe d’Afrique des Nations en 1972 ?

Oui ! ean Atangana Ottou, alias « Remetter » était le gardien d’Akwa de Douala. François Remetter était un grand gardien de but français, et on lui a donné le surnom. Atangana est devenu entraîneur national. Vous vous rendez compte qu’il était le gardien du Caïman, après il est allé jouer dans le Diamant de Yaoundé. Sa sœur ainée, qui était ministre, l’a recruté. Elle est allée voir les responsables, pour dire : « j’ai mon petit cousin ici, il est un grand footballeur. Donc, pour le poste d’entraîneur, il ne faut pas aller appeler des gens en France ». Lors d’un match, Mbappé n’était pas content et il avait demandé à ce qu’on lui donne un maillot pour qu’il puisse jouer. Les gens sont allés voir la FECAFOOT pour cela. Mais Mbappé ne pouvait pas jouer, même avec une carte d’identité.

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