
Le conclave s’ouvrira le 7 mai 2025. Suite au décès du pape François, les 133 cardinaux électeurs se réuniront dans la chapelle Sixtine pour désigner le 267ᵉ successeur de saint Pierre. Ce conclave intervient dans un contexte particulier : l’Église fait face à des défis majeurs comme la crise des abus sexuels, les tensions entre traditionalistes et réformateurs et surtout, un déplacement significatif de son centre de gravité vers les pays du Sud global, notamment l’Afrique.
À deux jours de l’ouverture du conclave qui va désigner le succésseur de François, l’archevêque de Rabat, le cardinal Cristóbal López Romero, a jeté un pavé dans la mare : « Si je suis élu, je m’enfuis en Sicile ! » a‑t‑il lancé avec malice, avant d’ajouter que vouloir le trône de Saint‑Pierre relevait d’un « problème psychologique ».
Cette sortie directe et inattendue cristallise le regard africain sur une élection papale scrutée comme jamais par un continent où l’Église connaît sa plus forte croissance.
Un continent en plein essor catholique : données comparatives
Pour la première fois, 18 cardinaux électeurs africains – sur les 133 qui entreront dans la chapelle Sixtine – participeront au scrutin. Un record par rapport aux 11 électeurs africains de 2013 pour la succession de Benoit XVI. Si l’Europe reste numériquement le continent le mieux représenté, la « majorité mondiale » des cardinaux vient désormais des Amériques, d’Asie… et d’Afrique, signe de la dé‑euro‑centralisation voulue par François.
La dynamique démographique renforce cette voix africaine : le nombre de catholiques sur le continent a progressé encore de 3 % en un an, passant de 272 à 281 millions – la progression la plus forte du globe. À titre comparatif, pendant la même période, l’Europe n’a connu qu’une croissance de 0,3%, tandis que l’Amérique du Nord affiche un recul de 0,8%. Les projections démographiques suggèrent que d’ici 2050, près d’un catholique sur quatre dans le monde sera africain, contre un sur six aujourd’hui.
La vitalité liturgique et la densité vocationnelle constituent un atout que beaucoup aimeraient voir reconnu jusqu’au sommet de l’Église. L’Afrique représente aujourd’hui 30% des nouvelles vocations sacerdotales mondiales, alors que le continent ne compte que 18% des catholiques du monde.
Le « non » bruyant du cardinal de Rabat
Cardinal depuis 2019, missionnaire salésien passé par le Paraguay et l’Algérie, López Romero n’a pourtant aucune ambition pontificale. Dans plusieurs interviews, il a qualifié l’appétit pour la tiare (la coiffe pontificale traditionnelle à trois couronnes, symbole de l’autorité papale) de « soif de pouvoir » et averti que quiconque souhaite cette charge n’en mesure pas vraiment le poids. Selon ses proches, c’est moins une posture qu’un credo : le pasteur espagnol‑marocain, proche des positions de François, préfère la périphérie « où vit le Christ » aux dorures du palais apostolique.
Pourquoi ce refus fait‑il écho en Afrique ?
Culture du service : dans nombre d’Églises locales africaines, l’idéal du pasteur‑serviteur domine sur toute logique de carrière cléricale. Cette vision s’enracine dans les traditions communautaires où l’autorité est comprise comme responsabilité envers la communauté plutôt que comme privilège personnel.
Défi de la synodalité : le cardinal de Rabat répète que l’unité ne se fait pas par le pape seul, mais par la collaboration des Églises sœurs. La synodalité, terme désignant une gouvernance plus collégiale et participative de l’Église, est particulièrement prisée en Afrique où les structures ecclésiales ont souvent intégré des éléments de décision communautaire inspirés des traditions locales.
Crainte de la polarisation : à ses yeux, la course aux « papabili » (candidats potentiels à la papauté) risque de réduire le futur pontificat à un clivage progressistes-conservateurs qui oublie les urgences sociales (migration, pauvreté, climat) particulièrement vives au Sud.
Analyse théologique des enjeux africains
La théologie africaine contemporaine présente des caractéristiques distinctives qui influencent la vision de ses cardinaux:
- L’inculturation comme priorité : Depuis le Concile Vatican II, les théologiens africains ont développé une approche qui cherche à exprimer la foi chrétienne à travers les catégories culturelles africaines. Cette théologie de l’inculturation voit dans la diversité culturelle une richesse à préserver, non un obstacle à l’unité.
- La théologie de la reconstruction : Développée notamment par le théologien kényan Jesse Mugambi, cette approche met l’accent sur la nécessité de reconstruire les sociétés africaines après les traumas coloniaux et post-coloniaux. Elle propose une vision holistique où l’évangélisation ne peut être séparée du développement social.
- L’écothéologie africaine : Face aux défis environnementaux, de nombreux théologiens africains développent une réflexion qui relie la protection de la création aux traditions ancestrales de respect de la nature et à une critique du modèle économique extractiviste.
Ces courants théologiques expliquent pourquoi les cardinaux africains, même ceux considérés comme « conservateurs » sur les questions morales, peuvent se montrer « progressistes » sur les questions sociales et écologiques.
Les voix africaines dans la course
Card. Fridolin Ambongo (Brazzaville) : figure francophone proche des mouvements sociaux, connu pour ses prises de position fermes contre la corruption politique et l’exploitation des ressources naturelles.
Card. Peter Turkson (Ghana) : longtemps pressenti pour son expertise en justice sociale, ancien préfet du Dicastère pour le développement humain intégral. Cependant ses propos contre l’homosexualité dans l’église pourraient être un frein.
Card. Robert Sarah (Guinée) : voix conservatrice, réputé pour sa théologie du silence et sa défense des valeurs traditionnelles, tout en étant profondément engagé contre la pauvreté. En France, le Groupe Bolloré a largement fait la promotion de Robert Sarah sur ses médias.
Card. Dieudonné Nzapalainga (RCA) : artisan du dialogue interreligieux en zone de conflit, plus jeune cardinal de l’Église, nommé à 49 ans pour son travail de paix en République Centrafricaine.
Leurs profils illustrent la pluralité d’un continent dont l’Église ne se résume plus aux clichés de mission lointaine.
Un conclave sous le signe de François… sans son clone
Malgré son retrait symbolique, López Romero demeure influent : il votera, priera et – selon certains confrères – pourrait orienter les suffrages vers un candidat reflétant la ligne sociale de François, sans pour autant en être la copie conforme. Comme il l’a résumé, l’Afrique apporte un cœur jeune ; que Rome lui laisse un micro.
Que le prochain pape soit ou non africain, le signal est clair : le centre de gravité catholique glisse vers le Sud.