
Paris. Samedi, 20 mai 2025. Institut du Monda Arabe. En prélude à une rencontre avec Jack Lang sur mon projet Louis Massignon, nous visitons l’exposition Trésors sauvés de Gaza. Depuis 2007, le Musée d’art et d’histoire de Genève est le refuge de cinq-cents œuvres archéologiques confiées par l’Autorité nationale palestinienne, des stèles, des amphores, des statuettes, des mosaïques, de l’âge de bronze à l’époque ottomane. Des traces exceptionnelles, soustraites aux destructions systématiques. Cent-trente-pièces de cet ensemble, issues de fouilles franco-palestiniennes entamées en 1995, et de la collection privée de Jawdat Khoudery, sont enfin visibles sur le territoire français.
En deux ans de bombardements intensifs, le sionisme a anéanti cinq mille ans d’histoire. Des sites archéologiques, des patrimoines historiques, irremplaçables, sont anéantis par l’armée israëlienne. Trois cents mosquées, trois églises réduites en poussière. L’adhan ne résonne plus. Les cloches ne retentissent plus. Les appels à la prière étouffés par les pilonnages des chasseurs-bombardiers.
Je reste longtemps immobile devant une statuette grecque d’Hécate d’une trentaine de centimètres. Hécate, fille d’Astéria, déesse de la nuit étoilée. Hécate, déesse de la lune, de la magie, des routes, des carrefours, des passages, des ouvertures. Hécate s’appuie sur un buste d’Hermès, le Messager, le patron des voyageurs, des orateurs. Hécate est, comme son regardeur, perdue dans ses pensées. Sa terre natale se meurt. S’étend sous les yeux une mosaïque de vingt-quatre mètres carrés, érodée par le temps, prélevée en 1997 sur le site de Dair el-Balah, à l’emplacement d’une église byzantine disparue.
La bande de Gaza ouverte sur le monde depuis des millinéraires, cloisonnée, emmurée, isolée, assiégée depuis 1949, Au cinquième siècle avant Jésus-Christ, Hérodote décrit Gaza comme un royaume arabe, habité par les cananéens, les philistins, les peuples de la mer.
En 332 avant l’ère chrétienne, Alexandre le Grand occupe la cité, tue tous hommes, expédie ses richesses en Macédoine. Sous Pompée, Gaza est une province romaine. Au quatrième siècle, les byzantins christianisent Gaza, la couvrent d’églises majestueuses, de mosaïques précieuses.
Le vin de Gaza
L’exposition décline des amphores de plusieurs époques, de plusieurs formes. Le territoire est renommé pour son vin, vinum gazetum ou vina gazatina, exporté dans toute la Méditerranée. L’évêque et historien Grégoire de Tours (538-594), raconte l’histoire d’une épouse de sénateur lyonnais qui offre du vin de Gaza à chaque messe célèbre au nom de son mari jusqu’au jour où elle s’aperçoit que le sous-diacre subtilise le précieux breuvage et le remplace par une vulgaire piquette. Le plus grand site vinicole du monde de l’époque byzantine est découvert récemment dans ville Yavné, au nord de Gaza.
Cinq pressoirs couvrant chacun deux-cent-cinquante mètres carrés, deux énormes cuves octogonales, quatre grands entrepôts pour le vieillissement, des fours pour la cuisson des amphores d’argile. Deux millions de litres de vin produits chaque année. Un domaine industriel sophistiqué, avec des accès symétriques planifiés entre différentes installations. Le vin de Gaza est un vin blanc doux de haute gamme, servi à la table des empereurs, chanté par les poètes. Les processus de vinification sont exécutés manuellement. Les raisins sont écrasés pieds nus, avant d’être fermentés. L’activité vinicole disparaît avec l’avènement de l’Islam au septième siècle.
Cette terre s’appelle Palestine
Le nom Palestine est attesté en grec dès le cinquième siècle avant l’ère chrétienne. Hérodote évoque la Syrie-Palestine où le pharaon Psammétique vient, vers 620 avant Jésus-Christ, à la rencontre des Scythes marchant contre l’Egypte et les persuade de quitter le pays sans le piller. Hérodote, né vers 484, mort vers 425 avant Jésus-Christ, visite la région. Il décrit les stèles dressées par le pharaon Sésostris. Pline l’Ancien (23-79 après Jésus-Christ) connaît le nom de Palestine. Il en fixe les limites géographiques dans son Histoire naturelle. « Après la ville de Péluse, commencent l’Idumée et la Palestine à la sortie du lac Sirbon« . Il dénombre plusieurs cités. Il dépeint les palestiniens comme des nomades occupant également le Sinaï.
L’empereur romain Adrien utilise l’appellation Palestine comme une dénomination administrative. Aux lendemains de la révolte de Bar Kokhba, il substitue, en 134, le nom de Syrie-Palestine au terme de Judée. Le toponyme perdure après la conquête musulmane au septième siècle. Le colonialisme occidental reprend le sens chrétien péjoratif de philistins. Il occulte le mot Palestine au profit de Terre sainte. L’orientalisme mystifie le l’histoire et le lexique. Dans l’article de l’Encyclopédie, 1751-1772, de Denis Diderot et Jean le Rond d’Alembert sur la Palestine, se mêlent fantasmes et réalités. « La Palestine est un territoire sec, désert, entièrement dépeuplé, partout couvert de roches arides. Son sol n’a jamais de quoi nourrir ses habitants. La Palestine actuelle est plus misérable que jamais. Elle est la proie des arabes qui la courent de toutes parts. Ils attaquent les voyageurs et les étrangers« . L’esprit des lumières dans tout son aveuglement.
Khan Younès
En 637, Gaza est conquise par le légendaire général musulman Amr ibn al-As, compagnon du prophète. La garnison byzantine est décimée, mais la population est épargnée. Les chrétiens, dans leur majorité, se convertissent à l’islam. Les juifs gardent leur foi en contrepartie d’une imposition de protection, dhimma. La ville est détruite à plusieurs reprises pendant les Croisades. Avec Saladin, Salah Eddine al-Ayoubi (1138-1193), Gaza connaît une nouvelle renaissance. Les ottomans l’incorporent en 1516 à leur empire.
La cité de Khan Younès, à trente kilomètres au sud de Gaza, entièrement saccagée aujourd’hui, est une ville mamelouke florissante et prospère au quatorzième siècle. Le caravansérail, khan en arabe, fondé vers 1380, avec ses magasins en rez-de-chaussée, ses logements, sa mosquée coiffée d’un dôme, son enceinte fortifiée, est un patrimoine humain inestimable. Il est irrémédiablement rasé. Les rares reportages émanent de journalistes palestiniens traqués comme des cibles condamnées d’avance. Après l’apocalypse, Khan Younès n’est qu’effondrements de béton, amoncellements de gravats, boues malodorantes, poussières asphyxiantes. Des enseignes commerciales, des plaques de rue, des panneaux de circulation gisent par terre. Des habitants hagards cherchent désespérément l’emplacement de leurs maisons.
La cité fantôme dégage une atmosphère lugubre, funèbre, sépulcrale. Des centaines de milliers de déplacés. Dans les camps de toile de Rafah, les pluies battantes, les frayeurs tourmentantes, les pensées déroutantes. Je lis d’une traite Un historien à Gaza de Jean-Pierre Filiu, éditions Les Arènes, Mai 2025. Je n’en retiens qu’une plongée cauchemardesque dans l’horreur. Entre deux ordres d’évacuation, « Les survivants s’écartent par réflexe. Ils détournent le regard. Ils portent avec honte leur peine. Ils étouffent de leurs deuils. Ils se replient sur leurs proches. Ils réduisent leur horizon à leur seule tente« .
La Grande Mosquée Al-Omari

La Grande Mosquée Al-Omari, tour à tour temple romain, abritant une statue de Zeus, synagogue, église des croisés dédiée à Sainte Eudoxie, avec ses colonnes, ses arcades circulaires, ses coupoles, son minaret agrémenté de décorations mamloukes, cœur de la cité de Gaza, dans le quartier al-Balad, exemple unique de recyclage architectural de marbres antiques et de calcaires crétois par les trois religions monothéistes, est pulvérisée en décembre 2023. A elle seule, cette mosquée était l’emblème de la diversité culturelle et spirituelle, sentinelle immuable des fraternités électives. Elle a survécu aux mutilations des séismes, des conquêtes, des guerres. Il n’en reste plus rien. Rayonnait dans ce sanctuaire, la bibliothèque fondée par Al-Zahir Baibars en 1277, avec ses vingt-mille ouvrages embrassant tous les domaines des sciences et des lettres. Brillaient de mille feux des centaines de manuscrits comme Sharh Al-Ghawamid fi ‘Ilm a-Fara’id, Explicitation des hermétismes en psychologie, de Badreddine al-Mardini. Les campagnes napoléoniennes de 1801 ont éparpillé les grimoires.
Anthédon
Anthédon au nord de Gaza, aujourd’hui Blakhiya, cité grecque de l’époque mycénienne, occupée entre 250 avant l’ère chrétienne et 70 après Jésus-Christ. Les murailles et les structures portuaires ont fait l’objet de fouilles par une équipe franco-palestinienne entre 1995 et 2005 sous la direction du Père Jean-Baptiste Humbert, membre de l’Ecole biblique et archéologique de Jérusalem. Des maisons hellénistiques aux murs peints, un rempart et la porte de la ville ont été dégagés. D’autres maisons romaines de l’époque nabatéenne ont également été mises à jour. Anthédon n’est plus qu’une dune ébréchée par des carrières, ravagée par les vagues, un camp de réfugiés. Sous les sables, les vestiges d’une ville autrefois florissante, entourée de jardins et de vergers. Anthédon, sans jetée ni ponton, était appelée par les romains le port des aziotes. Des barques prenaient le fret au large.
Les transactions se faisaient sur la plage. Les bateaux phéniciens, grecs, chargeaient les richesses de la corne d’Afrique, les pierres fines, les bois rares, les textiles, les épices, les encens, les parfums, les onguents. Emerge un quartier hellénistique aristocratique remarquablement conservé. Il est clôturé d’une enceinte en brique crue. D’autres maisons contiennent des poteries nabatéenne et des amphores libyennes. Une villa maritima. Une fontaine. Un bassin gardé par une thiase. Dionysos est passé par là. Les sables ont vaincu Anthédon vers l’an 300 sous l’empereur Dioclétie. Cf. Jean-Baptiste Humbert, Gaza Méditerranéenne, histoire et archéologie en Palestine, éditions Errance, Paris, 2000. En octobre 2023, Blakhiya et le site archéologique sont broyés par les roquettes et missiles sionistes. Le site est directement visé. La Convention de la Haye de 1954 est délibérément violée.
Toujours au nord de Gaza, les restes de l’église byzantine de Jabalaya, édifiée au cinquième siècle, dévoile en 2022 des mosaïques animalières et florales impressionnantes, découvertes vingt-cinq plus tôt, avec des palmiers dattiers, des arbres fruitiers, des grappes de raisins, des scènes champêtres, des lions, des gazelles, des lapins, des oiseaux, des paons, des poissons, des chèvres, des vaches, des chevaux. Des médaillons ovales et rectangulaires, en grec ancien, datés de 496 à 732, portent des prières et des noms d’évêques, de prêtres, de bienfaiteurs. Dans le baptistère attenant l’église, une piscine en forme de croix pavée de mosaïques géométriques et figuratives. Quatre animaux exotiques sont représentés aux coins du bassin baptismal, un éléphant, une girafe, un léopard, un zèbre, des arbres fruitiers et les quatre fleuves du paradis, Gihon, Physon, Euphrate et Tigre. Au nord de Jabalaya, Beit Lahia, localité réputée pour son eau douce et ses citronniers., village de l’historien chrétien du cinquième siècle Sozomène, auteur de l’Histoire ecclésiastique. Subsistent les ruines de deux mosquées médiévales. Jabalaya, ville de quatre-vingt-deux mille habitants, est totalement détruite. Sa population a été partiellement assassinée. Les survivants ont en totalité expulsés après avoir subi les pires atrocités.
Le Monastère de Saint Hilarion

Le Monastère de Saint Hilarion est situé sur les dunes côtière de Tell Umm el’Amr. Il a été construit au quatrième siècle et détruit en 614. Le monachisme chrétien oriental incarne un idéal ascétique, dans le désert, espace propice à la purification, à la catharsis. Le mot moine provient du grec monachos qui signifie solitaire. L’anachorète se tient à l’écart. Saint Chariton (vers 270-vers 350), dit Chariton le confesseur, institue le monachisme du désert vers l’an 320. Il s’installe dans une grotte de Wadi Qelt. Il établit des règles strictes, basées sur le jeûne, le silence, l’abstinence. Un seul repas par jour, fait de pain, d’eau et de sel.
Prière jour et nuit. Les anachorètes sont considérés comme des thaumaturges. La foule se précipite autour d’eux. Certains créent des monastères. Saint Sabas, disciple d’Euthyme, après s’être retiré dans une grotte du Cédron, érige la Grande Laure, avec soixante-dix cellules, puis six autres ermitages à proximité. Il est nommé archimandrite de tous les anachorètes. Il meurt centenaire.
En juillet 2024, le monastère de Saint Hilarion est inscrit au patrimoine mondial en péril. Les hivers pluvieux ravinent les sols. Les fondations s’affaissent sous l’humidité. Les herbes dévorent les pavements des mosaïques. Les murs s’écroulent. Dans une note d’information de 2004 à l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, les archéologues français René Elter et palestinien Ayaman Hassoune expliquent l’importance de ce patrimoine, découvert en 1997 par le Service des Antiquités de Gaza à l’occasion d’un projet immobilier. Cinq campagnes de fouilles sont entreprises entre 1997 et 2001. Le site, à dix kilomètres de Gaza, domine des palmiers et des vignes. Il est à l’abri des vents maritimes et des bourrasques sableuses une grande partie de l’année. Il comprend les vestiges d’un monastère byzantin complet, église, chapelles, crypte, atrium, cellules, annexes, établissement de bain. La pierre utilisée est du grès marin, appelé localement kourkar. La nef de l’église est pavée de mosaïques à décor géométrique. L’autel est axé sur la tombe d’Hilarion. Le tapis du centre comporte deux médaillons. L’un représente un oiseau. L’autre honore un donateur : »Souviens-toi, Seigneur, de ton serviteur Nestorios le juriste et de toute sa maison« . Les différentes restructurations, remaniements, agrandissements des édifices indiquent une augmentation de prestige, une sacralisation progressive et une vénération de plus en plus populaire. Le monastère était une étape du pèlerinage du Sinaï. L’église a été dévastée par un tremblement de terre.
Tell es-Sakan est une colline artificielle de huit hectares, dominant la plaine littorale d’une dizaine de mètres, située à cinq kilomètres au sud de Gaza. Elle est constituée de ruines accumulés d’une agglomération occupée entre 3200 et 2000 avant Jésus-Christ par des populations égyptiennes et cananéennes. La religion cananéenne désigne des croyances sémites remontant à l’âge de bronze, pratiquées jusqu’aux premiers siècles de l’ère chrétienne, tantôt polythéistes, tantôt monolatristes. Le site est découvert en 1998 à l’occasion de la construction d’un complexe d’habitations. Il est aussitôt fouillé par une équipe archéologique franco-palestinienne. Le creusement de fondations avec des engins mécaniques mettent jour des constructions en brique crue et un abondant mobilier. C’est une clé capitale pour comprendre les relations entre la Palestine et l’Egypte de l’époque prédynastique, aux quatrième et troisième millinéraires avant Jésus-Christ. De nouveaux chantiers immobiliers l’endommagent en 2017.
Non loin de Tell el-Sakan, Tell el-Ajjul, 2100 avant Jésus-Christ, découvert en 1930-1934 par l’archéologue britannique Flinders Petrie (1853-1942), père des fouilles scientifiques en Egypte et en Palestine, inventeur de la stratigraphie, qui prélève les objets couche par couche et les date avec précision. C’est Flinders Petrie qui explore le cimetière d’Hauwarâ el-Maqta dans le Fayoum et déniche les fameux portraits des défunts momifiés. C’est toujours Flinders Petrie qui prospecte Armana, capitale d’Akhenaton, dixième pharaon de la dix-huitième dynastie au deuxième millénaire avant Jésus-Christ. C’est encore Flinders Petrie qui étudie la pyramide à faces lisses de Maïdoum attribuée à Snéfrou, premier roi de la quatrième dynastie. C’est toujours Flinders Petrie qui découvre la statue colossale de Ramsès II dans le temple de Tanis. En 1999-2000 les fouilles de Tell el-Ajjul sont relancées par l’australo-suédois Peter Fischer et le palestinien Moain Sadeq.
Qasr al-Bacha

Qasr al-Bacha, construit par les Mamlouks au treizième siècle, est bombardé et détruit en 2024. Le premier étage, avant sa démolition, présente l’emblème du sultan Baybars, une sculpture de deux lions se faisant face. Au dix-septième siècle, l’édifice est une forteresse de la dynastie Radwan, dotée de passage sousterrains et de meurtrières, de la dynastie Radwan. Les pachas ottomans en font leur résidence officielle. Elle est, à l’époque, constituée d’une mosquée, d’une caserne, d’une armurie et défendue par des canons.
Napoléon y passe trois nuits. Qasr al-Bacha est devenu un musée en 2010. Des bonnes volontés, comme Projet Intiqal, transmission, initié par Première Urgence Internationale, sauvent ce qui peut l’être, des artefacts, des débris de mémoire. Cf. Gaza, Comment transmettre le patrioine, le programme Intiqal, sous la direction de René Elter, éditions Riveneuve, Paris, 2025.
Gaza ne dispose pas d’une loi préventive en matière d’archéologie. Même si cette loi existait, elle ne servirait à rien. Jawdat Khoudary, entrepreneur, a construit une musée privé, Al-Mat’haf, où il exposait des éléments archéologiques déterrés dans ses chantiers. Le bâtiment est échaffaudé avec des vieilles pierres, des traverses de chemin de fer, des colonnes de marbre. L’équipement est conçu comme une halle de réception de l’hôtel. Se découvrent des chapiteaux, des sculptures, des poteries, des amphores, des sceaux, des bulles, des inscritions grecques et arabes, des ancres, des verreries, des bijoux, des monnaies.
La collection bénéficie du soutien scientifique et technique de la Direction des Musées de Genève. Cf. Alain Chambon, Une collection archéologique privée à Gaza, in ouvrage collectif, La Pioche et la plume, éditions Presses Universitaires Paris Sorbonne, 2022. Alain Chambon, Le Musée archéologique de Gaza al-Mathaf et la collection al-Khoudary, in René Elter , Patrimoine en Palestine, enjeux et obstacles à sa mise en valeur, éditions Riveneuve, Paris, 2014. En février 2024, le musé est bombardé. Puis, tout le quartier, à proximité de l’antique cité grecque de Blakhiya-Athédon est passé au buldozer. Jawdat al-Khodary a sauvegardé, dans un premier temps, une partie de la collection dans son domicile. Sa maison a subi un sac total avant d’être à son tour cannonée. Beaucoup d’antiquités pillées finiront dans les salles de vente sionistes. Il n’y a plus de conservation, sauf pour les objets mis à l’abri en Suisse. Il ne reste qu’un devoir d’inventaire des pertes. L’archologue Jean-Baptiste Humbert rapporte un exemple. Il constate qu’une partie de nacelle d’un char en bronze masopotamien, avec une inscription cunéiforme, une pièce exceptionnelle, répertoriée, cadeau d’un roi sumérien à un monarque égytien, est introuvable.
L’archéologue la retrouve dans le bureau de Jawdat al-Khoudary. Deux mois plus tard, il reçoit une photographie avec la pièce exceptionnelle complétement calcinée. Le grand effacement n’épargne rien. Il faut, bien entendu, documenter les crimes culturels. Des scientifiques s’y emploient utilement. Des livres pérennisent l’ineffaçable. L’exposition Trésors sauvés de Gaza de l’Institut du Monde Arabe s’affirme comme un acte de résistance. Cf. Sébastien Haule, Carte des lieux. Gaza, inventaire d’un patrimoine bombardé, Le Carnet Hypothèses, Gaza Histoire.
Canaan
Retour sur une histoire multimillénaire. Canaan est un carrefour des cultures mésopotamiennes, hourrites, égyptiennes, mycéniennes, crétoises. L’essentiel des connaissances sur la religion cananéenne provient d’une série de tablettes trouvées à Ras Shamra. Le dieu princial est El époux d’Asherah. Mais, la divinité la plus adulée est Baal, maître des pluies et de la fertilité. Astarté, équivalente de la déesse babylonienne Ishtar, accompagne et protège les souverain à califourchon sur un cheval. Adad est le dieu de la tempête, de l’orage, des manifestations climatiques. Son animal-symbole est le taureau. Reshep est le seigneur des mondes souterrains, des enfers, des guerres, des épidémies. La langue des cananéens, initiatrice de l’alphabet, est une forme archaïque de l’hébreu. Les strates du site archéologique de Lakesh, âge de bronze récent, montrent une écriture considérée comme l’ancêtre du phénicien et un curieux alphabet cunéiforme utilisé à Ougarit. Le cunéiforme syllabique traditionnel de Mésopotamie est régulièrement employé.
La civilisation des hourrites remonte à l’âge de bronze. Elle se développe entre le quatrième millénaire et le premier millénaire avant Jésus-Christ. Leur empire Mitanni fusionne avec leurs voisins Hitites. La culture et la langue hourrites restent sibyllines. Les archéologues espèrent obtenir des éclaircissements dans des cités antiques comme Urkesh dans le nord-est de la Syrie. L’historien William James Hamblin (1954-2019) précise : « La conquête de la Mésopotamie par la Hourrites est un phénomène complexe comprenant des implantations pacifiques, des infiltrations de mercenaires à la solde des cités états locales, des invasions de chefs de guerre, et finalement des migrations à grande échelle de tribus hourrites des montagnes vers la vallées fluviales fertiles ».
Les grandes découvertes archéologiques sont souvent providentielles. Des agriculteurs labourant leurs champs, des ouvriers creusant des soubassements, des mineurs forant des puits, des défricheurs ouvrant des routes, excavent, par miracle, des merveilles endormies depuis la nuit des tems. La grotte de Lascaux, cathédrale peinte et gravée du paléolithique supérieure, sanctuaire inoui du paganisme, est découverte par hasard, en 1940, par quatre écoliers intrigués par un trou d’arbre déraciné. Les manuscrits de la Mer morte sont exhumés par un bédouin en 1947 par un bédouin à la recherche d’un animal.
Le corps en Bretagne. L’esprit à Gaza.
Je reviens de Bretagne où j’ai tenu une deuxième conférence sur Louis Massignon et préparé un livre sur le sujet. Les passerelles se tissent naturellement. J’établis intuitivement des correspondances entre palestiniens et bretons. Je pense à la route de l’étain, partant du port de Binic, traversant toute la Méditerranée jusqu’au port gazaoui d’Anthédon. L’étain, métal indispensable pour la confection du bronze. Les navires phéniciens franchissent les Colonnes d’hercule jusqu’en Bretagne, jusqu’en Cornouailles, jusqu’aux mythiques îles Cassitérides, prodigues en mines d’étain. La légende des Sept Dormants emprunte le même chemin.
Chaque fois que je me retouve sur la côte nord du Finistère, je revisite le cairn de Darnenez, dit Kerdi Bras en Breton, sur un promotoire dominant la baie de Morlais, monument étourdissant du Néolithique de soixante-quinze mètres, témoin des débuts du mégalithisme, cinq-mille ans avant l’ère chrétienne. En 1954, un entrepreneur de travaux publics, sans scrupules, ouvre une carrière, éventre quatre chambres. L’écrivain, linguiste, spécialiste des littératures celtiques, journaliste à Ouest France, Francis Gourvil (1889-1984) alerte le préhistorien Pierre-Roland Giot (1919-2002), considéré comme le créateur de l’archéologie armoricaine, qui, à son tour, fait arrêter le scandaleux chantier par les autorités. S’entament des fouilles de sauvegarde jusqu’en 1968. Le cairn de Douarnanez, classé en urgence monument historique en 1956, surnommé par André Malraux le parthénon mégalithique, me fascine toujours plus à chaque retrouvaille. Se décèlent des restes de peintures polychromes rouges et noires. Des gravures dans les couloirs représentent d’après les interprétations des archéologues des haches, des arcs. Des signes en U représenteraient des cornes de bovidés. Les croix représenteraient des coprs humains. Les lignes ondulées seraient des vagues. Un rectangle surmonté de courbes en gerbe serait une déesse mère. Les constructions mégalithiques déclinent des techniques incroyablement sophistiquées. La sédentérisation génère une grande architecture en matériau durable, des monuments démesurés, surchargés de symboles, des communications indécryptibles avec le cosmos et les esprits.
Que dire du Grand menhir d’Er Grah, dans le Morbihan, brisé en quatre, vingt-et-un mètres de long, trois-cent-trente tonnes de poids, érigé au cinquième siècle avant Jésus-Christ ? Dans Notes d’un voyage dans l’Ouest de la Bretagne, 1836, Prosper Mérimée, inspecteur-général des monuments historiques de la France, décrit Locmariaquer : « Après Carnac, la presqu’île de Locmariaker est le canton où se trouve le plus grand nombre de monuments celtiques. Depuis le village de Crac’h, jusqu’à la mer, il n’y a pas de hauteur d’où l’on ne décovre des tumulus, des dolmens, des menhirs, ou des débris de ces monuments. En sortant de Locmariaker, on rencontre un grand menhir renversé. Il a une vingtaine de pieds de long, cinq de diamètre et se termine en pointe. Plus loin se présente un dolmen à moitié détruit. Il semble que son toit était formé de plusieurs pierres horizontales. On n’en voit plus aujourd’hui qu’une seule en place, remarquable par sa masse, soutenue par des piliers. Elle a une quinzaine de pieds de long. En comparaison, les piliers de trois ou quatre pieds au-sessus du sol, irrégulièrement disposés, avec des espaces vides par lesquels on peut passer, paraissent dérisoires. Il m’a semblé que ce dolmen était assis sur un amas de terre artificiellement élevé. On arrive devant plusieurs blocs énormes renversés au bord d’un chemin. On reconnaît, en les examnant, qu’ils ont fait partie de la même pierre. C’était un immense menhir dont les quatre fragments réunis donnent une longuer de soixante-six pieds six pouces. La base, la partie la plus considérable, est encore inclinée sur le bord du trou dans lequel elle était implantée à une profondeur de trois à quatre pieds seulement. Son diamètre dépasse treize pieds. La chute de cette pyramide est inexplicable pour moi. En tombant, la base s’est tournée presque du côté opposé des trois autres fragments, gisants à terre sur une même ligne. Les cassures sont aussi nettes que possible. Dans le choc qui a brisé le menhir, il semble qu’aucun petit éclat ne s’en soit détaché. On dit que c’est la foudre qui l’a renversé. La puissance de la foudre est incalculable. Il n’ y a pas de prodige qu’on ne lui puisse attribuer. On estime à plus de cinq cent mille livres le poids du menhir. Le procédé qu’on a utilisé pour le dresser est un sujet de méditation perpétuelle ». Quant je pense au mehnir monumental d’Er Grah, traduisible par vieille sorcière, je le visualise debout, intact, dans on intégralité originelle. Une âme ineffable l’anime. Je ressens son inaltérable présence, vibratoire, ondulatoire, son intemporalité sacrale. Je ne manque pas une occasion, quand je retourne dans la région, de lui rendre visite. Interlocution muette, secrète, extatique. Là se gîte la pensée rhizomique. Là se niche la conscience indicible.
Dans le même site des mégalithes de Locmariaquer, La table des Marchands, appellation officialisée par Prosper Mérimée après des spéculations nominatives interminables. C’est un dolmen à couloir mesurant dix mètres, composé de dix-huit orthostates et trois dalles de couvertures. La dalle centrale mesure 5,72 mètres. La hauteur atteint 2,50 mètres. La dalle de chevet est gravée sur sa face interne d’un motif qui représenterait une déesse à la chevelure rayonnante selon Charles-Tanguy Le Roux ou un symbole phallique selon Serge Cassen, qui traduit un double arc radié sur un rectangle et un croissant comme un habitat monde, la terre et la mer. La poétisation vaut le détour. Une grande hache emmanchée, arme de dissuasion, et trois animaux à cornes, sont de facture réaliste. Cf. Serge Cassen, Le Mané Lud en mouvement. Déroulé de signes dans un ouvrage néolithique de pierres dressées à Locmariaquer, Morbihan, revue Préhistoires Méditerranéennes, N° 2, 2011. L’entrée dans le cairn me procure, à chaque fois, une intense émotion, comme un basculement dans d’autres dimensions.
De la Bretagne à Gaza
Gaza souffre depuis toujours d’un étrange éternel retour. En 97 avant Jésus-Christ, elle est envahie, détruite et abandonnée par la dynastie juive des Hasmonéens, issues des Maccabées, qui ont régné sur la Judée pendant un siècle. Les juifs fêtent toujours las Hanoucca, célébrée pendant huit jours, commémorant la révolte des Maccabées, du nom de Judas, dit le Maccabée, fils aîné de Mathatias l’hasmonéen. Les quatre livres des Maccabées ne figurent pourtant pas dans le canon hébraïque. »La fête célébrée par Judas et ses concitoyens, en l’honneur du rétablissement des sacrifices dans le Temple durant huit jours, est applée fête des lumières » (Flavius Josèphe, Antiquités juives, livre XII, édité en 93/94 sous le règne de Domitien). Toute la légende, rapportée dans le septième chapitre du deuxième livre des Maccabées, repose sur l’histoire d’une mère et de ses sept fils refusant de manger du porc, interdit par la Torah, mis à mort par le roi sélucide Anthioxhos IV Epiphas, dit l’illustre, né vers 215, mort en 164 avant Jésus-Christ. La cryte de l’abbaye de Bobbio, fondée au septième siècle en Emilie Roamagne, Italie, abrite une mosaïque narrant cette allégorie. L’insistance dans le deuxième livre des Macchabées sur le martyr et la résurrection des morts exlique le sens dérivé signifiant cadavre.
L’École de Gaza
En anéantissant les sites archéologiques gazaouis, c’est la mémoire de l’humanité que le sionisme atomise. Aux cinquième et et sixième siècles, la cité de Gaza abrite une vie intellectuelle raffinée, plurale, diversitaire.ouverte à la diversité. Une littérature vivante, irriguée par des savoirs divers, historiques, mythologiques, théologiques, épistémologiques, rhétoriques, poétiques, voit le jourProcope de Gaza (vers 370 – vers 530) est un rhéteur officiel, un conférencier public, un tribun renommé. Il cultive l’art oratoire dans le style grec attique. Il écrit. Il enseigne sans prendre part aux querelles idéologiques. Il est aussi connu pour ses commentaires exégétiques des Saintes Écritures. De son oeuvre plétorique, il reste trois dialexeis, quatre éthpées, deux descriptions d’oeuvres d’art, un épithalame, un panéyrique impérial, deux monodies. Cf. Procope de Gaza, Discours et fragments, traduction française éditions des Belles Lettres, 2014).
Choricios de Gaza, en latin Choricius Gasæus, écrivain, orateur grandiloquent, rhéteur après la mort de son maître Procope de Gaza. Choricios de Gaza est un chrétien de l’époque de Justinien. Il pratique les genres traditionnels de la controverse, du panégyrique, de la description artistique, ekphraseis, de l’oraison funèbre. Ses déclamations s’acompagnent de commentaires. L’École de Gaza est formaliste, avec évitement systématique du hiatus. Elle draîne des thématiques rebattus. Elle abuse des préceptes, des aphorismes, des citations, des tours poétiques. Choricios de Gaza est connu pour son Apologie du mime, recueil de textes dépeignant les mimes, vers 530, les comédiens, les acteurs. Les mimes, malgré leur dénigrement par les prédicateurs chrétiens, sont un rouage essentiel dans les fêtes et les célébrations de fin. Choricios de Gaza défend les saltimbanques, les cabotins, le farceurs, les matassins, les bouffons, les histrions. Cf. Choricios de Gaza, L’Apologie des mimes, traduction française éditions Peter Lang, 2019.
D’autres penseurs gazaouis. Énée de Gaza (vers 445 – vers 534), philosophe néoplatonicien converti au christianisme, contemporain de Procope de Gaza. Il ne reste de l’auteur que quelques lettres et le Théophraste, dialogue sur l’immortalité de l’âme, la résurrection des corps, l’origine de l’être humain, la providence divine. Il rejette l’éternité du monde dans la mesure où il est corporel et donc corruptible, quelle que soit la perfection de ses mécanismes. Il soutient aussi que le coprs étant constitué de matière et de forme, même quand la matière périt, la forme contient la puissance de ressusciter cette matière au dernier jour. Les âmes, selon lui, ont été créées de toute éternité par Dieu. Elle sont en nombre limité. D’où la nécessité d’une opération de métempsychose qui fait passer successivement ces âmes de corps en corps.
Gaza est, à cette époque, un théâtre d’affrontements violents entre païens et chrétiens. Les étudiants chrétiens dénoncent leurs condisciples paëns, adeptes de la magie et lecteurs de livres licencieux. La Vie de Porphyre (vers 345 – vers 420), évêque de Gaza, remaniée par Marc le Diacre d’après un texte plus ancien, offre un témoignage unique sur le paganisme et le christianisme à Gaza à la fin du quatrième siècle. Gaza est si hostile aux chrétiens que leur communauté ne compte que deux centaines de fidèles. Leurs lieux de culte se situent hors d’enceinte de la ville. Gaza, flanquée de son port Maiouma, est entouré d’un cercle monastique dressé contre le concile de Chalcédoine de 451, convoqué par l’empereur byzantin Marcien et son épouse Pulchérie, qui récuse le monphysisme, autrement dit la doctrine affimant que le christ n’a qu’une seule et unique nature, divine, où s’est dissoute sa substance humaine. La résistance s’organise autour de grands ascètes comme Pierre l’Ibère et Isaïe, dont Zacharie rédige les biographies. Pierre l’Ibère devient évêque de Gaza en 452, un an après le concile contesté. Il est contraint de se réfugier en Egypte l’année suivante. Dans son Théophraste, Enée de Gaza relate les miracles de Zénon, le père spirituel de Pierre l’Ibère. Dans la rencontre entre le néoplatocisme et le christianisme, c’est l’âme et son entrée en relation avec le coprs qui est l’enjeu. Enée de Gaza, Zacharie, également natif de Gaza, Jean Philopon, né vers 490-495 à Alexandrie, mort après 568, auteur du traité Contre Proclus, sont des néoplatoniciens, des monophysistes modérés.
Ordonné évêque en 395, Porhyre joue un rôle central dans la christianisation de Gaza. Il détruit le temple de Marneion, dédié à Zeus-Marnas et fonde, sur ses débris, une grande église. Cf. Marc le Diacre, Vie de Porphyre, évêque de Gaza, traduction française Les Belles Lettre, 1930. Une édition critique et une traduction française se trouvent dans la thèse de doctorat d’Anna Lampadaridi, La Vie de Porphyre de Gaza par Marc le Diacre, École doctorale Mondes anciens et médiévaux, Paris, 2011. Le mouvement appelée Troisième Sophistique, débroussailleur de grandes problématiques philosophiques, théologiques, éthiques, permet à Gaza de disputer à Athènes le titre de capitale culturelle de l’empire. L’intérêt des chercheurs est ravivé par la découverte de manuscrits inédits.
Le lexicologue et gramairien Timothée de Gaza a vécu au tournant du cinquième et du sixième siècles sous le règne de l’empreur Anastase. Il ne demeure de son traité zoologique Peri Zôôn que des fragments de compilations médiévales, byzantines et arabes. Des extraits sont inclus au dizième siècle dans l’encyclopédie zoolozique, dite syllogé Constantini, de Constantin VII. Le traité de Timothée de Gaza est utilisé dans plusiueurs ouvrages arabes, l’encyclopédie du pjilosophe d’Abou Hayyân al-Tawhidi, né vers 932, en Irak, sous le califat abbasside, mort en 1023, grand prosateur de l’arabe classique. Cf. Marc Bergé, Essai sur la personnalité morale et intellectuelle d’Abû Hayyân al-Tawhidi, thèse d’Etat soutenu à la Sorbonne en 1976. Version publiée : Marc Bergé, Pour un humanisme vécu : d’Abû Hayyân al-Tawhidi, Institut français d’études arabes, Damas, 1979. Cf. Damas, Damas, 1979.
Le phénomène de l’hybridation chez Timothée de Gaza est à la fois mythologique, fantaisiste et poétique. L’auteur se donne comme terrains d’étude l’Inde, l’Afrique et le Moyen-Orient. Il recense les mammifres, les oiseaux et les reptiles. Il applique le principe d’hybridation d’Artistote. Il considère le guépard comme un superhybride, croisement du lion, de la panthère, de l’hyène, de la gazelle, du chamois et du lièvre. La girafe serait la métisse de la panthère et du chameau. Les accouplements se feraient dans des oasis où ces animaux se désaltèrent. Les rencontres aux points d’eau sont probablement inventées par Zakarya Ibn Mohammed al-Kazwînî (vers 1203 – vers 1283), auteur des Merveilles des choses créées et des curiosités des choses existantes, Aja’ib al-makhlouqat wa gharaïb al-majdoudat. Les descriptions d’Al-Qazwînî révèlent les mythes, la croyances au coeur de l’imaginaire médiéval, oriental et occidental.
Se mentionnent des animaux fabuleux comme le catoblépas, buffle au long dont la tête, trop lourde, traîne par terre, dont le regard cause instantanéent la mort de celui qui le croise. Il est signalé, pour la première fois, par Pline l’Ancien : « La source Nigris, point de départ du fleuve Nil, se trouve en Ethiopie occidentale. Vit sur les bords de cette source, une bête appelée Catoblépas, d’une taille banale, avec des membres inertes. Tout ce qu’elle peut faire, c’est porter sa tête, très pesante, toujours inclinée vers le sol. Elle est le fléau du genre humain. Celui qui voit ses yeux expire sur le champ » (Pline l’Ancien, Histoire naturelle, VIII, 32). D’après l’historien romain Claude Elien, Claudius Aelianus (175-235), dans De la nature des animaux, le catoblépas est herbivore. Il est de la taille d’un taureau domestique. Il a une crinière épaisse, des yeux bridés injectés de sang, de lourdes paupières. Son souffle empoisonné intoxique les plantes qu’il mangeIl peut tranformer un être vivant en pierre. Lénard de Vinci évoque le Catoplébas dans ses Carnets. Jorge Luis Borges lui consacre un chapitre dans son Manuel de zoologie imaginaire, traduction française Christian Bourgois, 1980.
L’empreinte et la trace
Jeudi, 5 juin 2025. Fait marquant du jour, une petite tache ocre sur un galet de huit centimètres, découvert en 2022 pendant une fouille d’un abri-sous-roche à San Lazaro en Espagne. Une équipe pluridisciplinaire de géologues, de paléontologues, de biométriciens se mobilise pour résoudre l’énigme. La revue Archaeological and Antropological Sciences du 24 mai 2025 publie leurs résultats. La panachure s’avère être l’empreinte d’un doigt de néandertalien. Message projeté vers des futurs indéterminables. Se révèlent les facultés d’abstraction, de pensée symbolique, de création artistique du néandertalien il y a quarante-trois mille ans. A première vue, aucune empreinte digitale ne se distingue sur le caillou lisse, non taillé. La microscope électronique à blayage ne décèle aucun liant organique dans l’échantillon des orydes de fer et des minéraux argileux. Des précédés pointus s’investissent, imagerie multispectrale de la partie peinte, photoluminescence infrarouge, réflectograhie ultraviolet pour dévoiler les lignes de crête et de creux de la peau. Les enquêteurs en concluent que l’ocre est consciemment ajouté à la surface du galet. La police scientifique confirme qu’il s’agit bel et bien d’une empreinte digitale.
Les sionistes ont tout beau anéantir les matérialités, les visibilités, ils ne pourront jamais dissoudre les empreintes, les traces, les stigmates d’une présence palestinienne immémoriale.