
En à peine cinq mois, une série d’enlèvements sans précédent frappe les entrepreneurs français de la cryptosphère. L’enquête converge vers un Franco-Marocain de 40 ans, localisé à Casablanca, au Maroc, soupçonné d’orchestrer ces opérations ultra-violentes.
La France découvre une nouvelle forme de criminalité. Ces derniers jours, plus de vingt suspects ont été placés en garde à vue dans le cadre d’une série d’enlèvements ciblant spécifiquement les entrepreneurs ou proches d’entrepreneurs de la cryptosphère. Au centre de cette toile criminelle, un Franco-Marocain de 40 ans installé à Casablanca, que les enquêteurs français soupçonnent d’avoir orchestré plusieurs de ces opérations particulièrement violentes.
Un crescendo de violences inédit
L’affaire Balland ouvre cette série noire le 21 janvier dernier. David Balland, co-fondateur de Ledger, géant français des portefeuilles crypto, vit un cauchemar à son domicile de Vierzon dans le Cher. Enlevé avec son épouse, il subit des tortures : les ravisseurs lui sectionnent un doigt pour faire pression sur sa famille et réclament 10 millions d’euros en bitcoins. Le GIGN libère le couple en moins de 48 heures, mais le traumatisme est immense. Dix personnes sont arrêtées et plus de 3 millions d’euros en cryptomonnaies sont gelés.
Le 1er mai, l’horreur se répète à Paris. Cette fois, c’est le père d’un jeune investisseur fortuné qui devient la cible. Kidnappé puis torturé, il perd également un doigt sous les coups de ses bourreaux qui exigent une rançon comprise entre 5 et 7 millions d’euros en actifs numériques. Un raid policier libérera la victime.
Le 13 mai, en plein Paris, des hommes masqués tentent d’embarquer la fille enceinte et le petit-fils de Pierre Noizat, PDG de la plateforme Paymium. La scène, filmée par des passants qui s’interposent courageusement, choque l’opinion publique et révèle au grand jour la vulnérabilité du secteur crypto français.
Le 27 mai, la police française frappe fort. À Nantes, elle déjoue un projet d’enlèvement visant un autre acteur du secteur et interpelle plus de vingt personnes dans plusieurs régions françaises. Cette opération d’envergure révèle l’ampleur insoupçonnée du réseau criminel.
Quand la blockchain trahit son maître
L’ironie de cette affaire réside dans le fait que c’est la technologie blockchain elle-même qui a permis d’identifier le cerveau présumé. Le jour même de l’enlèvement de David Balland, les enquêteurs de l’Office central de répression des violences aux personnes ont suivi en temps réel la circulation des bitcoins versés en rançon. Cette traque numérique minutieuse a abouti à l’identification d’un portefeuille lié à un Franco-Marocain résidant à Casablanca.
Selon un rapport interne cité par Le Parisien, cet homme aurait développé une méthode particulièrement cynique. Il recruterait en ligne des équipes décrites comme « jeunes, ultra-violentes et sans attaches » pour exécuter les kidnappings, touchant une commission sur chaque rançon versée.
Le défi diplomatique marocain
La localisation du suspect au Maroc ouvre un nouveau chapitre complexe de cette affaire. Bien que la France ait diffusé une notice rouge d’Interpol, Rabat n’a pas encore procédé à l’interpellation du suspect, officiellement décrit comme « en cours de localisation« . Cette situation contraste avec des précédents récents, comme l’extradition début 2025 du trafiquant Félix Bingui, chef du clan Yoda de trafic de drogue, qui avait montré que la coopération policière entre les deux pays fonctionnait efficacement.
La double nationalité du suspect, qui possède la nationalité française, devrait théoriquement faciliter une éventuelle remise à Paris au titre de la convention bilatérale de 2003. Cependant, les autorités marocaines maintiennent leurs exigences habituelles concernant les garanties sur les conditions de détention et la réciprocité judiciaire. Ces négociations diplomatiques pourraient s’étendre sur plusieurs mois.
L’État français mobilisé
Face à l’émoi médiatique grandissant, Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur dont les ambitions présidentielles sont de plus en plus commentées dans les couloirs du pouvoir, a réuni le 16 mai une dizaine de dirigeants crypto pour annoncer des mesures d’exception. Le gouvernement propose désormais des protections policières ponctuelles pour les entrepreneurs identifiés comme cibles potentielles, ainsi qu’un audit gratuit de la sécurité de leurs domiciles par la Brigade de recherche et d’intervention.
Les chiffres présentés lors de la réunion ministérielle donnent le vertige : quatorze des cinquante enlèvements liés aux cryptomonnaies recensés dans le monde depuis douze mois ont eu lieu en France. Ce ratio, jugé « alarmant » place l’Hexagone au premier rang mondial de ce type de criminalité. Les criminologues évoquent un « effet vitrine » pervers : en voulant devenir la « Crypto Nation » européenne, la France a également attiré l’attention des prédateurs.
Ce qui se joue à Casablanca
Les enquêteurs français estiment à plus de 13 millions d’euros le total des rançons versées ou promises depuis janvier. Mais sur le plan juridique, la procédure d’extradition pourrait devenir un test diplomatique majeur dans la relation sécuritaire franco-marocaine, particulièrement dans le climat actuel tendu entre la France et les pays du maghreb.
L’aspect technologique revêt également une importance capitale. C’est la première fois en Europe qu’un commanditaire présumé est identifié uniquement grâce au traçage « on-chain » des transactions blockchain. Cette méthode d’investigation, scrutée de près par Europol, pourrait révolutionner la lutte contre la cybercriminalité à l’échelle européenne.
L’affaire de Casablanca est une alarme, lorsque le monde virtuel des cryptomonnaies rencontre brutalement la réalité physique de la violence.