
À la croisée des flux financiers internationaux et des coopérations judiciaires transfrontalières, le Maroc voit son rôle évoluer face aux nouvelles formes de criminalité économique. Les autorités européennes multiplient les sollicitations à l’égard du royaume, reflet d’enquêtes de plus en plus axées sur les circuits financiers, le blanchiment d’argent et les montages transnationaux.
Le Maroc s’impose de plus en plus comme un acteur central de la coopération judiciaire internationale. Selon le rapport 2024 du Ministère public, les autorités marocaines ont enregistré une forte progression des demandes d’entraide émanant de juridictions étrangères. Au total, 322 commissions rogatoires internationales ont été reçues au cours de l’année écoulée, soit une augmentation de près de 23% par rapport à l’année précédente.
Cette dynamique traduit un renforcement de la confiance des partenaires étrangers dans les institutions judiciaires marocaines, mais aussi l’intensification de la lutte mondiale contre la criminalité transfrontalière. Parmi les pays les plus actifs, la France occupe une place prépondérante. À elle seule, elle représente 110 demandes, soit plus du tiers de l’ensemble des dossiers transmis aux autorités marocaines. La Belgique, la Turquie et les Pays-Bas figurent également parmi les principaux demandeurs.
La France, premier partenaire judiciaire du Maroc
Cette cartographie n’est pas anodine : elle correspond en grande partie aux pays européens accueillant d’importantes communautés marocaines, ce qui facilite parfois l’ancrage territorial ou financier de réseaux criminels cherchant à exploiter les différences de systèmes juridiques. Contrairement aux idées reçues, ce ne sont plus les stupéfiants qui dominent les investigations. Le blanchiment de capitaux est désormais la première motivation des commissions rogatoires, représentant environ 26% des dossiers. Blanchiment d’argent : priorité absolue des enquêteurs
Le trafic de drogue arrive en seconde position avec 22%, suivi par les escroqueries complexes, la cybercriminalité et les affaires de grand banditisme. Les enquêteurs s’intéressent avant tout aux circuits financiers, aux comptes bancaires, aux sociétés écrans et aux investissements immobiliers susceptibles de servir à recycler des fonds illicites. Le Maroc, de par sa position géographique et son ouverture économique, est parfois perçu comme une plateforme de transit ou de placement, ce qui explique l’attention accrue des magistrats étrangers.
Des enquêtes longues mais un engagement affirmé
Le taux d’exécution des demandes d’entraide judiciaire avoisine 44%. Un chiffre qui peut sembler modeste, mais qui s’explique par la technicité croissante des dossiers. Identifier des flux financiers internationaux, geler des avoirs ou saisir des biens nécessite des procédures lourdes et un travail de coordination étroit avec les institutions financières.
Les autorités marocaines assurent toutefois leur détermination à renforcer les mécanismes de contrôle et à consolider le cadre légal afin de faire du Maroc un rempart contre la criminalité organisée internationale. Sur le plan financier, une autre préoccupation majeure se dessine. Fin 2024, une directive européenne a suscité des inquiétudes en envisageant d’imposer aux banques marocaines l’ouverture de succursales en Europe.
Bank Al-Maghrib en première ligne des négociations
Une telle mesure pourrait renchérir les coûts des transferts, voire en limiter l’accès. Or, les envois de fonds des Marocains résidant à l’étranger (MRE) constituent un pilier fondamental de l’économie nationale. Chaque année, près de 10 milliards de dollars sont transférés vers le Maroc, soutenant la consommation, l’investissement et l’équilibre des comptes extérieurs. Face à ces enjeux, Bank Al-Maghrib a engagé des discussions avec ses homologues européens.
Son gouverneur, Abdellatif Jouahri, a indiqué que des échanges étaient en cours, notamment avec la France et l’Espagne, avant un dialogue élargi à l’Union européenne.L’objectif est d’éviter que les nouvelles interprétations réglementaires ne pénalisent les flux financiers légitimes des MRE ni les mécanismes bancaires existants.
Des transferts des MRE à des sommets historiques
Les chiffres confirment l’importance stratégique de ces flux. À fin novembre 2024, les transferts des MRE ont atteint 108,67 milliards de dirhams, en hausse de 2,8% sur un an, selon l’Office des changes. En 2020, ils ne dépassaient pas 61,25 milliards de dirhams, soit une progression de plus de 77 % en quatre ans. Après avoir franchi le seuil des 115 milliards de dirhams en 2023, cette manne devrait continuer de croître.
Les prévisions de Bank Al-Maghrib tablent sur une augmentation moyenne de plus de 4% par an, avec un volume potentiel de 128 milliards de dirhams à l’horizon 2026. Parallèlement, les recettes touristiques poursuivent également leur ascension. À fin novembre 2024, elles ont atteint 104,47 milliards de dirhams, soit une hausse de 7,2%. Cette performance renforce la résilience de l’économie marocaine dans un contexte international marqué par le durcissement des normes financières et fiscales, notamment celles de l’OCDE sur l’échange automatique d’informations.





