
Face aux défis économiques du 21e siècle, la zone Franc CFA évolue vers une gouvernance plus africaine tout en conservant ses atouts de stabilité. Décryptage par la Banque de France d’un système monétaire unique au monde qui concerne 212 millions d’Africains et représente un laboratoire d’intégration financière en pleine transformation.
À l’heure où l’Afrique subsaharienne devrait afficher 5,3 % de croissance en 2024, contre 3,8 % pour l’économie mondiale selon le FMI, la coopération monétaire qui lie 16 pays africains et la France n’a jamais été aussi scrutée. Trois devises – les francs CFA d’Afrique de l’Ouest (XOF) et d’Afrique centrale (XAF), ainsi que le franc comorien (KMF) – partagent un double filet de sécurité : une parité fixe avec l’euro (1 € = 655,957 FCFA ; 1 € = 491,968 KMF) et une garantie de convertibilité illimitée assurée par le Trésor français.
Un dispositif institutionnel en mutation
La réforme de 2019 a marqué un tournant historique : la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) n’est plus tenue de déposer ses réserves de change au Trésor français et Paris s’est retiré de ses instances de gouvernance, tout en maintenant le régime de change fixe et la garantie de convertibilité. L’Union économique et monétaire ouest‑africaine (UEMOA) gagne ainsi en autonomie, illustrant la capacité croissante des institutions africaines à piloter leur trajectoire macro‑financière.
En Afrique centrale (CEMAC) et aux Comores, la France siège encore au conseil des banques centrales, mais là aussi les débats sur la « prise en main » locale progressent, portés par une intégration financière régionale de plus en plus robuste.
Des performances économiques à saluer
Les trois zones concernées affichent des dynamiques différenciées mais globalement prometteuses :
Au total, les pays partenaires de la coopération monétaire représentent 212 millions d’habitants et bénéficient d’une inflation largement contenue par rapport au reste du continent. Les règles du jeu sont claires : les critères de convergence imposent une inflation inférieure à 3 % et une dette publique plafonnée à 70 % du PIB, tant en UEMOA qu’en CEMAC et aux Comores.
Depuis sa création en 1945, le franc CFA a traversé plusieurs tempêtes et adaptations : la douloureuse mais nécessaire dévaluation de 50 % en 1994, la reconnaissance des accords par l’Union européenne lors du passage à l’euro en 1999, puis la réforme d’autonomisation de 2019. Chaque étape a jonglé entre stabilité extérieure et adaptation aux réalités locales – un équilibre délicat mais déterminant pour attirer des investissements et développer les marchés financiers régionaux.
Les défis qui s’annoncent
Diversification économique : Dans un monde post‑Covid en quête de résilience, la dépendance aux matières premières – pétrole en CEMAC, cacao et or en UEMOA – pose la question urgente du développement de chaînes de valeur plus locales et diversifiées.
Transition verte et numérique : Les critères de convergence économique n’intègrent pas encore pleinement les coûts et opportunités de la transition climatique. La création d’obligations vertes libellées en franc CFA pourrait constituer un levier de financement innovant et endogène pour les économies concernées.
Intégration financière africaine : Alors que la Zone de libre‑échange continentale africaine (ZLECAf) prend son envol, la convertibilité régionale et la réduction des coûts de transaction deviennent prioritaires. En coulisses, les banques centrales africaines développent déjà des projets ambitieux de monnaie numérique, susceptibles d’accroître l’inclusion financière sans remettre en cause l’ancrage à l’euro.
Un partenariat appelé à se réinventer
En maintenant la stabilité monétaire, la France offre aux économies partenaires un bouclier précieux contre les chocs externes. Mais la tendance est claire : la gouvernance, elle, se déplace progressivement vers l’Afrique. Au‑delà du symbole, le transfert de responsabilités budgétaires et le renforcement des capacités statistiques sont autant de signaux d’un rééquilibrage attendu et bienvenu.
La coopération monétaire franco‑africaine présentée dans le rapport de la Banque de France devient un laboratoire vivant où se construit, pas à pas, la souveraineté financière du continent. Dans cette nouvelle phase, la réussite dépendra de la capacité des États africains à transformer la stabilité de leur monnaie en tremplin vers des économies plus diversifiées, plus vertes et plus inclusives pour leurs populations.