
Fresque de 3h30 présentée dans la section Un Certain Regard, le deuxième long-métrage de Pedro Pinho transpose en Guinée-Bissau une réflexion post-coloniale d’une rare acuité. Porté par l’énergie magnétique de Cléo Diára, qui décroche le Prix d’interprétation féminine de la section parallèle, ce film-fleuve transforme un projet d’infrastructure en odyssée intime et géopolitique.
Présenté en mai dernier sur la Croisette, « Le Rire et le Couteau » a permis à la Cap-Verdienne Cléo Diára de devenir la première comédienne lusophone sacrée dans la section Un Certain Regard du Festival de Cannes. Porté par cette distinction, le film arrive dans les salles française le 9 juillet — distribution Météore Films — avec la promesse de prolonger le charme qu’il a fait naître sur la Côte d’Azur.
Synopsis : tensions intimes et géopolitiques
Sergio, ingénieur environnemental portugais, travaille pour une ONG en Guinée-Bissau pour la construction d’une route. Entre bureaucratie internationale et chaleur accablante, il noue un triangle fragile avec deux habitants locaux, Diara et Gui. L’équilibre vacille lorsqu’il découvre qu’un collègue italien, missionné quelques mois plus tôt, a disparu sans laisser de trace. Ce point de départ policier sert surtout de révélateur aux rapports de pouvoir Nord-Sud et aux aspérités post-coloniales.
Contrairement aux perceptions européennes traditionnelles, Pedro Pinho filme la Guinée-Bissau comme une mosaïque de cultures, de langues et d’histoires façonnées par la domination coloniale et les luttes de libération. Le cinéaste s’attarde sur les rues qui grouillent, les toits où l’on danse, les clubs où se croisent musiques afrobeats et fado. Son dispositif — longues prises en plans-séquences, inserts documentaires — fait surgir les contradictions d’une modernité importée dans cette œuvre de 211 minutes dont la durée épouse l’étirement du chantier et de la mémoire.
Pedro Pinho : trajectoire d’un cinéaste engagé
À 46 ans, le réalisateur portugais poursuit la veine politique inaugurée avec « A Fábrica de Nada » (Prix FIPRESCI, Quinzaine 2017). Si ce précédent long-métrage radiographiait une usine autogérée au Portugal, « Le Rire et le Couteau » déplace le curseur vers l’Afrique pour interroger l’impact des mégaprojets financés par l’Europe et la Chine. Pinho revendique un tournage « franc » : casting majoritairement africain, coproduction avec des sociétés cap-verdiennes, et ateliers d’écriture tenus sur place.

Née au Cap-Vert, formée à l’École supérieure de théâtre et de cinéma de Lisbonne, Cléo Diára incarne Diara, guide improvisée du protagoniste, figure de résistance et d’ambiguïté. Son interprétation, solaire et rageuse, avec ses perruques blondes flashy, entraîne le film vers l’action et vers un érotisme débridé. Lors de la remise de son prix, l’actrice a tenu à rappeler qu’elle est « une immigrante au Portugal à un moment où les immigrés ne sont pas les bienvenus » et a ajouté : « Je veux que toutes les filles et femmes noires de la périphérie n’oublient jamais que l’utopie est la dernière étape avant la possibilité du réel« .
Rendez-vous le 9 juillet dans les salles obscures.