Lisbonne l’Africaine, par Jean-Yves Loude


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Couverture du livre
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Sous la plume de l’écrivain et ethnologue Jean-Yves Loude, on découvre que la capitale du Portugal est peut-être la plus africaine des villes européennes. L’auteur y traque au cours d’un jeu de piste couleur café, les signes de la présence noire à Lisbonne. Passionnant.

Jean-Yves Loude est un écrivain voyageur. Un ethnologue doublé d’un poète. Après avoir écrit plusieurs ouvrages sur le Cap-Vert, il a décidé dans son dernier livre d’explorer la face noire de Lisbonne, son visage africain. Résultat : une promenade littéraire, historique et sociologique passionnante et profondément humaine. Un jeu de piste qui mène cet auteur curieux et insatiable à goûter le triangle créole de Sao Bento, d’où s’échappent les odeurs délicieuses de la cachupa (plat national des îles du Cap-Vert) de dona Dedès, la marraine de ce quartier traditionnellement cap-verdien.

À quadriller le Rossio, « point de jonction populaire de la ville et de ses périphéries » où débarquent les Africains qui viennent de la rive gauche du Tage pour travailler au centre, avec le largo Sao Domingos qui « pourrait passer pour une aire à palabres sahélienne, la cour d’un chef de village. (…) C’est un bureau-trottoir à ciel ouvert, on traite des affaires, on s’occupe de l’intégration des nouveaux arrivants, on tente de régler des problèmes de papiers. – On appelle ce lieu l’ambassade de Guinée ! ». À découvrir Cova da Moura, enclave cap-verdienne, « un de ces quartiers que Lisbonne cache dans son dos ». À arpenter les musées de la capitale et fouler la pelouse de Benfica.

Présence silencieuse

Le Portugal, contrairement à d’autres pays européens, a réclamé des esclaves pour assurer son développement avant même la création de la première colonie outre-Atlantique. Lisbonne a compté jusqu’à 10% de Noirs au sein de sa population, à plusieurs reprises, aux XVIème et XVIIème siècles. L’auteur s’interroge : « se peut-il qu’autant d’êtres noirs, différents, participant aussi longtemps à l’édification du bien commun, n’aient pas également influencé la construction de l’identité portugaise ? ». C’est la réponse à cette question qu’il traque au long de ce livre qui se dévore comme un roman mais se lit aussi comme une enquête journalistique.

Malgré des Bana ou des Tito Paris en fond sonore, malgré le funana, « collé-serré, frotté-frotté, bougé-mêlé, qui participe au réchauffement de la planète Lisbonne », la présence africaine dans la capitale reste bien silencieuse. Souffrant d’une représentation politique et économique nulle, et d’une reconnaissance culturelle réduite à la nourriture et à la musique.

Lisbonne, ville de transition pour Jean-Yves Loude

Pourtant, vers la fin du livre, apparaît le témoignage d’un journaliste originaire de Sao Tomé, Brassalino Orlando do Nascimento Dias da Graça, qui éclaire un peu la lanterne et de l’écrivain, et celle de son lecteur : « Lisbonne convient aux Africains. Elle n’est pas rigoureuse, plutôt relâchée. Il y a bien sûr la tristesse endémique, le conservatisme ambiant, l’antipathie retenue des natifs (…). Et malgré cela, les Africains s’adaptent. Pourquoi ? Parce que le dynamisme des autres cités occidentales les vident de leur énergie, ruine leur personnalité. Ici les gens réussissent à tracer leur voie.

On serpente, on dévie, on dérive, Lisbonne n’aime pas suivre les règles, les Portugais ne respectent pas les panneaux, pissent dans la rue, balancent les ordures sur la voie publique, crachent. Tout en évitant la violence. (…) On y attrape comme ailleurs la déformation des valeurs artificielles de consommation, mais on peut mieux qu’ailleurs continuer à vivre comme au pays, ‘façon tiers-monde’. Lisbonne est une étape appréciable entre l’Afrique et l’Occident, un pont, une transition ».

Lisbonne, dans la ville noire de Jean-Yves Loude, paru aux éditions Actes Sud/Aventure.

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