Christopher Nolan Matt Damon et Zendaya au cœur de la controverse sahraouie


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Damon, Nolan et Zendaya
Damon, Nolan et Zendaya

Le tournage du très attendu film « L’Odyssée » de Christopher Nolan qui se déroule dans la ville de Dakhla vient de déclencher une polémique internationale majeure. Cette controverse s’inscrit dans un contexte géopolitique en pleine évolution au Sahara occidental, marqué par les récentes décisions de justice européennes et une pression diplomatique croissante sur la question sahraouie.

Depuis leur arrivée à Dakhla mi juillet 2025, Christopher Nolan et ses stars Matt Damon et Zendaya se retrouvent au centre d’une tempête diplomatique inattendue. Ce qui devait être un tournage de prestige récantant l’Odysée d’Ulysse dans les spectaculaires dunes sahariennes s’est transformé en symbole des tensions géopolitiques qui traversent cette région.

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Le Festival international du film du Sahara occidental (FiSahara) a lancé un appel pressant au réalisateur oscarisé :  » Dakhla n’est pas seulement un endroit magnifique avec des dunes de sable dignes du cinéma. C’est avant tout une ville occupée et militarisée dont la population sahraouie autochtone est soumise à une répression brutale de la part des forces d’occupation marocaines « , rappelle l’organisation basée dans les camps de réfugiés sahraouis en Algérie.

Un tournage lourd de conséquences symboliques

María Carrión, directrice exécutive de FiSahara, utilise un ton diplomatique mais très clair : « En filmant une partie de L’Odyssée dans un territoire occupé classé comme « désert journalistique » par Reporters sans frontières, Nolan et son équipe contribuent, peut-être involontairement et sans le vouloir, à la répression du peuple sahraoui par le Maroc et aux efforts du régime marocain pour normaliser son occupation du Sahara occidental« .

Alors que les Sahraouis qui tentent de réaliser des films sur leur propre histoire « sont persécutés et doivent travailler clandestinement, au péril de leur vie et de celle de leurs familles« , Hollywood peut tourner librement dans ce même territoire, versant même une contribution financière, contribuant ainsi à légitimer l’occupation. C’est un peu comme si Holywood allait tourner au Tibet ou en Palestine.

Cette polémique cinématographique s’inscrit dans un contexte diplomatique qui est pourtant relativement clair. En premier lieu l’ONU, considère depuis 50 ans que le Sahara occidental est un territoire à décoloniser. Mais plus récemment, en octobre 2024, la Cour de justice de l’Union européenne a invalidé définitivement deux accords commerciaux conclus entre le Maroc et l’UE, estimant qu’ils avaient été conclus « en méconnaissance des principes de l’autodétermination » du peuple sahraoui.

Plus récemment encore, en février 2025, la CJUE a rejeté une demande de la Commission européenne visant à « déformer la démographie du Sahara occidental », réaffirmant le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination.

L’actrice américaine Zendaya est reconnue pour son activisme sur les questions de justice raciale, les droits humains et l’égalité. Elle soutient Black Lives Matter, travaille avec l’ACLU, et encourage l’engagement politique des jeunes. Difficile donc d’imaginer qu’elle reste solidaire d’un tournage en zone occupée.

Vers une solution diplomatique américaine ?

Dans ce contexte de tension juridique européenne, une nouvelle dynamique diplomatique semble émerger avec la mission de Massad Boulos, conseiller spécial de Donald Trump, qui s’est rendu en Algérie le 27 juillet et au Maroc le 29 juillet 2025. Cette tournée coïncide significativement avec le discours du Trône de Mohammed VI, dans lequel le roi a appelé à un « dialogue fraternel et sincère » sur les « différentes questions en souffrance entre les deux pays« , incluant explicitement le dossier du Sahara occidental.

Cette « troisième voie » pourrait s’articuler autour d’une « autonomie réelle » du Sahara occidental, transcendant le clivage traditionnel entre autonomie sous souveraineté marocaine et indépendance totale. Une solution qui, selon les analystes, pourrait permettre de débloquer un conflit vieux de cinquante ans.

L’industrie culturelle face aux enjeux politiques

Le cas Christopher Nolan et du tournage de son film  illustre parfaitement les dilemmes auxquels font face les industries créatives dans un monde multipolaire. FiSahara souligne cette contradiction : « Nous sommes sûrs que s’ils comprenaient toutes les implications du tournage d’un film très médiatisé dans un territoire où les peuples autochtones ne peuvent pas réaliser leurs propres films sur leurs histoires sous occupation, Nolan et son équipe seraient horrifiés« .

Aujourd’hui, « les Sahraouis qui demeurent dans le territoire occupé sont confrontés à des détentions arbitraires, des disparitions, des actes de torture, des violences sexuelles et sexistes, ainsi qu’à de nombreuses autres violations des droits humains » dénoncent-ils.

María Carrión résume parfaitement l’enjeu : « Le Maroc n’autorise l’entrée au Sahara occidental occupé qu’à ceux qui correspondent à sa stratégie de vente de son occupation au monde extérieur« . Les touristes, les entreprises et maintenant les stars de cinéma « qui aident le Maroc à faire passer le message que le Sahara occidental fait partie du Maroc et que les Sahraouis se satisfont de sa domination, sont traités sur un tapis rouge« .

L’affaire Christopher Nolan cristallise ainsi les contradictions d’un conflit qui, après cinquante ans de combat, continue de d’interpeller la conscience mondiale. Dans un contexte où la justice européenne rappelle régulièrement l’état du droit international et où la diplomatie américaine semble explorer de nouvelles voies, il revient aussi à l’industrie du divertissement de faire un pas vers le peuple sahraoui.

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Ali Attar est un spécialiste reconnu de l'actualité du Maghreb. Ses analyses politiques, sa connaissance des réseaux, en font une référence de l'actualité de la région.
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