
Entre Lagos et Kingston, le géant de l’afrobeat cultive une identité musicale transcontinentale qui brouille les frontières entre l’Afrique et les Caraïbes. Une connexion spirituelle qui fait écho à celle que Bob Marley entretenait avec le continent africain, mais dans le sens inverse.
Damini Ebunoluwa Ogulu, connu sous le nom de Burna Boy, incarne une fascinante dualité culturelle. Né à Port Harcourt au Nigeria en 1991, l’artiste aux multiples Grammy Awards a souvent exprimé son sentiment d’appartenance profonde à la Jamaïque, allant jusqu’à déclarer se sentir « plus jamaïcain que nigérian » dans son être intérieur. Cette affirmation, qui pourrait surprendre de la part d’un des ambassadeurs les plus célèbres de la musique africaine contemporaine, révèle en réalité la complexité des identités diasporiques et la porosité des frontières culturelles dans l’Atlantique noir.
L’immersion caribéenne de Brixton
L’influence jamaïcaine sur Burna Boy n’est pas qu’une posture artistique. Dès son adolescence passée entre Londres et Lagos, il s’imprègne du reggae et du dancehall, genres qui façonnent profondément sa vision musicale. Dans une récente interview avec Capital Xtra à Londres, l’artiste d’Afrofusion a expliqué comment son séjour à Brixton, au Royaume-Uni, immergé dans les influences jamaïcaines et caribéennes, a considérablement façonné son identité : « Je me considérais plus jamaïcain à l’époque. Simplement parce que tout le monde autour de moi était jamaïcain et caribéen. »
Cette connexion viscérale avec la Jamaïque se manifeste dans sa musique : ses morceaux fusionnent l’afrobeat nigérian avec des sonorités reggae et dancehall, créant ce qu’il appelle lui-même l’« Afro-fusion ». Le chanteur a également révélé que « La Jamaïque a toujours fait partie de moi — depuis que mon père écoutait Super Cat et d’autres artistes quand j’étais enfant jusqu’à ce que je me retrouve à Brixton. » Cette influence précoce, combinée à son environnement londonien, a créé une identité hybride unique.
Le dialogue transatlantique avec Bob Marley
Cette relation transcontinentale entre Burna Boy et la Jamaïque fait écho, de manière inversée, à celle que Bob Marley entretenait avec l’Afrique. Le prophète du reggae, né à Nine Mile en Jamaïque, a toujours revendiqué ses racines africaines avec une ferveur spirituelle. « Africa Unite » était une philosophie de vie ancrée dans le rastafarisme. Son voyage en Éthiopie en 1978 fut pour lui un retour aux sources mystique, et ses chansons comme « Exodus » ou « Zimbabwe » témoignent de cette connexion profonde avec la terre-mère africaine. Marley voyait l’Afrique non seulement comme le berceau de ses ancêtres, mais comme la promesse d’une rédemption collective pour la diaspora noire.
L’ironie poétique réside dans ce chassé-croisé culturel : tandis que Marley, le Jamaïcain, cherchait son essence en Afrique, Burna Boy, l’Africain, trouve la sienne dans les Caraïbes. Cette circularité illustre la nature fluide de l’identité noire atlantique, où les influences voyagent dans les deux sens, créant un dialogue continu entre les rives de l’océan.
Pour Burna Boy, cette identification à la Jamaïque représente aussi une liberté d’expression, une rébellion contre les conventions, et une spiritualité rastafari qui résonne avec sa propre quête d’authenticité. Quand il chante « Ye » ou « On the Low« , on entend autant Lagos que Kingston, autant l’héritage de Fela que celui de Bob Marley. Cette synthèse fait de lui un pont vivant entre deux mondes qui, malgré l’océan qui les sépare, partagent une histoire commune de résistance, de créativité et de résilience.