
Le 1er septembre 2025, l’Assemblée législative de transition du Burkina Faso a adopté à l’unanimité un nouveau Code des personnes et de la famille criminalisant les relations homosexuelles. Cette décision paradoxale d’un régime qui se veut révolutionnaire révèle les contradictions d’un pouvoir qui prétend rompre avec l’héritage colonial tout en perpétuant l’une de ses pages les plus sombres : l’homophobie juridique. Analyse d’une révolution qui tourne le dos à ses propres idéaux.
Le contraste est saisissant. D’un côté, le Burkina Faso de 2025 se présente comme un laboratoire révolutionnaire africain, mené par le capitaine Ibrahim Traoré qui prône la souveraineté, met en avant l’héritage de Sankara, l’émancipation du joug occidental et la construction d’une société nouvelle. De l’autre, ce même pays vient d’adopter le 1er septembre une loi criminalisant l’homosexualité, punissant les relations entre adultes consentants de même sexe de deux à cinq ans de prison et d’amendes allant de 2 à 10 millions de francs CFA.
Cette décision illustre un paradoxe fondamental : un régime qui se dit révolutionnaire reproduit fidèlement l’une des pages les plus sombres de l’héritage colonial européen. Loin d’être une affirmation d’authenticité africaine, cette loi constitue un retour aux sources… coloniales.
L’ironie d’une « révolution » qui imite ses oppresseurs
L’adoption unanime par l’Assemblée législative de transition du nouveau Code des personnes et de la famille révèle une contradiction profonde dans le discours révolutionnaire burkinabè. Alors que le capitaine Traoré critique régulièrement les « valeurs occidentales » imposées à l’Afrique, il institutionnalise paradoxalement l’une d’entre elles : l’homophobie juridique.
Car il faut le rappeler : les lois criminalisant l’homosexualité en Afrique ne sont pas un héritage précolonial. Elles constituent au contraire l’un des legs les plus durables de la colonisation européenne. Comme l’expliquent les historiens, ce sont les systèmes juridiques mis en place par les colonisateurs européens aux XIXe et XXe siècles qui ont doté 38 législations africaines de lois criminalisant l’homosexualité.
Le Burkina Faso faisait partie de ces pays africains où l’homosexualité n’avait jamais été criminalisée. Jusqu’au 1er septembre 2025, aucune loi ne visait spécifiquement les personnes homosexuelles dans ce pays. Cette situation relativement tolérante s’inscrivait dans une tradition juridique qui respectait la vie privée des citoyens et dans l’esprit révolutionnaire de Thomas Sankara, pour qui l’orientation sexuelle n’était en aucune façon un sujet.
Un héritage colonial assumé et remis au goût du jour par les évangélistes américains
L’analyse des codes pénaux africains révèle une réalité gênante pour les partisans de cette législation : les anciennes colonies britanniques sont beaucoup plus susceptibles d’avoir des lois criminalisant l’homosexualité que les autres territoires. L’article 377 du code pénal indien colonial britannique a servi de modèle pour criminaliser la sodomie dans tout l’Empire britannique, créant un héritage homophobe qui perdure encore aujourd’hui.
Même si le Burkina Faso était une colonie française, la logique reste identique. Les puissances coloniales européennes ont imposé leurs conceptions morales et juridiques aux sociétés africaines, bouleversant des équilibres millénaires. Comme le souligne le militant Fabrice Nguena : « L’homophobie a été introduite en Afrique par la colonisation, à travers la religion et à travers les lois coloniales françaises et anglaises. »
La nouvelle loi burkinabè s’inspire directement de cette tradition répressive coloniale, utilisant des termes comme « comportements bizarres » ou « actes contre nature » qui reprennent le vocabulaire moral de l’époque coloniale.
L’Afrique précoloniale connaissait pourtant une diversité de pratiques sexuelles et de genres qui contredit totalement le discours actuel sur l’authenticité africaine. Les peintures rupestres bochimans au Zimbabwe montrent des relations entre hommes suffisamment acceptées socialement pour être représentées dans l’art. L’Ubuntu, philosophie traditionnelle d’Afrique australe, prône l’interdépendance des êtres humains dans leur individualité, sans exclusion basée sur l’orientation sexuelle.
En criminalisant l’homosexualité, le Burkina Faso ne retrouve pas ses racines africaines : il perpétue au contraire l’œuvre « civilisatrice » des colonisateurs qui ont érigé leurs propres tabous sexuels en normes universelles.
L’ambiguïté du progressisme sélectif
Paradoxalement, le même Code des personnes et de la famille adopté le 1er septembre contient des avancées significatives : fixation de l’âge minimum du mariage à 18 ans pour tous, élimination des discriminations de genre en matière d’héritage, ou encore reconnaissance légale des mariages religieux et coutumiers. Ces mesures témoignent d’une volonté de modernisation sociale réelle.
Cette sélectivité trahit l’influence des conservatismes religieux et sociaux qui instrumentalisent le discours anti-occidental pour justifier leurs positions rétrogrades.
Au-delà des considérations morales, cette loi constitue un recul démocratique inquiétant. Amnesty International souligne à juste titre qu’elle « viole le droit à l’égalité devant la loi » et contredit les traités internationaux ratifiés par le Burkina Faso. En s’attaquant à la vie privée des citoyens, le régime révolutionnaire adopte les méthodes répressives qu’il prétend combattre.
Cette dérive s’inscrit dans une tendance plus large en Afrique de l’Ouest. Le Mali, allié du Burkina Faso au sein de l’Alliance des États du Sahel, a adopté une loi similaire en novembre 2024. Cette synchronisation révèle une stratégie politique concertée d’instrumentalisation de l’homophobie comme marqueur identitaire anti-occidental.
Vers une authentique décolonisation des esprits
La véritable révolution africaine passe pourtant par la déconstruction de tous les héritages coloniaux, y compris ceux qui semblent conformes aux sensibilités locales. Comme l’ont montré l’Angola en 2019 ou le Botswana la même année, décriminaliser l’homosexualité peut constituer un acte authentiquement décolonial, libérant les sociétés africaines des carcans moraux imposés par les puissances européennes.
Certains pays africains l’ont compris : l’Afrique du Sud, premier pays au monde à interdire constitutionnellement les discriminations basées sur l’orientation sexuelle, ou encore le Cap-Vert, les Seychelles et le Mozambique qui ont décriminalisé l’homosexualité.
Le Burkina Faso d’Ibrahim Traoré rate ainsi une occasion historique de mener une révolution véritablement émancipatrice. Car on ne peut prétendre libérer un peuple en perpétuant l’oppression d’une partie de ses citoyens. Surtout pas au nom d’idéaux révolutionnaires.