Bauxite : Axis International réclame 29 milliards de dollars à la Guinée, un séisme pour le secteur minier


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Illustration investissements mines Guinée
Illustration investissements mines Guinée

La bataille juridique de la décennie vient de s’ouvrir en Afrique de l’Ouest. Le jour de Noël 2024, le groupe Axis International Ltd a officiellement déposé une demande d’arbitrage contre la Guinée devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) de la Banque mondiale.

L’enjeu est colossal : la société Axis International Ltd réclame 28,9 milliards de dollars à la Guinée. Si ce montant était confirmé, il s’agirait de la troisième plus grande demande jamais enregistrée dans l’histoire des traités d’investissement. Au cœur de ce conflit titanesque : la révocation brutale d’un permis d’exploitation de bauxite stratégique dans la région de Boffa.

Chronique d’une rupture brutale

L’affaire remonte au 14 mai 2024. Ce jour-là, le général Mamadi Doumbouya, chef de la transition guinéenne, annonce par décret le retrait de dizaines de permis miniers, officiellement pour cause de « non-exploitation » ou d’insuffisance de résultats. Axis Minerals Resources SA, filiale du conglomérat indien Oswal Group Global (basé aux Émirats arabes unis), figure sur la liste.

Pour le groupe dirigé par l’homme d’affaires Pankaj Oswal, la décision est incompréhensible. Présente en Guinée depuis 2013, la société avait débuté ses exportations en 2020. Selon ses données, la mine tournait à plein régime au moment de la saisie. Il annonce une production de 18 millions de tonnes en 2023 et même un rythme de 169 000 tonnes extraites par jour en mai 2024. Selon ses projection, l’entreprise visait à moyen terme une production annuelle de 48 millions de tonnes.

Mais du jour au lendemain, les équipements sont saisis, les comptes gelés et les opérations stoppées, laissant 5 000 travailleurs, emplois directs et indirects, dans l’incertitude.

Guerre des versions : expropriation ou assainissement ?

Ce dossier illustre le dialogue de sourds entre Conakry et les investisseurs étrangers et plus globalement les différends entre entreprises occidentales et nouveaux gouvernements africains.

Le cabinet Volterra Fietta, qui défend le groupe Axis, dénonce une expropriation illégale. Gunjan Sharma, avocat d’Axis, martèle que la mine était non seulement opérationnelle, mais qu’elle était devenue le « deuxième producteur du pays« . Pankaj Oswal va plus loin, évoquant une confiscation politique au profit de partenaires tiers, sans aucune indemnisation.

Pour sa part, la junte au pouvoir justifie sa politique par la volonté de reprendre en main un secteur minier gangrené par la spéculation (« gel des terres« ) et de forcer la transformation locale des matières premières. Officiellement, le ministère des Mines garde le silence sur cette procédure spécifique, mais la ligne dure du gouvernement Doumbouya reste inflexible.

Une stratégie juridique à double détente

Pour appuyer sa réclamation historique, Axis International joue sur deux tableaux juridiques :

  • Le traité bilatéral d’investissement (TBI) signé en 2011 entre la Guinée et les Émirats arabes unis.
  • Le Code des investissements guinéen de 1995.

Le montant astronomique de 29 milliards de dollars est calculé sur la base des réserves prouvées du gisement (plus de 800 millions de tonnes) et du manque à gagner sur plusieurs décennies d’exploitation future. Comme l’avertit Vasundhara Oswal, fille du fondateur et directrice générale d’Axis Minerals : « Cette affaire envoie un signal profondément inquiétant aux investisseurs miniers internationaux. Sans sécurité juridique, les capitaux fuiront. »

Axis International n’est pas seul à contester la purge menée par Conakry. Le 18 novembre 2024, Nomad Bauxite Corporation, véhicule d’investissement du magnat kazakh Almas Mynbayev, avait ouvert le bal des arbitrages pour contester le retrait de ses permis bauxitiques dans la même zone.

Un danger pour l’économie de la Guinée

Puis le 23 décembre 2024, c’était la société Nimba Investment LLC qui avait saisi la Banque mondiale. Ce dossier concerne, comme son nom l’indique, les gisements de fer stratégiques de la région forestière du Mont Nimba, zone prioritaire pour la diversification minière de la junte. À cela s’ajoute le cas d’Emirates Global Aluminium (EGA), géant du secteur, qui privilégie encore la négociation discrète pour sauver ses actifs.

L’enjeu dépasse le simple cadre juridique. La Guinée dépend de la bauxite pour l’immense majorité de ses revenus d’exportation. Une condamnation, même partielle, à hauteur de plusieurs milliards de dollars serait insoutenable pour l’économie nationale, dont le PIB annuel tourne autour de 23 milliards de dollars.

Alors que la procédure au CIRDI pourrait s’étaler sur plusieurs années, le bras de fer entre la famille Oswal et le général Doumbouya ne fait que commencer. Il servira de test grandeur nature pour la politique de souveraineté minière prônée par les régimes de transition en Afrique de l’Ouest.

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Criss Bailly est un journaliste collaborant avec afrik.com, où il couvre une large palette de sujets allant de la politique à la culture, en passant par la santé et la société. Ses articles abordent des thématiques variées, telles que la responsabilité sociétale des entreprises en Afrique, la situation épidémiologique du Covid-19 au Gabon, ou encore des enquêtes sur des scandales internationaux impliquant des figures publiques. Il met également en lumière des figures marquantes du continent, comme l’écrivain Serge Bilé ou la chanteuse Dobet Gnahoré, à travers des interviews et des analyses approfondies. Son travail reflète un engagement à décrypter les dynamiques africaines contemporaines, tout en donnant une voix aux acteurs influents du continent.
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