
C’est un constat aussi accablant qu’incontournable que vient de dresser l’ONG Oxfam : l’aide publique au développement (APD) destinée à l’Afrique, loin d’avoir tenu ses promesses, pourrait bien entretenir, voire aggraver, les déséquilibres qu’elle prétend corriger. Dans un rapport publié récemment, l’organisation dénonce un système d’aide internationale qui ne cible ni les bonnes priorités, ni les bons bénéficiaires. Pire encore, cette aide manquerait d’efficacité, de transparence et surtout de pertinence, rendant l’appellation « aide au développement » de plus en plus discutable. Faut-il alors parler, comme le suggèrent certains analystes, d’aide publique au sous-développement ?
Une aide mal orientée, mal distribuée
Ce que révèle le rapport d’Oxfam n’est pas nouveau, mais le rappeler demeure primordial. L’aide publique au développement est censée être un levier de transformation sociale, économique et environnementale pour le continent africain. Seulement, elle ne parvient pas à atteindre ses cibles essentielles. Les investissements demeurent concentrés dans des domaines secondaires ou à faible impact structurel, délaissant des piliers fondamentaux tels que l’éducation, la santé, la sécurité alimentaire ou la protection sociale.
Naomi Majale, conseillère en justice économique pour Oxfam en Afrique, dénonce un système d’aide dominé par les intérêts géopolitiques des pays donateurs. Selon elle, l’APD est bien souvent dictée par les priorités diplomatiques ou commerciales des puissances du Nord, et non par les besoins réels des populations africaines. Cette situation mène à des aberrations : des pays les moins avancés, pourtant les plus nécessiteux, sont sous-financés ; des organisations locales, proches du terrain, sont court-circuitées au profit de structures internationales plus éloignées des réalités locales.
Le poids des rapports de force
Le déséquilibre fondamental dans la gestion de l’aide repose sur une logique verticale : les pays riches donnent, les pays pauvres reçoivent. Mais ils reçoivent selon les conditions fixées par les premiers. Ce modèle perpétue une forme de dépendance et limite la souveraineté des pays africains à tracer leur propre voie de développement. En réalité, cette aide, supposée égalitaire, est un outil de soft power, une manière d’orienter les politiques économiques ou sociales selon les intérêts géostratégiques des pays bailleurs.
Le constat d’Oxfam remet en cause un système paternaliste de l’aide, qui continue d’ignorer les dynamiques locales, les savoir-faire endogènes, et les aspirations profondes des populations. Comment parler de développement quand les bénéficiaires eux-mêmes ne sont pas impliqués dans la définition des priorités ? Comment construire une croissance durable quand les projets financés ne répondent pas aux urgences sociales de base ?
Des effets pervers multiples
L’inefficacité de l’aide actuelle ne se mesure pas seulement à son incapacité à éradiquer la pauvreté. Elle se manifeste aussi à travers ses effets pervers : affaiblissement des institutions locales, compétition malsaine entre ONG, fuite des cerveaux attirés par les projets internationaux plutôt que par les services publics locaux, etc. Dans certains cas, l’aide devient un substitut à l’État, fragilisant encore davantage la légitimité et la capacité des gouvernements à répondre aux besoins de leurs citoyens. À long terme, c’est l’ensemble du tissu social et institutionnel qui s’en trouve désarticulé.
Ajoutons à cela les récentes coupes dans l’aide internationale, notamment de la part de pays européens en proie à leurs propres crises budgétaires. Ces réductions frappent de plein fouet les pays déjà fragilisés par les chocs climatiques, les conflits ou les crises sanitaires. L’aide ne compense plus, elle précarise davantage. Face à ce tableau sombre, Oxfam plaide pour un changement de paradigme radical. Il ne s’agit pas de rejeter toute forme d’aide, mais de repenser ses fondements. L’APD ne peut plus être conçue comme une action de charité, dictée par les donateurs. Elle doit devenir un véritable partenariat, basé sur l’écoute, la co-construction, la transparence et la redevabilité mutuelle
Changer de paradigme : de la charité au partenariat
Les priorités doivent être définies localement, avec la pleine participation des communautés concernées. L’investissement dans les services publics fondamentaux, santé, éducation, logement, accès à l’eau, doit devenir central. De même, les enjeux transversaux comme la justice climatique ou l’égalité de genre doivent cesser d’être des options secondaires pour devenir des axes structurants des politiques d’aide. Il est aussi urgent d’investir dans les capacités des acteurs locaux : collectivités, ONG africaines, entreprises sociales. Ce sont eux qui détiennent la connaissance du terrain et la légitimité pour porter un développement durable et inclusif.
L’Afrique n’a pas besoin de dons symboliques ni de promesses creuses. Elle a besoin d’une solidarité internationale lucide et responsable, capable de reconnaître que le développement ne se décrète pas depuis Paris, Washington ou Bruxelles. Il se construit depuis les villages, les villes, les communautés locales, avec leurs propres ambitions, ressources et contraintes. L’aide, dans sa forme actuelle, doit être repensée. Sinon, elle risque de rester ce qu’elle est trop souvent aujourd’hui : non pas un moteur de progrès, mais un instrument de domination douce, maquillée sous les traits séduisants de la générosité. Et si, pour une fois, on écoutait vraiment l’Afrique ?