Accord UE-Maroc : 29 députés s’insurgent contre la dérive autoritaire de la Commission européenne


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UE Maroc et Sahara
UE Maroc et Sahara

Le Parlement européen monte au créneau pour défendre ses prérogatives démocratiques face à une Commission européenne qui semble prête à tous les compromis pour servir les intérêts économiques au détriment du droit international et de la volonté des peuples.

L’affaire fait grand bruit à Bruxelles. Le 8 octobre 2025, 29 députés européens issus de différents groupes politiques ont adressé une lettre cinglante à Roberta Metsola, présidente du Parlement européen, exigeant que la Commission soit réprimandée « officiellement et sans ambiguïté » pour avoir appliqué un nouvel accord commercial avec le Maroc sans consultation préalable du Parlement.

Un coup de force institutionnel

Ce qui ressemble de plus en plus à un coup de force institutionnel s’est déroulé dans l’ombre et l’urgence. La Commission européenne a finalisé son amendement à l’accord commercial le 18 septembre, à l’issue de négociations menées tambour battant en seulement cinq jours après l’autorisation du Conseil le 10 septembre. Le Parlement n’a été informé que le 26 septembre, quelques jours seulement avant l’approbation par le Conseil, et l’accord a été signé le 3 octobre pour une application provisoire immédiate le 4 octobre.

Pour Bernd Lange, président de la commission du Commerce international (INTA) au Parlement et membre du groupe socialiste, cette manière de procéder est tout simplement « scandaleuse ». Il dénonce une violation flagrante d’un accord-cadre récemment mis à jour entre les institutions de l’UE, censé garantir qu’aucune application provisoire ne puisse avoir lieu sans le consentement du Parlement.

Le Parlement, dernier rempart contre la dictature des lobbies

Dans cette affaire, le Parlement européen apparaît comme le dernier rempart institutionnel face à une Commission qui semble avoir fait le choix de privilégier les intérêts des exportateurs marocains et européens plutôt que le respect du droit international et des droits des peuples.

Il faut rappeler que la Cour de justice de l’Union européenne avait invalidé en octobre 2024. Les accords commerciaux UE-Maroc sur les produits agricoles et de pêche, au motif qu’ils avaient été conclus sans le consentement du peuple sahraoui, en violation du principe d’autodétermination. Un arrêt clair, sans ambiguïté, qui devait obliger Bruxelles à revoir sa copie dans le respect du droit.

Qu’a fait la Commission ? Elle a trouvé un subterfuge juridique contestable : étiqueter les produits du Sahara occidental tout en laissant les autorités marocaines délivrer les certificats de conformité. Une solution qui ne respecte pas l’exigence de différenciation claire imposée par la Cour et qui, selon plusieurs députés, risque d’induire les consommateurs européens en erreur sur l’origine réelle des produits.

Les vraies victimes : les agriculteurs européens et le peuple sahraoui

L’eurodéputée espagnole Mireia Borrás a été sans détour : « Cet accord n’est pas conforme à la décision de justice de 2024 » et la Commission agit « dans le dos du Parlement ». Elle a également alerté sur les conséquences économiques pour les agriculteurs européens, notamment espagnols, dont les ventes « ont fortement chuté » tandis que les exportations marocaines de fruits et légumes vers l’Espagne ont bondi de 30% au début de l’année 2025.

Le syndicat agricole espagnol COAG a d’ailleurs annoncé son intention de contester l’accord devant les tribunaux, tandis que le Copa-Cogeca, qui représente les agriculteurs européens, exhorte les institutions à « reconsidérer l’accord ».

Quant au peuple sahraoui, il reste le grand oublié de cette affaire. Aucun mécanisme juridiquement opposable n’assure une redistribution indépendante et vérifiable des bénéfices économiques en sa faveur. L’accès des observateurs indépendants au Sahara occidental reste problématique, plusieurs eurodéputés ont même été refoulés à Laâyoune en début d’année. Sans données publiques et audits indépendants, difficile de croire que cet accord bénéficie réellement aux Sahraouis.

Un vote décisif à venir

L’accord appliqué provisoirement devra encore être ratifié définitivement par le Parlement européen. Bien que la date de ce vote ne soit pas encore fixée, il nécessitera une majorité simple des députés présents pour être adopté. Toutefois, pour rejeter la position du Conseil en deuxième lecture, le Parlement devra réunir une majorité absolue (361 voix sur 720), ce qui rend l’exercice plus difficile.

C’est justement là que réside l’espoir. Les députés européens, plus proches des citoyens et plus sensibles aux questions de droits humains que la technocratie bruxelloise, pourraient bien dire non à cet accord qui bafoue à la fois la justice européenne, les droits du peuple sahraoui et les intérêts des agriculteurs du continent.

Cette fronde de 29 députés, issus de groupes politiques variés allant de la gauche aux sociaux-démocrates en passant par les Verts et certains libéraux, est un signal encourageant. Elle montre qu’au-delà des clivages partisans, certains élus européens refusent que la démocratie et le droit international soient sacrifiés sur l’autel du commerce.

Il faut s’en féliciter. Dans un contexte où les citoyens européens se sentent de plus en plus déconnectés des institutions de Bruxelles, voir des députés se lever pour défendre les principes démocratiques, le respect de la justice et les droits des peuples est une bouffée d’air frais.

Masque Africamaat
Kofi Ndale, un nom qui évoque la richesse des traditions africaines. Spécialiste de l'histoire et l'économie de l'Afrique sub-saharienne
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