
Depuis le discours de Tanger du 18 septembre 1967 par Hassan II, le Maroc a fait de l’eau un pilier de souveraineté : irrigation de masse, politique des barrages, stabilisation du monde rural. Sous Mohammed VI, la stratégie bascule vers le dessalement, l’interconnexion des bassins et la réutilisation des eaux usées pour sécuriser villes, industrie et agriculture.
Le 18 septembre 1967, dans un discours solennel prononcé à Tanger, feu le roi Hassan II annonçait un projet qui allait profondément marquer l’histoire du développement agricole et hydraulique du Maroc : l’irrigation d’un million d’hectares avant la fin du XXe siècle. À l’époque, le pays ne comptait que 150 000 hectares irrigués, mais la vision du monarque reposait sur une conviction forte : sans eau, il n’y a ni sécurité alimentaire, ni prospérité durable.
Cette ambition se traduira rapidement par une politique nationale des barrages, à travers la construction de grands ouvrages sur l’ensemble du territoire. Dès les années 1960, le Maroc, indépendant depuis une décennie, choisit de placer l’agriculture au cœur de son développement. Une décision stratégique dans un pays à dominante rurale, souvent confronté aux aléas climatiques.
Hassan II : la révolution des barrages et de l’irrigation (1967–1997)

L’Office national des irrigations (ONI), mis en place dans les années 1960, posera les premières pierres d’un chantier colossal. Puis, à partir du plan quinquennal 1968-1972, le Maroc s’engagera pleinement dans la concrétisation du « grand dessein » royal. Jean-Jacques Perennes, spécialiste du Maghreb, décrit dans son ouvrage L’eau et les hommes au Maghreb cette politique comme la plus ambitieuse de toute la région. Le pays investira massivement dans la construction de barrages, de réseaux d’irrigation, et dans l’équipement des périmètres agricoles.
Malgré des crises successives, la chute des prix des phosphates, les sécheresses prolongées, la hausse des dépenses militaires et une crise financière aiguë dans les années 1980, le cap sera maintenu. La politique d’ajustement structurel lancée en 1983 introduira même une réforme de la grande irrigation. Elle permettra de relancer l’investissement dans ce secteur stratégique. Le défi lancé en 1967 sera finalement relevé : en 1997, le Maroc atteint l’objectif du million d’hectares irrigués. Le pays comptera alors une centaine de barrages opérationnels, contre à peine 13 à l’indépendance, et une capacité de stockage passée de 2,4 à 15 milliards de m³. Le Maroc devient un modèle dans le monde arabo-africain en matière de gestion de l’eau.
Un héritage stratégique pour la souveraineté alimentaire
L’impact de cette politique ne s’est pas limité à l’agriculture. Elle a contribué à stabiliser le monde rural, à réduire l’exode vers les villes et à renforcer la sécurité hydrique d’un pays semi-aride. Le pari de l’eau s’est révélé un instrument de souveraineté et un levier pour l’aménagement du territoire. Casablanca accueille en 1987 le congrès mondial de la prestigieuse Commission internationale des irrigations et du drainage (ICID), consacrant le savoir-faire marocain.
L’ambition hydraulique s’inscrivait aussi dans un modèle de développement souverain, piloté par l’État, où la monarchie jouait un rôle de planificateur. Hassan II déclarait lors de l’inauguration du barrage de l’Oued El Makhazine en 1974 : « Nous avons lancé un défi au temps et à nous-mêmes. » Une phrase devenue emblématique du volontarisme royal.
Mohammed VI : dessalement, interconnexions et sécurité hydrique (2008–2027)
L’arrivée au pouvoir de Mohammed VI en 1999, dans un contexte de mondialisation accrue et de crise climatique, a marqué un tournant dans la gestion des ressources en eau. L’héritage hydraulique de son père est prolongé, mais réajusté aux nouveaux défis du XXIe siècle. Le « Plan Maroc Vert« , lancé en 2008, puis sa version actualisée « Génération Green 2020-2030« , intègrent l’irrigation et la gestion rationnelle de l’eau comme piliers de la modernisation agricole.
Mais c’est surtout avec ce qu’on pourrait appeler le « Plan Maroc Émergent« , tourné vers l’industrialisation, la transition énergétique et la résilience climatique, que la politique hydrique connaît une transformation majeure. Dans ce cadre, le dessalement de l’eau de mer prend une place centrale. Face au stress hydrique croissant, Mohammed VI a lancé plusieurs mégaprojets de stations de dessalement, notamment à Agadir, Casablanca, Dakhla et bientôt Nador. L’objectif est de diversifier les sources d’approvisionnement en eau, réduire la dépendance aux barrages soumis aux variations climatiques, et sécuriser l’accès à l’eau pour les populations, l’industrie et l’agriculture.
Une vision nationale de l’eau qui s’inscrit dans le temps long
À travers cette politique, le Maroc mise sur un mix hydrique intégré : barrages, eaux souterraines, stations de dessalement, et réutilisation des eaux usées. Cette approche, saluée par de nombreuses institutions internationales, positionne le Royaume comme l’un des pays les plus proactifs de la région en matière de sécurité hydrique.
Lancé en 2020, le Programme national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation 2020-2027 prévoit plus de 115 milliards de dirhams d’investissement pour renforcer les infrastructures hydriques du pays. Il comprend la construction de 20 barrages supplémentaires, l’accélération des projets de dessalement et l’interconnexion des bassins hydrauliques pour faire face aux sécheresses chroniques.
Continuité royale, adaptation nationale
Du discours de Tanger en 1967 à la stratégie de l’eau 2050 actuellement en cours d’élaboration, le Maroc met en avant une continuité dans sa vision hydrique. Le projet lancé par Hassan II était celui d’un souverain visionnaire, conscient que l’eau serait l’or bleu du futur. Son fils, Mohammed VI, lui a donné une nouvelle dimension, plus technologique, plus durable, mais tout aussi stratégique.