Gévrise Emane fleuron du judo français


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Gévrise Emane, double championne de France en titre de judo, en moins de 70 kg, défendra haut et fort les couleurs de la France du 8 au 11 septembre prochain aux 24e championnats du monde du Caire (Egypte). La judokate d’origine camerounaise, véritable boule d’énergie sur les tatamis est un modèle de fraîcheur, de calme et de sérénité à l’extérieur. Rencontre avec une athlète avec la tête sur les épaules et les pieds sur terre.

Vendredi 26 août 2005

Gévrise Emane, championne du monde de judo ! C’est du moins tout le mal que l’on souhaite à l’actuelle double championne de France des moins de 70 kg pour ses premiers championnats du monde avec l’équipe de France (8-11 septembre, Le Caire, Egypte). A 23 ans, la judokate d’origine camerounaise, ceinture noire deuxième dam, vit sans stress son statut de numéro un. Très lucide sur la fragilité d’une carrière au plus haut niveau, la sociétaire du Levallois sporting club a tenu à poursuivre ses études et est actuellement en maîtrise de droit.

Afrik.com : Quand avez-vous commencé le judo ?

Gévrise Emane : J’ai commencé le judo assez tard, vers 12 ou 13 ans, au collège en UNSS (Union nationale du sport scolaire, ndlr). Mon prof de sport, Monsieur Jacky Bicheux, m’a fait découvrir la discipline. J’ai fini par m’inscrire dans le club de ma ville (Rosny sous bois/Neuilly-Plaisance, ndlr). De fil en aiguille, je me suis retrouvée à l’Insep (Institut national du sport et de l’éducation physique, ndlr) où je suis toujours aujourd’hui.

Afrik.com : Votre ascension a-t-elle été rapide ?

Gévrise Emane : J’ai assez vite progressé. Ça fait uniquement quatre ans que je fais du haut niveau. C’est avec ma place de vice-championne de France aux Championnats juniors 1999-2000 que j’ai pu intégrer l’Insep, enchaîner sur des tournois internationaux et arriver au niveau où je suis aujourd’hui.

Afrik.com : Nombreux sont ceux qui trouvent que le judo n’est pas un sport très féminin. Comment réagissent vos parents par rapport à votre carrière sportive ?

Gévrise Emane : Ils ne m’ont posé qu’une seule condition : celle de continuer l’école. De toutes les façons, c’était aussi clair pour moi. Je n’ai jamais eu l’idée d’arrêter mes études en rentrant à l’Insep. Certaines personnes ne se concentrent que sur leur carrière sportive. Or ça reste un sport et personne n’est à l’abri d’une blessure. Une fois que vous arrive, vous vous retrouvez le bec dans l’eau.

Afrik.com : Quelles études poursuivez-vous ?

Gévrise Emane : J’avais déjà validé ma première année de droit à la fac quand on m’a demandé d’intégrer l’Insep. Je suis donc arrivée directement en deuxième année. Mais comme il n’y avait pas de cursus de droit là-bas, j’avais uniquement le choix entre un BTS et Staps (études pour devenir professeur d’éducation physique, ndlr) ; J’ai décidé de poursuivre mes études en externe, à l’université de Villetaneuse (Paris XIII, ndlr). Le plus difficile est de cumuler les deux. J’avais une heure et demie de transport pour aller à la fac et je faisais deux allers-retours entre l’école et l’Insep. Depuis, j’ai changé de fac (elle aujourd’hui à la Sorbonne, ndlr). Je suis actuellement en maîtrise de droit, maîtrise que je compte passer en deux ans.

Afrik.com : Quel est exactement votre statut ? Etudiante ? Professionnelle ?

Gévrise Emane : Le judo n’est pas un sport professionnel, mais nous avons un statut de sportif de haut niveau.

Afrik.com : Quelle est votre charge d’entraînement quotidien ?

Gévrise Emane : Nous avons entraînement deux fois par jour à raison de six ou sept heures par jour. Sauf le mercredi où nous entraînons uniquement le matin.

Afrik.com : Avec une telle charge d’entraînement, vous êtes un peu des ouvriers du sport. Comment garde-t-on, dans ces conditions, l’amour du sport ?

Gévrise Emane : Il n’y a pas que des sacrifices. On prend quand même beaucoup de plaisir. Et puis c’est tout une ambiance. On lie des amitiés et c’est comme une seconde famille. D’autre part, on sait pourquoi on est là, chacun a ses objectifs.

Afrik.com : Jusqu’à quel âge peut aller la carrière d’une judokate ?

Gévrise Emane : C’est votre corps qui vous le demande. Et il faut également penser à sa vie de femme si on veut avoir des enfants. Certaines athlètes ont réussi à concilier les deux, quitte à mettre sa carrière sportive entre parenthèse pour revenir par la suite.

Afrik.com : Comment vivez-vous votre statut d’élite ?

Gévrise Emane : Je ne suis pas quelqu’un qui a toujours la pression. Je ne me lève pas le matin en me disant que je suis la numéro un française et qu’il faut que je me comporte comme ci ou comme ça. Je ne prends pas la tête, j’y vais au feeling.

Afrik.com : Vous devez être la coqueluche des jeunes ?

Gévrise Emane : Oui, parce que les jeunes ont besoin de s’identifier à quelqu’un. Mais je suis plutôt la grande sœur.

Afrik.com : Vous devez être tout de même amenée à signer des autographes ?

Gévrise Emane : Oui c’est vrai. Ça me faisait bizarre au début parce que je considère que je n’ai rien d’exceptionnel. Je suis juste comme tout le monde. Mais ça fait toujours de signer des autographes aux enfants.

Afrik.com : Le judo est-il un sport pédagogique ?

Gévrise Emane : Le judo reste à la base un sport éducatif. Nous avons un code moral où l’on retrouve le respect, la modestie, le contrôle de soi. Et on intègre tout ça quand on rentre dans le dojo (lieu consacré à la pratique des arts martiaux, ndlr). C’est une philosophie.

Afrik.com : Le mental doit être capital en haut niveau. Avez-vous des méthodes particulières pour le travailler ?

Gévrise Emane : Le mental c’est 80% de la victoire. Il y a des séances pour aller voir des psychologues du sport, mais c’est à l’athlète d’en faire la demande. Pour ma part, je n’en ai jamais encore ressenti le besoin.

Afrik.com : La pratique du judo a-t-elle évolué ?

Gévrise Emane : Quand je tombe sur certaines cassettes, on remarque qu’avant le judo était moins basé sur la force physique. Il y avait beaucoup de techniques de jambes. Aujourd’hui c’est plus du corps à corps.

Afrik.com : Quelles sont vos atouts de combattante ?

Gévrise Emane : J’ai un judo assez offensif. Je suis très tonique. Comme je suis l’une des plus petites dans ma catégorie, je suis obligée d’être très mobile pour compenser la différence de taille. J’ai une bonne rapidité d’exécution dans mes mouvements. J’ai également de bons mouvements d’épaule. J’ai la faculté de pouvoir tourner à droite comme à gauche (pour engager le mouvement, ndlr). Ce qui assez perturbateur pour mes adversaires.

Afrik.com : Quels liens gardez-vous avec Cameroun ?

Gévrise Emane : Cela fait 5 ans que je ne suis pas retournée au Cameroun. J’entretiens une relation longue distance avec mon pays. Ça fait un peu mal, parce qu’on a l’impression de ne pas le connaître. Ma grand-mère m’en parle souvent et j’ai un certain retour de mes cousins là-bas, mais je trouve dommage que je ne puisse pas y aller plus souvent pour découvrir les choses par moi-même.

Afrik.com : Peut-on imaginer un jour que vous combattiez pour le Cameroun ?

Gévrise Emane : Il n’y a malheureusement pas les mêmes conditions d’organisation et d’entraînement là-bas. Je suis née à Yaoundé, mais je suis arrivée à deux ans et demi en France. J’ai finalement changé de nationalité pour devenir française, mais j’avais d’abord été me renseigner auprès de la Fédération camerounaise de judo et de certains athlètes pour savoir comment se passaient les entraînements. C’est assez difficile pour eux, car ils ne disposent pas de structures dédiées où ils peuvent s’entraînement tous les jours. Alors qu’en France, tout est rigoureusement encadré.

Afrik.com : Avez-vous déjà eu l’envie de vous expatrier en Asie pour développer encore mieux votre judo ?

Gevise Emane : On (à l’Insep, ndlr) va souvent en stage en Chine, au Japon, en Corée. Parce que, pour atteindre le top niveau, il faut se confronter aux meilleures et c’est là-bas qu’elles se trouvent.

Afrik.com : Quels sont vos plus beaux souvenirs sportifs ?

Gévrise Emane : Pour l’instant ça reste le Tournoi de Paris en 2003, où j’ai fait troisième, car personne ne s’y attendait. J’ai également été très émue aux championnats de France cette année quand les personnes de mon club sont venu me soutenir…à 50. Je ne m’attendais pas à ce qu’ils viennent aussi nombreux pour moi.

Afrik.com : Le judo n’est pas un sport professionnel, mais arrivez-vous tout de même à être payée d’une manière ou d’une autre ?

Gévrise Emane : C’est l’une des grandes questions. Il y a des bourses de la Fédération pour les athlètes qui sont en équipe de France ou qui sont titulaires dans de grands championnats. Mais il n’y a pas grand-chose pour les autres. A part le club qui peut vous donner un petit coup de pouce.

Afrik.com : Avez-vous un sponsor ?

Gévrise Emane : L’équipe de France a déjà des sponsors, dont le numéro un reste Adidas. Mais rien n’empêche les athlètes de porter ce qu’ils veulent hors compétition. Pour ma part, je porte du Kobena, une jeune marque d’urban wear. Ça m’a fait vraiment plaisir qu’ils viennent me solliciter pour que je les représente.

Afrik.com : Avez-vous déjà été attirée par d’autres arts martiaux ?
Gévrise Emane :
Franchement non, à part peut être le taekwondo.

Afrik.com : Y a-t-il des judokates que vous respectez particulièrement ?
Gévrise Emane :
Je respecte beaucoup quelqu’un comme Céline Lebrun, avec qui je m’entraîne. C’est une grande dame. Elle réussi à m’étonner tous les jours.

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