Burkina Faso : misère et corruption, un cocktail explosif


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Une crise économique frappe le Burkina Faso. Cependant, les populations en colère souhaitent une distribution plus équitable des richesses disponibles dans le pays, qui pour l’instant profitent surtout à un clan de privilégiés proches du pouvoir. Le président de la République Blaise Compaoré, en fonction depuis bientôt un quart de siècle, parviendra-t-il à calmer le mécontentement de ses concitoyens ?

Des actes de mutinerie qui dans les casernes se poursuivent. Des commerçants qui en réponse aux pillages des militaires s’attaquent aux symboles de l’Etat. La grogne qui s’est emparée de la rue burkinabè jeudi n’est sans doute pas prête de retomber, en dépit d’un contrefeu allumé dans l’urgence par le président Blaise Compaoré, qui a dissout son gouvernement et limogé les principaux chefs de son armée. Le mécontentement déclenché cette fois par les militaires pourrait même gagner en intensité, en s’étendant chez les civils. Ce lundi, les jeunes élèves et étudiants de Koudougou ont manifesté violemment pour l’amélioration de leur condition et obtenir la vérité et la justice pour Justin Zongo, l’un des leurs, qui avait trouvé la mort le 20 février lors d’une manifestation. D’autre part, le président de la Coalition nationale contre la vie chère (CCVC), Tolé Sagnon, a invité les populations à rester mobilisées. « Si des concertations du président du Faso, il ne ressort pas de décisions concrètes, nous allons encore vous appeler à descendre dans la rue», pour le 1er mai, a-t-il déclaré, la semaine dernière. La dernière manifestation de la CCVC remonte au 8 avril. Des témoins avaient alors décrit, dans les rues de Ouagadougou, un cortège de plusieurs kilomètres, au dessus duquel s’élevaient de nombreuses pancartes dénonçant la flambée des prix des denrées de première nécessité et la pauvreté croissante.

Crise économique

Car derrière les revendications salariales des forces de sécurité qui ces derniers jours ont rompu la quiétude du président Blaise Compaoré, se cache une situation plus générale et beaucoup plus explosive de grande paupérisation des Burkinabè. Une conséquence de l’effet conjugué de la crise économique et de la corruption du sommet de l’Etat. Classé 177e sur 182, selon l’indice de développement humain de l’Onu, le Burkina Faso est l’un des pays les plus pauvres du monde avec près de la moitié de sa population vivant avec moins d’un dollar par jour. Il vit essentiellement de l’agriculture qui représente 32 % du produit intérieur brut et occupe 80 % de la population active. Or le coton dont il est le premier producteur africain et qui constitue sa principale culture de rente est en crise. Comme tous les autres producteurs africains de l’or blanc, le pays dit « des hommes intègres » a vu ses recettes d’exportation cotonnière chuter drastiquement, du fait notamment de la grande concurrence du coton américain fortement subventionné. Une situation qui a plombé l’économie en plein redressement de ce pays qui fut, en l’an 2000, l’un des premiers sur le continent à bénéficier de la réduction de sa dette extérieure, au prix d’un ajustement structurel négocié dans le cadre de l’initiative « Pays pauvres très endettés » (PPTE).

La crise ivoirienne a également constitué un coup dur pour ce pays de plus de 16 millions d’habitants, qui est totalement enclavé. « Nous dépendons du port d’Abidjan pour notre approvisionnement en denrées de première nécessité comme le savon, l’huile, le riz et le carburant. Avec la crise en Côte d’Ivoire, les importateurs ont dû passer par le port de Lomé (Togo) qui est plus loin, d’où un renchérissement des coûts », explique un journaliste officiant à Ouagadougou, la capitale. Résultat, une inflation insoutenable pour les consommateurs, et des manifestations contre la cherté de la vie.

Corruption

Mais il n’y a pas que la crise de la filière coton et les effets néfastes des soubresauts politiques du géant ivoirien voisin, pour expliquer l’ire des Burkinabè. Ceux-ci dénoncent également la corruption qui gangrène le sommet de l’Etat, créant de fait un petit clan de privilégiés qui semblent narguer, par l’étalage de leurs richesses, les masses figées sous le seuil de pauvreté. Le contraste est aujourd’hui saisissant entre les nombreux chantiers en construction à Ouagadougou, la pléthore de grosses cylindrées circulant dans la capitale, et les gémissements de la population. « Il y a un clan qui s’est formé autour du président Compaoré et qui s’accapare de tous les secteurs de l’économie. Il est semblable au clan Ben Ali qui avait mis la Tunisie en coupe réglée », relève sous anonymat un observateur.

Il raconte également l’accaparement des terres agricoles par quelques riches protégés du pouvoir. Profitant de l’initiative de l’agrobusiness confortée par une loi votée en 2009, qui consiste en une forte mécanisation de l’agriculture, ceux-ci se sont taillés d’immenses propriétés au détriment des petits agriculteurs qui dans le nouveau contexte finiraient tout au plus avec le statut d’ouvrier. « La corruption gangrène le pays. Voila pourquoi vous voyez pousser des villas futuristes à Ouagadougou alors que le pays réel souffre. Ajoutez à cela la gestion totalement opaque du boom minier, notamment celui de l’or, et vous comprendrez comment certains ne connaissent pas la crise. Il y a un énorme problème de redistribution des richesses du pays », conclut notre source. Dans le rapport 2010 de l’ONG Transparency international, qui chaque année publie un indice de l’évolution de la corruption par pays, le Burkina Faso a obtenu une note de 3,1 et s’est classé au 98ème rang mondial. Un classement peu glorieux qui, de plus, constitue un recul par rapport aux deux années précédentes.

Au Burkina Faso, il n’existe pas une opposition suffisamment structurée pour provoquer une alternance politique par la voie des urnes. Face à cette opposition divisée, Blaise Compaoré, en dépit de l’usure de 24 ans de pouvoir sans partage, a été réélu l’année dernière, avec plus de 80% des suffrages exprimés – mais avec un faible taux de participation. Nombre de ses compatriotes craignent cependant qu’il ne fasse modifier la constitution pour rester au pouvoir au delà de son actuel mandat de cinq ans. Face à la colère de ses concitoyens, il tente tant que faire se peut, de garder la situation sous contrôle. Vendredi 8 avril, alors que les Burkinabè manifestaient contre la vie chère, le gouvernement de Ouagadougou a annoncé des mesures pour assurer l’approvisionnement du pays en produits de première nécessité et contenir la hausse des prix. Une cellule de veille a été mise en place. Elle a pour mission de surveiller l’affichage des prix dans les commerces et de veiller au bon fonctionnement des moyens de transport des marchandises. Peu après, le chef d’Etat a annoncé une série de consultations avec les acteurs politiques et de la société civile. Suffisant pour ramener le calme dans son pays ? Les Burkinabè en décideront.

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