Alphadi : « Le FIMA ambitionne d’accompagner le développement de l’Afrique »


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Le créateur et styliste africain Alphadi n’est pas de ceux qui sont pessimistes pour l’Afrique. Au contraire, celui qu’on surnomme aussi le « Prince du désert » a une foi infaillible en son continent, dont il ne se lasse jamais de parler. Débordé par l’organisation de la 10ème édition du Festival international de la mode africaine (FIMA) qu’il a créé en 1999, il nous a accueilli chez lui, à Clichy, près de Paris, en toute intimité, revenant sur la naissance du FIMA, qui célèbre ses 20 ans, et son long chemin parcouru. Rencontre.

?« Je te laisse mon fils. Elle est là. Elle vient d’arriver », lance-t-il à son fils aîné avec qui il discutait par téléphone des derniers préparatifs de la 10ème édition du Festival international de la mode africaine (FIMA). Après avoir raccroché, il nous souhaite chaleureusement la bienvenue dans sa demeure?. ?Souriant, accueillant, bavard, surtout quand il s’agit de parler de mode et culture africaine. Alphadi, de son vrai nom Seidnaly Sidhamed, est égal à lui-même. Il a le contact facile. Ses conversations très enthousiastes sont souvent entrecoupées de grands éclats de rires, qui font ressortir ses fines fossettes. Le sens de l’hospitalité semble en effet inné chez celui qu’on surnomme le ? »Prince ?du désert », pour être issu d’une famille royale. Ce n’est un secret pour personne, c’est de cette façon qu’il accueille ses hôtes?, sur qui il pose un regard toujours vif mais doux à la fois et souvent émerveillé. Un regard rempli de tendresse qu’il pose aussi régulièrement sur son fils aîné? qui vit près de lui, alors que ses cinq autres enfants résident aux Etats-Unis ou au Niger.

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« Venez-voir, ça c’est la nouvelle collection », lance-t-il, nous montrant tout type de robes plus élégantes les unes que les autres, scintillantes, colorées, aux motifs authentiques, dessinées par ses soins. « Alors qu’en dîtes-vous? Ça vous plaît ? », questionne-t-il, heureux de faire découvrir ces nouveautés. Un FIMA presque avant l’heure donc, rappelant la chaleur de l’Afrique, illuminant son showroom, situé au premier niveau de son appartement, à Clichy, commune, qui se trouve à quelque minutes de Paris. Un showroom qui lui sert aussi de bureau, décoré à son image, avec des couleurs chatoyantes et des fauteuils installés tout autour, pour que chacun s’y sente tout de suite chez soi. « C’est plus simple d’avoir tout chez moi, comme ça je peux recevoir tous mes clients ici », dit-il. C’est là où il vit quand il n’est pas au Niger ou au Maroc, où il se rend régulièrement dans l’année.

«On va lancer la première université de mode en Afrique»

En ce moment, il ne cache pas que toutes ses pensées sont tournées vers cette 10ème édition du FIMA. Les yeux déjà pétillants, c’est toujours avec passion qu’il en parle, annonçant les nouveautés lors de cette édition spéciale, qui marque tout une ère, après 20 ans d’existence. « Cette année, ça va être grandiose, assure-t-il. L’évènement le plus important sera le lancement de la première université de mode en Afrique », qui a pour but de former les jeunes talents aux métiers de la mode. « J’enseignerai moi-même dans cette école », indique fièrement Alphadi. « Autre évènement important, on organise aussi une rencontre « Be to be » entre créateurs du FIMA et investisseurs, qui pourront acheter directement sur place les créations qui les intéressent. L’objectif : permettre aux stylistes africains, souvent en difficulté, de faire connaître leurs productions et de les vendre ». Sans compter qu’il y aura aussi « le concours des jeunes stylistes qui présenteront leurs créations lors du FIMA. En tout, 350 créateurs ont déposé leur candidature, mais seulement 10 seront sélectionnés et iront au Niger pour participer au FIMA, tous frais payés. La chanteuse par ailleurs ambassadrice de la mode nigériane, Yémi Yalade, sera aussi présente ».

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Assis confortablement sur un de ses fauteuils, le visage détendu, il rit encore du fait que beaucoup l’ont pris pour un fou lorsqu’il a eu l’idée de lancer le FIMA, en plein désert à Tiguidit, à 80 kilomètres d’Agadez, alors que la rébellion touarègue faisait rage, et que le tourisme s’était effondré dans cette zone classée liste rouge. « C’était pour moi un véritable challenge de monter un tel festival dans le désert et de réussir à y emmener de grandes personnalités », se remémore-t-il. « On a réussi à faire venir quand même cinq chefs d’Etat africains, ainsi que des couturiers de renom comme Kenzo, Yves Saint-Laurent, ou encore de grands mannequins comme Katoucha, ce n’est pas rien », raconte le styliste, soulignant que « beaucoup nous ont mis les bâtons dans les roues et ne voulaient pas que le FIMA ait lieu ». Un Festival pourtant pionnier, car il donne naissance à tous les autres sur la mode africaine : Sira vision, Black Fashion week…, dont Alphadi a prodigué des conseils à leurs initiateurs pour leurs premières éditions.

« Le FIMA est avant tout une vision, un projet »

Lui, restera toujours reconnaissant envers le Président du Niger, Ibrahim Barré à cette époque, qui a tout de suite cru en son projet et mis tous les moyens pour sa réussite. « C’était un grand homme qui a compris l’intérêt de son pays dans un tel projet. » C’est pour le styliste avant tout « un ami d’enfance qui a suivi les débuts de ma carrière alors qu’il était attaché militaire de l’ambassade du Niger à Paris, entre 86-87 ». Et il a fallu mettre en œuvre « un travail titanesque pour organiser cette première édition, précise-t-il. Il a fallu installer et équiper 1500 tentes, un réseau électrique, creuser des puits, tracer une piste de 80km entre Agadez et Tiguitit ». En tout, « 1400 personnes, essentiellement des femmes, ont travaillé sur le site », explique Alphadi, qui estime que la dimension sociale du FIMA était atteinte avant même que le Festival ait lieu. « Le FIMA, c’est avant tout une vision, un projet, qui a pour ambition d’accompagner le développement économique et social de l’Afrique », assène-t-il. « Le FIMA, à chaque édition, crée des milliers d’empois, tient-il à rappeler. Des centaines de personnes sont soignées gratuitement par des médecins bénévoles pendant le FIMA. Même les villages reculés du pays en bénéficient avec la création d’écoles ou encore de puits. Le FIMA, c’est tout cela. Ça ne s’arrête pas juste à la mode, contrairement aux apparences. C’est beaucoup plus dense et profond. En fait, à travers le FIMA, je défends la beauté de la culture africaine. Je veux montrer que l’Afrique a de la valeur, de la richesse culturelle et qu’elle peut faire de belles choses ».

« Je suis descendant de la lignée du prophète, il n’y a pas plus musulman que moi »

Un discours positif, loin de faire l’unanimité. Alors que la première édition du FIMA a eu lieu dans le désert, le Festival a dû être déplacé dans la capitale, Niamey, pour échapper au courroux des islamistes. Le FIMA n’est en effet pas toujours compris dans son propre pays, regrette Alphadi. Au Niger, « on est très attaché aux traditions et certains pensent que le FIMA ne correspond pas à la culture du pays car des femmes défilent, et parfois on voit un bout de leur corps. Alors que le FIMA défend la culture africaine ». D’autant que le FIMA, « c’est aussi pour moi une façon de valoriser la culture du Niger qui a un savoir ancestral fabuleux dans la confection des bijoux. Hermès fabrique ses produits en cuir au Niger, ce n’est pas rien !», s’exclame-t-il. Il déplore l’incendie dans son immeuble de plusieurs étages à Niamey, où se trouvent ses ateliers mais aussi sa demeure, il y a tout juste trois ans. « Jusqu’à présent, on ne connait pas les auteurs de cet incendie qui m’a beaucoup coûté. Tous mes ateliers ont été brûlés. Mes créations, mon matériel, tout est parti en fumée ! Heureusement qu’ils n’ont pas brûlé le reste mais juste tout ce qui avait un lien avec ce que je fais dans la mode », raconte Alphadi, dépité. « Mais je suis un croyant, je m’en remets à Dieu », dit-il le visage tout d’un coup triste. « C’est déplorable, je suis moi-même musulman comme eux, je suis issu d’une famille de marabouts, je suis un descendant direct de la lignée du prophète, je suis un Moulay, un Haidara, il n’y a pas plus musulman que moi. Alors comment peut-on dire que je ne suis pas musulman, tout ça parce que je travaille dans le domaine de la mode ? C’est insensé !», clame-t-il.

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Sa famille aussi, très attachée à la religion, a eu du mal à accepter sa passion pour la mode. Elle avait refusé qu’il devienne styliste, c’était mal vu pour un descendant d’une grande famille musulmane. Alors qu’il a toujours su, au fond de lui, qu’il était fait pour ça, depuis son plus jeune âge, notamment lorsqu’il maquillait sa maman et ses sœurs après avoir passé des heures à regarder les films hindous, pour reproduire les maquillages des actrices. C’est dans le nord-Mali, à Tombouctou, dont il est très fier, qu’il a vu le jour en 1957. Mais c’est au Niger qu’il a grandi. Il clame aussi toujours fièrement ses différentes origines : arabe, peulh, Songhaï, ou encore touareg. « Je suis un panafricain, je suis issu de plusieurs cultures africaines », dit-il encore, dans un grand éclat de rire.

Depuis ses premiers pas à Tombouctou à l’une des personnes les plus influentes d’Afrique

Pour éviter un conflit familial, il se lance d’abord dans des études de tourisme qu’il mène en France. Prudent comme un caméléon, le jeune homme qu’il est, à cette époque, s’adapte à la situation. Il ne choisit en effet pas au hasard le tourisme, car il savait que tôt ou tard, il lui servirait pour vivre pleinement de son art. D’autant qu’il continuait à tisser la toile de son projet, à dessiner des créations, tout en menant ses autres activités. Une fois son doctorat en poche, il rentre au Niger, où il est nommé directeur du tourisme? au ministère?. ?Après s’être consacré, une dizaine d’années, au développement du tourisme au Niger et en Afrique, il décide enfin de se dévouer entièrement à la mode. De nouveau de retour en France, il intègre l’école d’atelier parisien de stylisme Chardon Savard et y obtient son diplôme. C’est à partir de là que les portes du succès s’ouvrent à lui. Paris découvre les créations du styliste du désert lors d’un premier défilé. Et dès 1987, Alphadi obtient son premier oscar de la mode décerné par la Fédération française de couture et de prêt-à-porter. On dit alors de lui que c’est le « futur Yves Saint-Laurent africain ». Le styliste qui s’inspire des coutures ancestrales des peuples songhaï, djerma, bororo, haoussa, touareg, ouvre, dans la même année, sa première boutique de mode à Niamey. Puis, au fil du temps, partout à travers le monde, notamment Paris, New-York.

De fil en aiguille, il se fait un nom et impose sa marque de fabrique. Il lance même sa ligne de bijoux et de maroquinerie, en 1992, et sa ligne de parfum et de cosmétiques en 2000. En 1996, il est nommé président de la Fédération africaine des créateurs, succédant ainsi au créateur malien Chris Seydou, l’un des pionniers de la mode africaine moderne, décédé quelques années plus tôt.? ?Son travail pour redonner de la dignité à la mode africaine lui vaut d’être nommé ??Ambassadeur de l’UNESCO et Ambassadeur de bonne volonté de son pays, le Niger. Avec toutes ces expériences, ce n’est pas étonnant qu’il soit élevé au rang de Chevalier de l’Ordre du Mérite par l’ancien Président français Jacques Chirac. Ce n’est pas pour rien non plus que Barack Obama l’invite à un forum, en 2010, pour représenter le Niger aux Etats-Unis, ou encore qu’il ait été nommé, en 2014, parmi les personnes les plus influentes en Afrique.

« Le mode africaine évolue très bien, il faut que des investisseurs privés financent le secteur »

Désormais, son nouveau combat, c’est d’œuvrer pour le développement de l’industrie de la mode en Afrique. « Il faut que des privés investissent dans ce secteur pour que l’Afrique ait une véritable industrie du textile et soit capable de fabriquer sur place ses vêtements de prêt-à-porter », encourage Alphadi. Pour lui, « ce n’est pas le rôle de l’Etat, qui est là pour nous appuyer lors de grands évènements, nous promouvoir, trouver des partenaires privés qui ont les moyens », insiste-t-il. « On doit rattraper notre retard. La Chine nous a arraché le marché, car rien n’est fait en Afrique. Aujourd’hui, la plupart des vêtements de prêt-à-porter sont fabriqués en Chine. Il faut soutenir les créateurs africains en investissant, réitère Alphadi. Il faut que de grosses enseignes, comme on en trouve en Occident, s’associent aux créateurs africains pour vendre leurs créations ». Par exemple « Kenzo, vous ne le verrez jamais dans une boutique en train de vendre, car le rôle du créateur c’est de créer, ensuite d’autres vendent pour lui dans des boutiques ou enseignes. Cela doit aussi être le cas pour les créateurs africains, qui ont autant de valeur que les créateurs issus du monde entier ».

Malgré les difficultés que vivent les créateurs africains, tout n’est pas sombre non plus, rassure le styliste. « Dans de nombreux pays africains, notamment anglophones comme l’Ethiopie, le secteur du textile émerge puisque de grandes entreprises occidentales s’y installent pour fabriquer leurs vêtements. Maintenant, on a même des vêtements made in South Africa. Il suffit juste de mettre les moyens financiers nécessaires pour que les choses évoluent », estime le créateur nigérien. Alphadi en est convaincu. Surtout que « la mode africaine évolue très bien ».

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