« Yema » : douleurs algériennes


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Un huis clos qui met en scène une mère et ses fils, transformés en ennemis par la guerre civile en Algérie. Yema est une tragédie, signée Djamila Sahraoui, en compétition officielle au Festival international du film francophone de Namur.

Une femme d’un certain âge traîne péniblement un corps dans un coin de campagne isolé en Algérie. C’est sur ces images que s’ouvre le film Yema de la réalisatrice algérienne Djamila Sahraoui en compétition officielle au Festival international du film francophone de Namur (FIFF). Yema, la mère, raconte le chagrin et la colère de Ouardia qui enterrera son fils Tarek de ses propres mains, une prérogative pourtant masculine en pays musulman. L’amour qu’elle voue à son enfant disparu, officier dans l’armée algérienne, contraste avec le désaveu dont fait l’objet son autre fils, Ali, maquisard islamiste et potentiel meurtrier de son frère. Pour «garder » sa mère, Ali a dépêché l’un de ses hommes, devenu manchot à la suite d’une explosion. Au fil des jours, la vie reprend ses droits à travers un potager que Ouardia s’échine à faire naître, mais la violence n’a pas dit son dernier mot.

Yema, la mère, est tiraillée entre les fruits de ses entrailles, belligérants du sanglant conflit qui a endeuillé le pays dans les années 90. La métaphore de cette Algérie-là jouit d’une magnifique photographie qui met en valeur cette terre à la fois aride et pleine de vie de l’Est algérien qui sert de décor au récit. Ouardia, incarnée par la réalisatrice elle-même qui s’est essayée pour la première à la comédie, est une femme dont la carapace se craquelle difficilement mais sûrement. A l’image de la terre qui cède sous les coups de pioche. Djamila Sahraoui donne du relief à son intrigue en pointant subtilement les fissures de son personnage principal : sa joie lorsque son supposé gardien lui permet d’irriguer ses plants de légumes, la complicité qui s’installe entre le jeune homme et la mère qui semble avoir fait le deuil de sa propre descendance (le projet de cette fiction avait d’ailleurs été baptisé Ouardia avait deux enfants) ou, plus tard, l’émotion de tenir dans ses bras l’enfant présumé d’Ali.

Une tragédie algérienne

Sahraoui a produit un film taiseux où les regards sont plus éloquents que les mots. Les protagonistes de ce huis clos sont les acteurs d’une tragédie grecque, genre qu’affectionne particulièrement la cinéaste algérienne. Une femme et des hommes traumatisés par « la décennie noire », à l’instar de tous les Algériens. Cette période de l’histoire algérienne est devenue une inépuisable source d’inspiration pour les cinéastes : le Septième Art comme expérience cathartique. Avec Yema, Djamila Sahraoui rappelle qu’elle est une cinéaste habitée, notamment par ces douleurs de l’Algérie contemporaine et du combat de ses femmes aux prises avec des hommes qu’elles essaient de ramener à la raison, voire à la vie tout simplement. Ouardia tente sans cesse de dérober l’arme de son geôlier. De vaines tentatives, il en était déjà question dans Barakat ! (2006), première fiction de la cinéaste et portrait d’une jeune femme qui, en pleine guerre civile, part à la recherche de son compagnon journaliste, disparu du jour au lendemain.

La dernière fiction de Djamila Sahraoui s’inscrit dans l’énergie de documentaires aux titres révélateurs tels Algérie, la vie quand même(1998) et Algérie, la vie toujours (2001). Pourtant, la beauté de Yema, déjà présenté à la 69e édition de la Mostra de Venise dans la section Orizzonti, réside dans l’austérité de la réalisation et du jeu de Djamila Sahraoui.

 Yema de Djamila Sahraoui

Avec Djamila Sahraoui, Samir Yahia et Ali Zarif

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